Si tu savais le don de Dieu.....

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Il y a les bavards, les extravertis, les orateurs, les tonitruants, les pasteurs, qui en usent et qui en abusent. Et puis il y a les discrets, les réservés, les moins agiles, les fatigués, pour qui la parole est plus rare, précieuse - difficile même parfois - souvent habillée de silence, accompagnée d'un geste avec les mots du regard.
Il y a les paroles qui viennent à pic, juste au bon moment, savoureuses, bonnes à entendre, et qu'on laisse raisonner en soi encore un moment, avec un sourire sur les lèvres.
Il y aussi celles qui passent, les maladroites, les légères qu'on oublie vite.
Quelle est au fond, votre parole à vous qui m'entendez ? Quelle est votre façon à vous de la dire et de l'exprimer, de la mettre en scène et de l'offrir ? Comment vivez-vous votre parole au quotidien ?
Dans ce pays de Vaud, nous sommes souvent pris entre la déclaration, le discours plein de hardiesse, le verbe haut et puis la parole prudente, nuancée, tout en finesse, qui dit sans dire. La parole qui aime le sous-entendu. La parole qui voudrait mettre aussi tout le monde d'accord, contenter tous les goûts, réconcilier l'eau et le feu. C'est anecdotique, mais n'appelle-t-on d'ailleurs pas "fine salée", une délicatesse locale qui désigne une pâtisserie sucrée ? Et je ne parle pas ici de la "salée au sucre" ! Ce sont bien des vaudoiseries qui disent un peu ce que nous sommes ! La parole, pour être au goût de chacun !

Les deux dimanches passés nous nous étions arrêtés sur la vue, la vue rendue à la lumière du Fils de l'homme et puis l'écoute, l'écoute comme un cheminement à partir de soi. Alors que dire de la parole quand on sait l'importance du regard et du silence ?
La parole, elle, commence souvent par être banale, quotidienne. Par les quelques mots que l'on s'adresse : une salutation d'usage; par les amorces qui nous aident à partir du temps qu'il fait, de la chaleur du jour, de la saison, que sais-je, à entrer en contact.
Oui, parfois, cette parole a juste besoin de tendre ses mots vers l'autre sans aller plus loin. La parole vient et elle passe, rassure, redit le lien. Elle reste alors légère, passagère, prise par le temps qui file. La réponse finalement importe moins que le mot adressé, que l'attention donnée. Un court instant.

"Donne-moi de l'eau à boire", dit Jésus à la femme samaritaine. Ça aurait pu rester une parole qui se serait perdue, comme tant d'autres autour de ce puits, depuis la nuit des temps, depuis Jacob et ses fils, lieu d'échange par excellence, où l'on vient pour raconter, pour échanger les nouvelles du jour, de ce que qu'on a vu et entendu. Le puits : un lieu de paroles, de bruits et d'animation. Mais voilà une femme qui, à l'heure la plus chaude de la journée, vient pour se retrouver seule, seule parce qu'elle n'a justement pas envie de dire, de délier ses secrets, de se montrer aux regards de tous et d'écouter les murmures.
A Sychar, si l'on vient au puits, dans la fraîcheur du matin ou à la tombée de la nuit, c'est bien entre autres pour parler d'elle. D'elle qui n'est plus "comme tout le monde". Et qu'aurait-elle alors eu à dire face à une parole qui accuse, qui rejette et juge sinon son silence ? Un silence de femme exclue, dont la parole ne fait plus le poids.
"Donne-moi de l'eau à boire", dit Jésus. Et il lâche une première parole qui est comme une pierre qu'on laisse tomber dans la profondeur du puits et qui, touchant le fond, dans un léger et lointain bruit d'eau, commence à faire des remous.

Et c'est justement en ce lieu même qui lui enlève toute parole, qui la coupe de toute relation, que va se vivre pour cette femme sa première vraie rencontre.

"Donne-moi" : c'est une parole banale, qui aurait pu passer inaperçue, si Jésus n'était pas Juif et elle Samaritaine et si ces mots n'allaient pas réveiller une première différence, une première réaction immédiate.
"Comment oses-tu donc me demander à boire, à moi qui suis une Samaritaine ?" lui dit-elle avec force. Jésus est un trouble-fête, il n'a que faire des conventions, des rôles, de ce qui se fait et ne se fait pas. De ce qui se dit ou non. C'est un provocateur, qui n'a rien d'angélique, mais que j'imagine malicieux avec une innocence toute feinte.
Voici un Jésus qui choisit d'être en faute, de se mettre sur la touche, de lui donner une occasion, trop belle, de reprendre la balle au bond.

