Suivre le Christ aujourd'hui

Temple de Chailly (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

(Avec des éléments d’un commentaire de M. Domergue s.j.)

Rencontrer un.e inconnu.e suscite en nous des questions sur son origine, son activité professionnelle, sa situation familiale et sociale, ou son appartenance religieuse. Se pose ainsi très souvent la question de l’identité, celle de l’autre, et la nôtre.

Et si nous rencontrions le Christ, Jésus de Nazareth en chair et os, aujourd’hui au coin d’une rue, que seraient nos questions ? Qu’aimerions-nous lui demander ? Quelle identité oserions-nous lui donner ? Celle d’un homme barbu aux cheveux longs et aux yeux clairs, mi-homme mi-Dieu, comme l’ont représenté nombre d’images pieuses au fil des siècles ?

Ce matin, l’évangile nous place encore une fois devant la question de l’identité du Christ, ce Jésus – Iéschoua, l’homme de Nazareth, l'homme qui marche, comme le rappelle l’écrivain.

Qui est Jésus aujourd’hui pour moi, pour vous ? Suis-je capable de le reconnaître dans le quotidien de ma vie avec son lot de souffrances et son lot de joies ?

Et moi, qui suis-je comparé.e à lui, et voilà qu’il m’appelle à le suivre, comme les disciples ? Dans notre évangile, Jésus même se fâche contre Pierre…

Lorsque nous avons des informations sur celle ou celui que nous rencontrons, nous imaginons facilement avoir fait le tour du sujet. Pourtant, il n’en est rien : l'autre reste toujours un mystère. Allons plus loin : je suis aussi un mystère pour moi-même. Je crois me connaître ? On peut certes améliorer la connaissance de soi, mais c’est une Illusion de croire que nous nous connaissons parfaitement ; d'ailleurs les autres ne me voient pas comme je me vois, et il nous arrive de nous dire : « Je ne me croyais pas capable de ça ! » En bien ou en mal.

En général, quand il s'agit des autres, nous nous contentons d'étiquettes : « Il est de gauche ; elle va tout le temps à l’Église ; lui, tu as vu comme il s’habille ; et elle, c’est une réfugiée », comme si ces personnes allaient réagir de telle ou telle façon ou dire telle ou telle chose, comme si on savait à quoi s'en tenir. Les étiquettes nous rassurent ! C’est un réflexe bien humain, mais un réflexe qui nous amène à un jugement hâtif et même à la tristesse.

C'est dans ce contexte que nous devons situer la question de Jésus : pour les gens, qui suis-je ? La pluralité des réponses – Jean Baptiste, Élie, l'un des prophètes –manifeste que les contemporains de Jésus n'arrivent pas à le classer. De Nazareth ? Charpentier ? Rien de tout cela ne correspond à ce qu'il dit et fait.

Nous retrouvons la fameuse question d'identité qui court à travers tous les évangiles, jusqu'au pied de la croix. Jésus échappe à toute définition, à toute étiquette à toute « classification ».

Jésus n’en reste pas là : « Et pour vous, qui suis-je ? », demande-t-il à ses disciples. Il faut dire qu’ils ont tout quitté pour le suivre et donc ne doivent pas le voir de la même façon que les autres. Chez Marc, la réponse de Pierre au nom de ses compagnons est très brève : « Tu es le Christ », c’est-à-dire le Messie, un mot lourd de sens…

Au départ, le Messie est celui qui a reçu l'onction royale ou sacerdotale. Et au temps de Jésus, on attendait la venue d'un « Fils de David », donc héritier de la royauté, qui viendrait rendre aux Israélites leur autonomie. Un libérateur, donc, mais aussi un souverain.

