Écouter le culte :
J’ai toujours pensé que la paix et les soucis, ça n’allait pas ensemble ; jusqu’au jour où j’ai compris que la tranquillité du cœur devait se cultiver à partir des inquiétudes que mon esprit rencontrait et ce, qu’elles soient petites ou grandes.
Dans ma vie personnelle, j’ai appris au fil du temps que le chemin était moins de prier pour la guérison de mon frère, atteint d’épilepsie chronique, que d’aller à la rencontre de ce que son handicap me faisait vivre intérieurement, afin de soigner les parts blessées que sa maladie faisait remonter en moi et rendait visible.
Le Psaume 23, si cher aux chrétiens de toutes les générations, le mentionne subtilement : « Tu dresses, Seigneur, devant moi une table, en la présence de mes ennemis ». Ce passage de l’Ancien Testament ne fait pas uniquement référence aux ennemis extérieurs à la maison d’Israël, mais il évoque aussi nos adversaires intérieurs, c’est-à-dire ce qui vient contrecarrer nos projets, nos espoirs, la vision que nous nous étions faites du déroulement de nos vies et de celles de ceux que nous aimons.
Face à ce qui vient mettre un stop net au déroulement harmonieux de notre quotidien, Dieu intervient et se rend présent. Il prend la peine de dresser une table, soulignant par là même l’importance de l’événement. Puis, il nous invite à prendre place face à ce que nous envisageons comme un obstacle. Loin de nous appeler à une stratégie d’évitement, Il nous convie à partager le repas avec ce qui vient bousculer notre existence, heurter nos convictions et nos espérances.
Alors qu’est-ce qui peut nous aider à nous placer face à nos adversaires, sans succomber à leurs attaques ou sombrer sous l’effet de leurs coups ? Comment, dans l’épreuve, rester debout, dans une paix qui surpasse tout entendement ?
Il y a trois semaines, mon beau-frère a été victime d’une crise cardiaque. Aujourd’hui rétabli et à la maison, nous avons traversé avec toute ma famille plusieurs jours éprouvants. Deux gestes, dans ce tourbillon indéfinissable, nous ont sauvé : nous tourner vers les autres pour demander leur aide et prendre la peine de nous mettre régulièrement en présence de Dieu.
Le matin de l’événement, après que mon beau-frère a été transporté à l’hôpital, nous avons tous fait des dizaines de messages pour solliciter nos connaissances, ainsi que cette communauté de Payerne à nous porter dans la prière. Très vite, nous avons senti, alors que nous longions le corridor des soins intensifs du CHUV dans une sorte d’errance léthargique, une grande lumière tout autour de nous. Comme le disait ma sœur, la femme de l’accidenté, c’était horrible, et en même temps merveilleux.
Expérimenter la fraternité au cœur d’un drame, a laissé en nous une marque indélébile. Nous avons senti à quel point, être portés par les pensées d’amour des autres, peut atténuer la souffrance et nous donner la force d’avancer. Je crois que la véritable fraternité humaine a le pouvoir de transfigurer la face du monde ; lorsqu’elle forme une communauté, elle devient un baume pour tous les cœurs blessés et donne le courage de continuer.
L’autre point essentiel a été de prendre le temps de se retirer à l’écart, comme le faisait Jésus, pour maintenir éveillée notre connexion avec Dieu. Chaque matin, avec ma sœur, nous prenions le temps de nous asseoir dans son jardin, entre deux gros arbres qui étaient devenus nos amis, et les oiseaux qui chantaient pour nous. Nous nous tenions la main et nous faisions silence devant Dieu, jusqu’à ce que nous sentions un apaisement intérieur s’installer.
Maintenir en soi l’espérance dans la tourmente s’apprend et se travaille. La foi est comme un muscle qui, pour se déployer, a besoin d’exercices réguliers. Personnellement, plus je traverse des temps difficiles, et plus je prends la peine de m’arrêter dans la journée. Lorsque la tempête est trop forte en moi, il m’arrive même de m’arrêter toutes les heures pendant quelques minutes.
Jésus était un homme éveillé et pourtant, cela ne l’a pas empêché de souffrir. Il l’exprime parfaitement à Gethsémané : « Mon âme est triste à en mourir ». Sa résurrection ne l’a pas empêché de voir l’abîme en face et d’y être totalement aspiré. Cependant, je crois qu’il a su maintenir vivace en lui la conviction que dans toute noirceur, se trouve déjà en germe le mouvement de la vie !
C’est ce qu’illustre la suite du Psaume 23 : « Tu dresses devant moi une table en face de mes adversaires et tu enduis ma tête d’huile, ainsi ma coupe déborde ». Dès l’instant où nous nous mettons à table face à ce qui nous fait mal, face à ce qui nous fait peur, dans le même mouvement, une bénédiction nous est accordée. Cela ne veut pas pour autant dire ne plus être malade, ni même éviter la mort. Car la foi n’a pas pour but d’épargner des épreuves, mais bien de nourrir la ferme assurance que quelque chose d’extraordinaire nous attend au bout tout ce que nous envisageons comme une fin et une impasse.
La paix des Écritures, celle qui surpasse toute raison humaine, n’a rien à voir avec celle que le monde attend et qui aboutirait à l’éradication de tout mal extérieur. Bien au contraire, le chrétien est invité à un cheminement intérieur, parfois désertique, à la suite du Christ. Lui aussi est appelé à endosser la condition humaine, avec tout ce qu’elle implique de joies comme de peines. Cependant, alors qu’il marche dans la vallée de l’ombre et de la mort, au cœur de son être résonne cette parole d’espérance : « ne crains pas, crois seulement ».
Je termine par cette pensée empruntée à l’excellent commentaire de Jean Zumstein sur l’évangile de Jean : « La paix trouve son fondement dans la foi en Dieu ; cette foi que les aléas de notre existence ne peuvent anéantir. Toute crise humaine ne peut être surmontée, que dans la mesure où nous sommes d’accord de nous en remettre à la seule réalité fondamentale et fiable de ce monde, et qui n’est autre que Dieu ».
Amen.