Prédication. Enfin… presque !

image

Chers amis qui nous faites le plaisir de vivre avec nous ce culte de Noël, combien de fois avez-vous entendu ce texte de la nativité, tel que l'Évangéliste Luc nous l'a transmise ?
En ce qui me concerne, je l'entends surgir du fond de mon enfance. Je pense l'avoir entendu chaque année : "Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier…" Cette phrase retentit comme une litanie, elle m'a souvent paru étrange.
Étrange, parce que tout commence comme un conte. C'est tout juste si on n’entend pas : ""il était une fois…", je trouve que le "Or en ce temps-là", n'en est pas très éloigné. J'ai été - il me semble depuis toujours - été surpris que ce récit commence comme un conte. Parce que c'en n'est pas un !
Ce récit est étrange, parce qu'il n'est pas question de Jésus dès la première phrase ou de ses parents, mais de César Auguste ! Le récit de la naissance de Jésus commence par nous parler d'un empereur et de son intention d'organiser un recensement de son empire.
Honnêtement, je me demande pour quelle raison Luc tient tant à situer la naissance du Seigneur par rapport à un fait qui concerne plutôt l'empire romain ! On a coutume de répondre que Luc tient à situer la naissance de Jésus dans l'Histoire, au cœur de l'histoire et lui donner ainsi un statut d'événement historique.

Je trouve l'explication un peu courte. Il lui aurait été possible d'utiliser tout autre référence. Une référence plus locale, et mieux connue de ses lecteurs. Honnêtement, qui à cette époque était au courant des décrets de l'empereur ? Pas grand monde, seuls les notables le savaient et encore ! Il est vrai qu'un recensement tout le monde en entend forcément parler : c'est dérangeant, des fonctionnaires visitent chaque maison, on oblige les gens à faire de longues queues et ça concerne chaque famille. Et à cette époque, les contrevenants étaient sévèrement punis.
Oui, mais lorsque Luc écrit son évangile près de 80 ans après la naissance de Jésus, il l'adresse à des gens qui n'ont pas vécu ce recensement - ils n'étaient pas nés - et qui n'habitaient pas la région - Luc fait circuler son Évangile dans le monde grec, pas en Palestine !
Et puis s'il y avait des historiens parmi les lecteurs de Luc, plusieurs lui auraient fait remarquer que les dates ne concordent pas : les évocations du roi Hérode, et la citation de Quirinus, ont un décalage de plusieurs années. A suivre Luc, Jésus serait né en 6 avant J.-C. C'est insensé, n'est-ce pas ?
Je suis désolé d'encombrer ce jour de Noël avec de telles questions, mais je crois que cela va nous aider pourtant à éclairer ce jour merveilleux et unique dans l'histoire d'une lumière exceptionnelle !

D'après les données en notre possession, l'empereur Auguste a organisé plusieurs recensements pendant son règne. Ces recensements avaient comme objectif premier de plier les individus à leurs obligations militaires, et à évaluer les impôts personnels. Ces mesures régulières d'évaluation des forces en présence, tant militaires que financières, étaient les garanties de la puissance impériale, et du maintien de la paix romaine. Auguste a laissé dans la mémoire collective le souvenir d'un empereur qui a particulièrement réussi dans ce maintien de la paix.
L'empereur, champion de la paix ! Rome était très fière de cette réputation et n'avait alors que faire d'un envoyé de Dieu venant dans le monde avec cette salutation : la paix est avec vous !
La paix évangélique semblait bien mièvre et innocente face à la paix romaine, œuvre et conséquence de la formidable puissance militaire de l'empire. Qu'il est difficile de donner la paix, lorsque tout le monde est convaincu que la paix dépend surtout de l'autorité du plus fort. Luc voudrait attirer l'attention sur une paix différente, une paix dont les perspectives ont des dimensions toutes différentes.