D'autre part, on s'était mis peu à peu à concevoir le Messie comme un personnage surnaturel. En effet, le « Fils de David » avait hérité au fil du temps des caractères du « Fils de l'homme », nom que Jésus se donne très souvent, et qui se retrouve notamment chez le prophète Daniel, là où apparaît dans les nuées du ciel « comme un Fils d'homme » à qui « sont données souveraineté, gloire et royauté ». Et tous ces mots ont de la portée.

À peine Pierre a-t-il déclaré que Jésus est le « Messie », le « Christ », que celui-ci se met à leur annoncer ses souffrances, sa mort, sa résurrection.

C'est que savoir « d'où il vient » (Nazareth, sa famille, son métier) ne suffit pas à révéler « qui il est ». C'est le « où il va » qui en dira le dernier mot, dernier mot qui restera d'ailleurs un mystère. Dernier mot également sur Dieu : nous apprenons que non seulement Dieu donne la vie, mais encore qu'il donne Sa vie pour nous faire vivre.

Être « Fils, image du Dieu invisible, Messie, Fils de l'homme », c'est cela. « Christ », c'est-à-dire « Roi », bien sûr, mais avec un pouvoir royal qui ne s'exerce pas sur nous, mais bien sur la mort, sur tout ce qui nous est contraire et qui s’oppose à la vie.

C’est là comme notre création à l'image et ressemblance de Dieu, et au bout, il y a la vie, la vie maintenant et la vie pour toujours.

Oublier que le Messie passe par la Passion, la mort sur la croix, le silence du tombeau, avant d’être relevé au matin de Pâques, oublier ce passage et ne confesser que la messianité de Jésus, comme le fait Pierre, s’apparente à de l’idolâtrie, oui. Or, c’est exactement ce que fait Pierre, et c’est pour lutter contre ce risque d’idolâtrer Jésus, que lui, Jésus, reprend Pierre avec les mêmes mots qu’il utilise à la Tentation, « Vade retro Satanas » – Arrière de moi, Satan ! toi, l’adversaire, toi qui cèdes aux sirènes de l’idolâtrie.

Pierre et Jésus se sont fâchés : il est bien le Messie, le Christ, mais le Messie sera crucifié, mourra et sera relevé d’entre les morts. Voilà son identité qui reste pour nous un mystère, une identité qui jamais ne se laisse enfermer par nos images, nos classifications, nos catégories, et qui ouvre à la vie, toujours, l’identité d’un amour qui donne tout.

Refuser l’humanité du Christ en ne reconnaissant que sa messianité, sa divinité, serait renoncer à la proximité de Dieu à nos côtés. Dieu se fait proche dans le Christ, tout humain qu’il est. Il se fait proche de ce que nous vivons, de ce que nous sommes, de notre être, de notre cœur, de notre vécu, nos souffrances et de nos joies multiples.

Alors évidemment se mettre à la suite du Christ n’est pas sans conséquences, le suivre suppose non seulement de ne pas savoir – comme Abraham qui fait confiance, mais aussi de renoncer à son « moi, je » très à la mode aujourd’hui – « Je ne compte que sur moi-même ».

Avec le Christ nous disons « nous », « tu » et « moi », ensemble. Avec le Christ nous partageons les fardeaux de la vie humaine, les croix à porter, nous passons par des renoncements parfois douloureux, avec une espérance forte, réelle, ancrée et mystérieuse que notre vie – en ce qu’elle a de plus précieux – est sauvée par Dieu qui est Source même de la vie.

Jésus le Christ, toi le Crucifié et le Ressuscité,
Pour chacun.e de nous tu as un appel
Et tu nous dis :
Viens ma suite,
Tu découvriras où reposer ton cœur.

Amen.

Enraciné dans la liturgie de l’Eglise, ce culte offre un temps pour faire halte, méditer ensemble la Parole qui interpelle, et en être nourri. Grâce à la radio, la célébration élargit son assemblée et unit toutes celles et tous ceux qui sont présents, au près comme au loin.

Détails

Avec la participation de
Roland Wetter pour les lectures.
Orgue
Damien Desbenoit
Musique