Je ne voudrais pas être indiscret... Mais dites-moi : elle est comment votre chambre ? Si vous y êtes, dans votre chambre, regardez-la. Si vous n’y êtes pas, visitez-la de mémoire. Comment l’avez-vous meublée ? Qu’y avez-vous mis ? Un bon fauteuil ? Une table et des chaises ? Y a-t-il des tableaux au mur ? Ou des dessins de vos petits-enfants ? Ou alors un poster des Stones ou de Chabal, le rugbyman ? Ou les mains en prière de Dürer ? Y a-t-il la télé, des livres, un petit bar avec votre whisky préféré ? Est-elle très en ordre, votre chambre, ou plutôt sens dessus dessous ? Est-elle avant tout confortable, accueillante, pratique, somptueuse, originale ?
Évidemment, ça ne me regarde pas ! Mais rassurez-vous : je n’attends pas de réponse. Je dis ça seulement pour vous rappeler combien l’aménagement de notre chambre, de notre maison, est important !
Eh bien, c’est la même chose pour Dieu. Et c’est pour ça qu’il donne des instructions si précises à Moïse pour l’aménagement de sa chambre à lui, Dieu, une chambre qui est plutôt une maison !
Écoutez encore une fois :
§ le coffre contenant les tables de la loi
§ un rideau que j’imagine épais
§ une table avec de beaux et bons pains consacrés à Dieu
§ un chandelier portant de belles bougies
§ un autel en or pour le parfum
§ un autre autel pour les sacrifices
§ un bassin plein d’eau pour les rites de purification et de somptueuses tentures plus un second rideau pour protéger le lieu saint.
Tout cela aspergé d’huile parfumée pour qu’il soit clair que tout est consacré, réservé à Dieu.
Et puis, une maison doit être habitée ! Sinon, c’est une coquille vide. Alors voilà que des prêtres arrivent, Aaron et ses fils. Pour eux aussi les choses vont être minutieusement prescrites. D’abord, ils vont prendre un bain rituel. Ensuite, ils vont mettre des vêtements sacrés, magnifiques. Enfin, eux aussi vont être scrupuleusement aspergés d’huile.
Tout est ainsi purifié, consacré, les choses et les hommes. Et voilà comment la Bible conclut toutes ces ordonnances : « De cette façon, ils seront consacrés pour toujours comme prêtres eux et les enfants de leurs enfants. »
Quelle impression est-ce qu’elle vous fait, cette maison de Dieu ? Moi, je la trouve belle. Elle me donne une impression d’ordre, de stabilité. Elle me fait aussi l’impression de défier le temps, avec cette grande famille de prêtres instituée pour toujours, de génération en génération.
Ainsi, à son peuple chahuté, ballotté, incertain du lendemain, ce peuple parti mais pas encore arrivé, Dieu demande, mais en même temps offre, une maison qui est un message de sécurité et de stabilité. Aux nomades, Dieu offre une installation.
Dieu nous rappelle ainsi une chose essentielle : il est vital d’offrir un lieu stable et accueillant à ceux qui n’ont pas ou pas encore trouvé leur place et qui sont d’une façon ou d’une autre en exil. Est-ce qu’il vous arrive ainsi à vous aussi d’avoir envie de quelque chose de stable, d’immuable ? Quand les choses paraissent fragiles, ou quand la vie va trop vite, est-ce que vous n’aimeriez pas dire « halte », parfois, faire un arrêt sur image ou même revenir en arrière ?
Ah ! le mythe du bon vieux temps ! Le rêve d’un monde simple, bien assis sur quelques principes sages et stables :
§ travail (sans chômage ni conflits sociaux, et moitié moins de paperasserie) ;
§ famille (avec peu de divorces et des jeunes polis, paisibles et travailleurs);
§ patrie (une Suisse conforme à ses mythes fondateurs, indépendante, neutre, prospère et donc généreuse) ;
§ Église (avec des pasteurs qui font des tas de visites et des paroissiens fidèles, disponibles et généreux) ;
§ un monde où Lausanne-Sports et Servette joueraient dans la même ligue supérieure, qui ne s’appellerait pas « Champion’s League », mais notre bonne vieille Ligue Nationale A.