Nous n'avons pas conscience aujourd'hui du prix payé à la pax romana par les populations antiques dans leur vie quotidienne. Cette paix dépendait principalement de la force des troupes d'occupation et de l'autorité romaine, et de la connaissance que Rome avait de la vie des villes et des villages. Il faut le dire : la paix était la fille de la peur. Cette paix-là est toujours la fille de la peur.
La paix était le fruit de la force et de la puissance écrasante de l'occupant. Cette paix convenait bien à Rome, c'est sûr, mais pas forcément aux habitants des villages ou des hameaux, ni au paysan, ni à l'artisan, ni au berger.
Ce que les hommes attendent et attendent encore aujourd'hui, c'est une paix qu'ils construisent eux-mêmes, une paix qu'ils enfantent, une paix qu'ils vivent et qui les fait vivre !
C'est de cette paix que Dieu a toujours parlé et qu'il a offerte. Puisque les hommes ne comprennent que trop facilement la paix qu'imposent la force et le pouvoir, la paix qui réduit au silence, la paix qui paralyse et stérilise, Dieu a choisi. Et Luc nous le raconte. Dieu a choisi de l'accomplir à sa façon. Et ce jour-là…
A la place de soldats qu'on paie pour maintenir la paix, une femme a donné naissance à Celui qui accomplira toute paix.
A la place d'armes redoutables, les voyageurs ont vu des langes dérisoires.
À la place de la puissance, les hommes ont découvert la déconcertante fragilité d'un bébé.
A la place d'évènements qui menacent de mort, les bergers ont assisté à la naissance de Celui qui porte déjà leurs espoirs.
A la place de la paix qu'on impose, des anges ont proclamé une paix qui invite.

Pendant que l'empire comptait sa force et sa puissance et comptait encore sur elles pour faire régner la paix, Dieu appelait les hommes à ne compter que sur Lui Lui, le Dieu d'Abraham, le Dieu de toute l'humanité !
C'est certainement pour accentuer le contraste entre les façons de faire de Dieu et les façons de faire des hommes que Luc a mis en présence ce recensement et la naissance du Seigneur du monde.
Ce n'est pas seulement dans leurs méthodes que l'homme et Dieu diffèrent, mais dans leur projet. Pour l'homme, pour l'empire d'autrefois, mais aussi pour les nations d'aujourd'hui, la paix, c'est trop souvent le silence c'est beaucoup trop souvent quand enfin plus rien ni personne ne bouge, c'est trop souvent l'obéissance. La paix des hommes ressemble trop souvent, beaucoup trop souvent à une fin. Pour Dieu, la paix c'est quand tout commence !

Aujourd'hui, les mondes politique, économique et financier croient construire la paix, et une paix juste et bonne en organisant des structures à l'échelon desquelles on prend des accords et des engagements.
C'est bien. Les intentions sont bonnes. Je crois qu'on peut faire confiance à leurs projets de construire un monde qui permettra un jour à chacun d'y vivre heureux. Cependant quelque chose ne va pas.
Tout cet échafaudage ne demande que rarement leur avis aux populations et aux individus concernés. Ce n'est jamais une paix que l'on construit ensemble, mais trop souvent - pour ne pas dire toujours, une paix que quelques personnes au pouvoir veulent asséner - de force ! Quel paradoxe ! à des populations qui n'ont rien demandé, pire à des personnes à qui l'on ne demande pas leur avis !
Pourtant depuis le temps, on sait que la majorité des habitants de cette planète voudraient bien vivre en paix, mais pas n'importe laquelle. La leur, pas celle des autres.

Luc écrit son Évangile 80 années après l'événement de la naissance de Jésus. Depuis tout a changé ! Auguste est mort. Il ne reste pas grand-chose de la paix romaine. Elle n'a pas duré. Le temple de Jérusalem a été détruit, les communautés juives sont dispersées, les communautés chrétiennes ont été impitoyablement persécutées.
Luc, dans le récit de la nativité, évoque deux projets contemporains : premièrement, le projet impérial de construire un monde de paix sur le principe de la puissance. Un empereur décide, et cinquante millions de personnes - c'était la population de l'empire à l'époque - sont contraintes par la force à obéir.
Deuxièmement : le projet de Dieu d'offrir un monde de paix sur le principe de l'amour. Dieu seul est amour, Dieu seul incarne et révèle ce qu'est l'amour, et des milliards de personnes sont invitées à en vivre.

