L'asile au coeur de l'Evangile

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Philippe: Salut l’Abbé… Content de te voir… Ca tombe bien, je voulais te…
Vincent (coupant): Salut Pasteur, tu m’as l’air bien agité… Tu vas bien ? Que puis-je pour toi ?
Vincent: Oui, je te remercie, je vais bien… mais c’est vrai, je… Merci, j’espère que tout va bien pour toi aussi… Je… je voulais te demander à toi le catholique… Tu as… enfin ton Église a une plus grande expérience que la mienne sur cette question. Heu… l’Asile… comment ton Église a-t-elle vécu l’asile ?
Vincent: Pourquoi, tu veux me demander l’asile ecclésiastique ?
Philippe: Rigole pas ! Je n’en suis pas là… quoique… certains jours… !
Vincent: Moi aussi, je t’avoue que certains jours… j’irais bien frapper à la porte du Temple pour te demander asile…
[ils rient tous deux]
Philippe: Non ! Ma question est sérieuse, parle-moi du temps où les monastères, les cathédrales étaient des terres d’asile.
Vincent: Beau temps, Pasteur ! Jadis, c’est vrai, il suffisait d’entrer dans une cathédrale, dans un monastère, dans n’importe quelle église et de s’écrier « Asile », et l’on était protégé.
Philippe: Comment ça, protégé ?
Vincent: Protégé. C’était comme lorsque les enfants jouent au chat perché et disent « perché » ou « maison » ! Personne – pas même la police ou le juge d’instruction – ne pouvait venir déloger quelqu’un qui avait imploré « asile » dans une église.
Philippe: Jusqu’à ce qu’il sorte ?
Vincent: C’est cela. On voit cela avec Esmeralda dans « Notre Dame de Paris », notamment.
Philippe: Mais ça pouvait durer éternellement !
Vincent: Ce n’était jamais le cas. Ce temps d’asile donnait la possibilité au réfugié de faire connaître sa situation, par l’intermédiaire du prêtre. Les vrais réfugiés étaient insérés rapidement dans la ville, et on leur trouvait une situation.
Philippe: Et les tricheurs ?
Vincent: Ils étaient remis dehors. Mais ce n’est pas la police qui leur tombait dessus en premier. En général, c’étaient les vrais réfugiés qui leur faisaient passer le goût de la tricherie.
Philippe: Ils avaient compris que les tricheurs prétéritent la situation de tous, y compris de ceux qui ont vraiment besoin d’aide.
Vincent: C’est cela. Mais l’important là-dedans, c’est vraiment ce temps d’asile qui permettait à chacun de connaître la situation du réfugié.
Philippe: Et sans doute à chacun de prendre conscience de sa propre situation. Oui… un asile qui ne voulait pas seulement « mettre à l’abri » mais également « mettre en retrait »… un moment privilégié pour un bilan de vie… du temps pour soi, pour reprendre élan…
Vincent: Oui, mais plus que cela… La plupart des romans ou des fresques historiques ont tendance à montrer des personnes que l’asile soustrait à une justice injuste, à laquelle un prêtre ou un évêque s’oppose courageusement. L’asile, ou plutôt le droit d’asile est une protestation !
Philippe: Un catholique qui proteste !... ce n’est pas banal.
Vincent: L’Évangile est une protestation, ou tout au moins une force de protestation… ainsi les protestants n’ont pas de monopole en la matière.
Philippe: Ne te fâche pas, l’Abbé… Tu vois, le peu que tu m’en as dit de cet asile, me fait prendre conscience que loin d’être une seule situation de protection, il devait être une période de recadrage. Devant les autres… devant soi-même… finalement devant Dieu !
Vincent: Attends… si je te suis bien, c’est en demandant asile à l’autre que l’on réussit ensuite à se demander asile à soi-même, puis à Dieu ?
Philippe: Exactement.
Vincent: Donc c’est en allant se réconcilier avec l’autre qu’on se réconcilie aussi avec soi-même et donc avec Dieu ?
