Le Désir et l’Appel
Comme c’est mystérieux. Ce buisson… Cette voix... Ce feu qui ne dévore pas... Comme il est mystérieux, Dieu ! Et puis : comme il est mystérieux, l’homme !
Cet homme, Moïse, qui ne fuit pas l’étrange, mais se rapproche. Qui ne craint pas l’étrange, mais le respecte et l’accueille.
Oui, cet homme, Moïse, est mystérieux ! Mais vous aussi, chacun, chacune, et moi.
Alors, quand deux mystères se rencontrent, Dieu et Moïse, Dieu et l’un de nous, ils se mélangent. Ils se combinent. Ils se reflètent l’un dans l’autre. D’une certaine façon, ils se confondent. On a beaucoup de peine à les démêler.
Il ne faut pas les démêler !
Parce qu’enfin, quand Dieu vous parle, et ça arrive, bien sûr… Quand Dieu vous parle, vous n’entendez pas sa voix comme une annonce faite au haut-parleur dans un grand magasin ou dans un aéroport, n’est-ce pas ? Vous l’entendez à l’intérieur de vous et vous vous dites : « Est-ce que c’est lui ? Est-ce que c’est moi ? Est-ce que je me fais des idées ? » Ou bien vous l’entendez comme si ça venait d’ailleurs, du dehors, mais vous vous dites quand même : « Et si ça venait de moi, seulement de moi ? »
Qu’est-ce qui est appel ? Qu’est-ce qui est désir ? L’élan, d’où vient-il ? De Dieu ? De moi ? C’est toujours mystérieux. Il ne faut pas essayer de démêler, de distinguer, de savoir. Il ne faut pas dire : « Et si ça venait de moi, seulement de moi ? » Pourquoi « seulement » ?
Comme si nos désirs, nos peurs, nos enthousiasmes, nos appels, nos soupirs, étaient étrangers à la vie de Dieu. Le buisson qui brûle sans être dévoré, n’était-ce pas aussi le désir de Moïse brûlant au-dedans de lui, son désir d’exilé ? Et seul son désir le rattachait encore à son peuple enchaîné, et à ce Dieu mystérieux qui va le libérer.
Toutes sortes d’exils
Il y a toutes sortes d’exils : l’exil assez luxueux de l’errance romantique, de la quête un peu dilettante, du nomadisme léger qui se fait vagabondage. L’exil – ordinaire et scandaleux – né de la détresse, de l’absence d’espérance. L’exil qui jette sur les routes des millions d’hommes et de femmes victimes de la faim, de la guerre, de la privation des droits les plus élémentaires. Il y a le besoin de liberté, et pour cela d’échapper – pour mieux respirer – à la routine et aux divers formatages que la vie nous impose. Il y a le besoin de chaque humain de trouver un lieu, son lieu. L’errance signifie alors : je ne l’ai pas encore trouvé.
Elle n’est pas forcément géographique. Elle ne se traduit pas en déplacements. Elle est plutôt intérieure. Elle exprime un désarroi, une inquiétude, un mal-être. C’est en réalité un exil spirituel. Il se manifeste par toutes sortes de désordres dont rendent compte, maladroitement, les journaux, la télé : les incivilités, les violences, les instabilités familiales, les dérives sexuelles ; mais aussi l’ennui, et son pendant, les excès ; le besoin de vedettes, qui donnent l’illusion d’être des modèles, mais qui sont trompeuses parce que toujours hors d’atteinte, même les plus simples et les plus sympathiques comme notre Rodgeur.
Nous sommes alors en exil de nous-mêmes. Nous habitons mal notre vie. Nous sommes fragmentés, éparpillés à l’intérieur : « Qui suis-je ? Est-ce que j’existe vraiment ? » Cette question, cette inquiétude, qui sont celles de l’adolescent, habitent de nombreux adultes. Nous vivons dans une culture du doute, de la remise en question permanente, de la performance obligée, de la mobilité et du déracinement. Certains y voient une liberté. Beaucoup en souffrent. D’autres en meurent.
Pour être moi-même, j’ai besoin d’un ancrage hors de moi-même, j’ai besoin d’un vis-à-vis. Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Pour trouver et habiter la terre promise de ma vie, où coulent le lait de la confiance et le miel de l’espérance j’ai besoin d’être reconnu, nommé, aimé. J’ai besoin d’une fidélité et d’une sécurité.
Il y aura toujours du voyage, de l’errance, de la quête, dans ma vie. Pour que ce soit un bien et non un mal, un souffle d’aventure et non une mortelle angoisse ou une dislocation de mon être, j’ai besoin d’un compagnon de voyage, d’une présence qui à la fois me sorte de moi-même et me renvoie à moi-même, qui m’élargisse et me recentre : « J’ai besoin de toi, d’elle, de lui, de vous. J’ai besoin de Dieu ».
« Mais où est ma demeure, ô villages de vent ? » « Seigneur, vous nous avez faits pour vous et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en vous. » (St-Augustin)