Bref, un monde qui ressemblerait à une maison où tout serait bien en ordre, les gens et les meubles ; où tout baignerait dans l’huile, d’autant mieux qu’elle est sacrée. Dites : ça ne vous arrive pas de rêver à un monde comme ça ? Parce que notre vie et notre monde vont très vite, trop vite parfois, que tout bouge, tout change sans cesse et qu’il nous arrive de nous sentir en exil non parce que nous bougeons, mais parce que le monde bouge autour de nous et que nous ne reconnaissons plus rien.
Mais je reviens à la maison de Dieu. Parce que je ne vous ai pas tout dit ! Je vous avoue que je n’aimerais pas y emmener des enfants turbulents ou un groupe d’adolescents en quête de nouveauté. Parce que j’ai l’impression que tout est réglé, prévu, quadrillé. Parce qu’il me semble qu’on ne peut pas déplacer un meuble d’un centimètre ; qu’on ne peut rien toucher, rien changer, rien inventer. Et puis ces lieux réservés uniquement à la famille d’Aaron, ça fait un peu secte, vous ne trouvez pas ?
Nous découvrons alors l’autre face de la médaille de l’installation. Quand on est un nomade, un errant, quelle joie de s’installer enfin. C’est le salut ! Mais quand on est installé, quand on est en sécurité, et qu’on a envie de créer, d’inventer, l’installation se fige en paralysie et préfigure la mort ! Et la maison offerte pour la rencontre vivante de Dieu et de son peuple devient un lieu où l’on enferme Dieu et où l’on s’enferme soi-même !
C’est exactement ce qui est arrivé aux Samaritains et aux Juifs à l’époque de Jésus. C’est exactement le problème sur lequel la Samaritaine a mis le doigt : « Dis-moi, prophète, c’est où le bon endroit pour adorer ? Moi je ne sais plus que croire ! sur le Mont Garizim ? À Jérusalem ? Qu’est-ce qui est juste ? Ma ville ou ta ville ? Mon Dieu ou ton Dieu ? Ma religion ou ta religion ? Ma tradition ou la tienne ? »
Et Jésus de délivrer cette femme et avec elle des millions d’hommes et de femmes en disant que ce n’est pas un problème de lieu, que la vraie maison de Dieu s’appelle Esprit et Vérité. Et Paul de préciser encore : le temple de Dieu, c’est vous. Et ça veut dire : « chacun, chacune de vous » mais jamais pris isolément, toujours comme partie d’un corps, membre d’un peuple, une personne au cœur d’une communauté humaine. Paul doit expliquer ça aux chrétiens de Corinthe qui se fichent éperdument de la vie communautaire, qui sont divisés en factions rivales ou, pire encore, indifférentes les unes aux autres, des Corinthiens qui ne savent pas « donner sa place à l’autre ».
En Esprit et en Vérité, dit Jésus ! Attention, danger ! Ces mots sont piégés ! Ils donnent l’impression de quelque chose d’aérien, d’abstrait, de désincarné. Comme s’il fallait tellement quitter le concret un peu lourd des meubles, des lampes, des tentures et de l’huile parfumée qu’il n’y aurait pas d’autre alternative qu’une religion éthérée.
Comme l’écrit Claude Schwab, « l’esprit n’est ni une réalité irréelle, ni une substance non substantielle, ni un machin immatériel. L’Esprit, c’est la vie ! L’Esprit c’est le souffle du Dieu vivant ». Et la vérité, c’est la solidité, c’est la fidélité du même Dieu vivant.
Avec ces mots, est-ce que vous vous rendez compte qu’on arrive enfin à un équilibre ? Parce que l’esprit, le souffle, c’est le mouvement, c’est la marche, l’aventure, la liberté. Et la vérité, c’est la maison de la fidélité de l’amour de Dieu, la sécurité dont chacun a besoin, la table dressée et l’invitation adressée à tous, sans exception : ta place est réservée ; personne, jamais ne te la prendra !
Un jour, en exil, quand tout était de nouveau sens dessus dessous dans la vie du peuple d’Israël, alors qu’il n’y avait plus de maison, plus de chandeliers, plus de prêtres, un jour donc, Dieu a envoyé un prophète à son peuple. Ce prophète s’appelait Ezéchiel. Il a dit ceci à son peuple, de la part de Dieu : « Je vous ai envoyé dans des pays lointains, parmi des peuples étrangers. Mais même là, je suis présent parmi vous, comme dans un lieu saint ».
Parmi vous. Comme dans un lieu saint. « Ne savez-vous pas, dit Paul, que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » Quand on est ainsi habité, on fait sa demeure partout sans s’installer nulle part.
Amen !