Philippe: Bien sûr. Tu ne peux pas être en paix avec toi-même si tu n’es pas en paix avec ton frère. A fortiori avec Dieu.
Vincent: Mais alors avec nos Eglises, c’est pareil ?
Philippe: Comment cela ?
Vincent: En cherchant à réconcilier les protestants avec les catholiques, c’est peut-être les protestants qui cherchent à se réconcilier entre eux et les catholiques entre eux aussi. Et nous tous avec Dieu…
Philippe: Eh ben voilà, tu as compris.
Vincent: C’est vrai que nous, catholiques, entre les Vieux-Catholiques, les Catholiques Orientaux, les Catholiques Romains, sans parler d’Ecône, on aurait de sacrées réconciliations à opérer contrairement à vous.
Philippe: Comment ça, « contrairement à vous » ? Tu crois que c’est tout rose chez nous ? J’aime mieux te dire qu’entre Pentecôtistes, Anabaptistes, Evangéliques, Luthériens, Calvinistes, y aurait aussi du boulot côté réconciliation. Faudrait déjà apprendre à se parler…
Vincent: Ouais… chez nous aussi…
Philippe: Apprendre à faire ce que l’on fait là, en somme.
Vincent: Exactement. Et dans ce sens, on devrait tous réapprendre à demander asile. Les uns chez les autres. Les protestants chez les catholiques et vice versa.
Philippe: Pour mieux s’offrir l’asile ensuite à l’intérieur de nos propres confessions, protestants avec protestants, catholiques avec catholiques.
Vincent Et donc ensuite pour mieux demander asile tous ensemble chez Dieu.
Philippe: Le Royaume…
Vincent: Que dis-tu ? Je n’ai pas bien entendu.
Philippe: Je disais : le Royaume…. Demander asile chez Dieu… mais c’est le Royaume !
Vincent: C’est pas un peu tôt ?
Philippe: Oui… tu as raison. Quoique cela dépend de la conception du Royaume. Beaucoup le voient ici et maintenant… Mais revenons à notre asile… je crois que si nous avions parfois le courage de nous demander asile mutuellement pour un temps de…
Vincent: Un temps de retrait ? J’aime mieux cette idée de retrait, plutôt que de parler de retraite. La retraite ça fait fin de carrière, alors que retrait donne davantage l’idée d’un temps de respiration… un temps pour prendre son élan.
Philippe: Oui, c’est ça ! Un temps de retrait. Un asile pour prendre son élan… Tu ne crois pas l’Abbé, que c’est un beau chemin de communion? Se ressourcer chez l’autre afin de mieux se recentrer… j’ai toujours été frappé quand Jésus allait se ressourcer en terre païenne, chez les autres...
Vincent: Jésus, en cela, ne faisait rien d’autre que d’aller se retrouver auprès de son Père et de l’Esprit Saint, souffle d’amour entre eux.
Philippe: Tu crois que nos Eglises sont comparables ?
Vincent: Je le pense sincèrement. Vous, les Réformés, par votre amour de la Bible, vous êtes davantage le Père, le Dieu des deux testaments.
Philippe: Dans ce sens, vous les Catholiques, avec l’Eucharistie et sa présence réelle du Christ, vous êtes davantage l’Eglise du Fils.
Vincent: Et les Orthodoxes, avec leur magnifique liturgie pleine de symboles et de mystères m’ont toujours semblé être davantage l’Eglise de l’Esprit.
Philippe: C’est vrai… c’est un beau regard sur nos réalités… Or entre Père, Fils et Esprit il y a union, communion.
Vincent: Oui, mais jamais fusion. Chacun est en pleine communion avec l’autre tout en gardant son propre visage, sa propre personnalité.
Philippe: Alors… et si… Et si la Trinité était un exemple pour nos Eglises ?
Vincent: Je pense que c’est une voie que l’on ne creuse pas assez. On cherche la fusion totale alors que nous avons sous les yeux un modèle de Dieu de communion sans confusion.