Luc a choisi, et invite ainsi ses lecteurs à choisir à leur tour. Noël nous invite à choisir, nous aussi. Noël nous invite d'abord à rêver. A rêver aujourd'hui que des soldats visitent une maternité irakienne, et que, penchés sur un berceau, ils décident que cet enfant sera heureux. A rêver aujourd'hui que dans un camp de réfugiés, un enfant sera l'espoir de leur dignité de femmes et d'hommes pour tout un peuple.
A rêver aujourd'hui que dans un mouroir quelque part, un enfant sera enfin le premier à bénéficier de vrais partages.
A rêver aujourd'hui qu'à côté de chez moi, l'enfant de la prostituée portera un nom dont il sera fier.
A rêver, aujourd'hui, que pour vous, dans votre vie, vous croyez encore aux commencements.
A rêver… u fond, Noël, c'est ça ! Rêver un monde qui naît, un monde qui porte en lui tous les espoirs. N'est-ce pas à cela que pensent des parents quand ils prennent leur enfant dans leurs bras pour la première fois ?

Noël, c'est comme si l'humanité tout entière était invitée à prendre son avenir dans ses bras. Comme une première fois. La paix que Dieu nous donne par son Fils Jésus, celui que nous confessons comme Christ, nous donne alors maintenant la liberté d'ouvrir les yeux.

La Vie n'est pas un rêve, la Paix n'est pas un rêve. C'est un commencement. Il appartient aux croyants, aux individus que nous sommes, aux Églises que nous constituons chaque fois que, rassemblés, nous lui donnons chair, de rappeler à tous ceux qui construisent la paix comme on construit un musée, anéantissent l'espérance humaine !
Cette paix qu'on impose est de la congélation, de la sclérose, finalement une fin. Et la fin quand elle prend de telles dimensions, a des odeurs de fin du monde, de fin de l'histoire, de fin du sens de vivre !
Il y a trop de puissances dans ce monde qui veulent imposer à tous les autres une réalité de paix telle qu'elle leur permet de continuer à vivre sans tenir compte des autres et de leurs espérances.
Christ est venu dans le monde comme un germe de vie ! La paix qu'il proclame et qu'il inaugure n'est pas un but à atteindre qui permettrait la glorification d'un pouvoir absolu, mais au contraire un fondement, un point de départ, une naissance.

La naissance d'un monde qui saurait entendre les désirs de vivre de chaque femme, de chaque homme et de chaque enfant.
Un monde qui saurait reconnaître la place que chacun se réjouit de prendre.
Un monde qui renoncerait enfin à enfermer tous les individus dans des structures qui seraient au bénéfice du seul bon fonctionnement du système.
Un monde qui se réjouirait des différences et des originalités de tous ceux qui le constituent et le construisent.
Oui, mais pour cela il faudrait commencer par nous aimer. C'est ce que Noël inaugure comme temps nouveau. Pendant que Rome et Auguste et Quirinus comptent et numérotent les habitants de toute la terre, Jésus vient au monde.
L'amour vient au monde.
La paix vient au monde.
La lumière inonde le monde.
Noël rappelle que la paix de Dieu vient irrémédiablement à notre rencontre. Noël interpelle une fois encore nos manières de construire la paix. Noël nous rappelle une fois encore que ce n'est pas parce que la paix aura été imposée aux hommes que ceux-ci s'aimeront enfin, mais que la paix règnera quand les hommes auront compris qu'ils sont libres de s'aimer !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Isaline Gerhard
Musique
Valérie Maillard, direction du chœur d'enfants et flûte; Etienne Maillard, violoncelle; Rachel Maillard, alto; Gabrielle Maillard, violon