"Donne-moi de l'eau à boire". Premier besoin vital, nécessaire. Le Christ a soif, mais c'est un scandale de dire cette parole ici à cet endroit ! Il y a certaines affirmations qui n'appellent pas de commentaires et puis d'autres qui sont comme des portes ouvertes. "Donne-moi". Et c'est alors que la parole est lancée et que peut commencer, cet étrange dialogue, qu'on peut lire et relire sans jamais en venir à bout.
Dialogue vraiment ? Ou dialogue de sourds plutôt ? Ils se parlent et elle a même la langue bien pendue, la Samaritaine et Jésus non plus n'est pas en reste ! Mais pourtant, on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a incompréhension totale, erreur, deux longueurs d'onde, que le Christ loin d'écouter la femme parle, parle, parle une langue de bois, qu'il joue seul et que décidément, non décidément, ils n'ont rien en commun.
Il ne répond à aucune de ses questions ni même à sa demande explicite d'eau vive. Il affirme des vérités qui ne reprennent pas le cours de sa pensée. Au contraire, c'est comme si systématiquement, il allait à l'encontre de la Samaritaine, comme à contre-courant.
Vraiment, en matière d'écoute, Jésus n'est pas un maître en la matière. A ceux qui voudraient connaître les clés de d'une communication réussie, il y a de quoi rester sur sa soif. Il y a des rencontres, où malgré le flot de paroles échangées, on reste avec le sentiment amer de n'avoir pas été écouté, pas plus que d'avoir réussi à rejoindre un autre, un autre univers.

Et pourtant, et pourtant, mystérieusement, chacune des paroles du Christ, même mal comprise par la Samaritaine, même en apparence à côté de sa réalité, toute simple, vient éveiller, dans la profondeur d'une eau dormante, ce qu'il y a de plus enfoui et libérer, non pas une parole, elle a le bagou des gens du sud, cette femme, mais une soif qui va aller en s'approfondissant au fur et mesure de la conversation.
Voilà que du besoin d'aller chercher chaque jour de l'eau on passe à une soif plus essentielle. Voilà que d'un besoin d'amour et de reconnaissance, au travers de ses relations avec les hommes, on passe à une parole sur le sens de la vie. Dieu, source de toute adoration et de toute vérité.
Voilà que de l'attente de personne, à midi, au puits de Jacob, il y a cet aveu, ce face à face : "Je sais que le Messie va venir. Quand il viendra, il nous expliquera tout", lui dit-elle !
Regardez bien. Ouvrez toutes grandes vos oreilles ! Suivent alors ces mots, uniques dans l'Evangile : "Je le suis, moi qui te parle", dit le Christ. "Moi qui te parle" : dernières paroles, confession ultime, révélation intime, comme quand la parole rejoint le silence, et que tout est dit.

"Moi qui te parle". Et j'imagine son regard, en disant ces mots, et je découvre, émerveillé, que tout devient limpide, que Jésus tout au long de cet échange, n'a pas débité un discours soigneusement appris, mais qu'au travers de son écoute, provocatrice, il est vrai, il lui a permis de faire un chemin de reconnaissance.
Nous étions partis de ce puits, puits de Jacob, renfermant une eau figée, emmurée, statique, comme l'exclusion de cette femme qui n'avait plus le droit à la parole. En elle une connaissance figée comme son savoir sur les Juifs et les Samaritains, sur Jacob et Jérusalem. Pour elle une parole figée comme son besoin quotidien d'aller chercher de l'eau et voilà que peu à peu naît une source à laquelle elle s'étanche.
Nous étions partis d'une parole anodine, simple, immédiate et voilà que surgit une autre profondeur, des mots s'interrogeant sur le sens de ses actes, de ses relations et de sa foi. "Maître, tu n'as pas de seau et le puits est profond", lui dit-elle. Tu ne crois pas si bien dire !
La parole du Christ est une parole qui voit la vérité de chacun. C'est également une parole d'écoute, mais non pas tant comme miroir, que comme celui qui bouscule, appelle et va puiser jusqu'au fond.
Oui, il est facile d'oublier sa soif, de l'enfouir sous des habitudes ou des paroles en l'air. Il est facile d'en rester aux faits, aux connaissances, à un certain savoir qui nous dispense de chercher plus loin que nos besoins immédiats, quotidiens de soi-disant bonheur, qui en apparence nous suffisent. Et de chercher son eau quotidienne, jusqu'à ce que la soif nous reprenne.

"Si tu savais le don de Dieu", dit Jésus, "c'est toi qui aurais demandé..." Mais voilà notre drame, nous ne demandons pas et nous mourrons de soif.
La femme Samaritaine, rencontrée à midi au puits de Jacob a retrouvé la parole. Une parole qui parle d'elle et qui vient du plus profond de sa vie, de son besoin d'être aimée et reconnue. Cette parole reliée qui va dire aux gens de la ville : "Il m'a dit tout ce que j'ai fait." Au fond, la voilà dévoilée la soif de cette femme: celle de pouvoir se raconter. Tout simplement. Comme une source nouvelle.
Souvent la parole est banale et sans arrière-pensée, pour les bavards comme pour les discrets, mais il arrive aussi qu'une autre parole, parole de Dieu, parole de foi, parole vraie nous rejoigne et se faufile à travers ce chemin, ensablé, encombré et vienne dégager ce qu'il y a en nous d'enfoui, de plus profond. Une soif de vérité. Une source d'eau vive. Du coup, on ne se cause plus, mais on se parle, on se dit des choses vraies qui deviennent dialogue, rencontre, face-à-face. "Si tu savais le don de Dieu..."

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Pierrette Wahl
Musique
Choeurs d'hommes de Grandcour et de Missy