Philippe: C’est vrai… Dieu est communion, sans confusion… Et l’asile alors ?
Vincent: La Trinité nous en donne aussi le modèle : comme nous le disions, le Fils va se ressourcer auprès du Père, avec l’Esprit. Au fond tu as raison, peut-être que nous vivons déjà le Royaume sans le savoir.
Philippe: A cette célébration par exemple ?
Vincent: En t’accueillant, oui, comme dimanche prochain lorsque tu m’accueilleras. Ou en m’accueillant, oui, comme dimanche dernier lorsque je t’ai accueilli.
Silence…
Philippe: Tout à l’heure, nous nous sommes souvenus de l’événement de Pentecôte, promis par Jésus. Désormais, le Saint Esprit nous accompagne… A ton avis, est-ce uniquement pour nous offrir asile mutuellement lorsque nous avons besoin de nous ressourcer et de nous recentrer, est-ce uniquement pour nous permettre de vivre notre communion sans confusion ? Ne manque-t-il pas une dimension plus grande encore ?
Vincent: En effet, j’en vois une plus grande encore. Celle de la prophétie.
Philippe: Quelle prophétie ? Et qui en est le prophète ?
Vincent: Nous !
Philippe: Tu veux dire : toi et moi ?
Vincent: Non. Je veux dire : nous les chrétiens. L’ensemble de ceux qui confessent Jésus comme Seigneur et Sauveur.
Philippe: Bon ! voilà pour les prophètes. Et la prophétie ?
Vincent: Nous sommes prophétiques quand, Églises différentes, défendant des valeurs différentes, des visions différentes, des manières de croire et de vivre notre foi différentes, nous affirmons et vivons paradoxalement une communion d’amour réel.
Philippe: Mais… pour qu’une prophétie soit compréhensible, il faut au moins un signe. Notre communion n’est guère visible… nos réconciliations ne sont guère spectaculaires… J’en reviens à ma question initiale : comment faire de cet asile que nous pourrions nous offrir, une vraie prophétie ?
Vincent: Un signe pour ce dimanche, ce sera le Credo que nous proclamerons dans un instant, tu verras. Et un signe pour les temps à venir, c’est peut-être justement d’accepter que le Royaume se trouve dans du non-spectaculaire.
Philippe: Nous vivons dans un monde où les médias, la télé font du spectaculaire ! Les gens en ont besoin.
Vincent: Jésus, me semble-t-il, n’a jamais vraiment suivi ce que le monde de son époque, les médias de son époque, les gens de son époque semblaient réclamer. Il était souvent un contre-signe.
Philippe: C’est vrai… Cela me fait penser à cet homme qui se jette aux pieds de Jésus pour lui demander : Que faut-il que je fasse pour recevoir la vie en partage ?… Une vraie demande d’asile…
Vincent: Que Jésus va recadrer et porter encore plus loin. Alors que cet homme attend une réponse, Jésus reste muet. Souviens-toi comment Marc l’Évangéliste nous raconte la scène… Il nous dit : Jésus le regarda et l’aima.
Philippe: Cet homme demandait asile dans le Royaume du Père, Jésus le lui offre dans la profondeur de son amour.
Vincent: Voilà notre signe. Le signe de l’Église, au moment où le monde supprime les frontières politiques et commerciales et les renforce entre les hommes. N’est-ce pas Tertullien qui disait devant la liberté des chrétiens à s’aimer les uns les autres : « Voyez comme ils s’aiment !» ?
Philippe: En effet.
Vincent: L’amour qui naît d’un regard, l’asile qui se fonde sur l’amour, ce n’est pas spectaculaire. Et pourtant ! Quel signe !
Philippe: En effet…. Merci pour ce partage, cher Abbé.
Vincent: Merci pour cette communion, cher Pasteur.

Détails

Avec la participation de
Vincent Lafargue, prêtre
Orgue
Raphaëlle Girod
Musique
Choeur africain de Monthey - "choeur immaculé de Marie", direction Annie Giordan.