Vocation du Christ

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Noël vient d'être fêté. Les récits de la nativité ont été lus, mimés, écoutés. Vous en avez peut-être encore des images plein les yeux. Pourtant ce sont des textes d'une grande sobriété. A peine quelques mots sur la naissance de Jésus.
Bien sûr il y a les anges, l'étoile qui guide les mages, des hommes avertis en songe. Ce sont là des témoignages de la souveraineté du Dieu créateur. A la fois du très étonnant et pourtant dans l'ensemble, une grande simplicité.
Surtout si l'on compare avec d'autres récits de l'Antiquité qui nous parlent de héros, de personnages importants. Ils ont une enfance grandiose, le spectaculaire est au rendez-vous. Un peu comme, plus tard, dans certains évangiles apocryphes.
Mais la profondeur biblique est tout autre. A peine quelques lignes, quelques paragraphes, et encore, seulement chez Matthieu et Luc. Ensuite, trente ans de silence. Ou presque.
En effet nous n'avons concernant les trente premières années de la vie de Jésus (en tout il a vécu environ 33 ans !) - les récits de la nativité mis à part - qu'un texte, en Luc 2. Jésus a 12 ans et se trouve dans le Temple, à Jérusalem. Episode bien connu, illustré dans toutes les Bibles d'enfants, mais surtout récit qui contient en germe toute la vie, tout le ministère de Jésus le Christ, le Messie attendu depuis des siècles.

Je vous propose maintenant de nous arrêter quelques instants sur cet événement. Joseph et Marie ont l'habitude d'aller chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Et voilà que, quand Jésus a 12 ans, tous les trois y montent ensemble.
Je ne sais pas si vous y avez déjà fait attention, mais le thème de la montée à Jérusalem est au cœur de tout le ministère de Jésus durant les trois années qu'il passe à parcourir la Galilée, la Samarie puis la Judée. Les trois dernières années de sa vie ; celles dont nous parlent assez longuement les textes bibliques.
Tout l'évangile est comme la préparation, la maturation de la montée du Messie, à la fin de sa vie, dans cette grande ville. Ce sera à nouveau pour la fête de la Pâque et le dernier repas qu'il prendra avec ses disciples sera le repas pascal.

Mais maintenant Jésus a 12 ans. Et comme les Juifs fidèles à la loi de Moise il monte à Jérusalem pour faire mémoire de la sortie d'Egypte, de la libération de l'esclavage.
La fête se déroule, elle dure sept jours et, quand les jours furent accomplis, dit le texte, (le terme est plus fort que les traductions disant "écoulés" ou "quand la fête fut terminée") - là ce n'est pas encore "tout" qui est accompli, comme ce sera le cas quelques années plus tard, mais seulement les jours de la fête - les pèlerins quittent la ville et rentrent chez eux. C'est ce que font Joseph et Marie, pensant que leur enfant est aussi quelque part dans le groupe. On remarque au passage qu'ils lui accordent une belle confiance et une certaine indépendance.

Mais voilà que Jésus ne les a pas suivis. Après une bonne journée de marche ils commencent à le chercher parmi leur parenté ou leurs connaissances. Il ne s'y trouve pas, alors, anxieux, ils rebroussent chemin et retournent à Jérusalem. Ce n'est que le troisième jour - le troisième jour ! - qu'ils le retrouvent, assis dans le Temple.
Quel contraste ! Eux tout inquiets, lui assis et discutant, laissant dans l'étonnement les maîtres de la loi.
Alors toute la tension accumulée par une mère inquiète s'exprime : "Pourquoi nous as-tu fait cela, voici que ton père et moi te cherchions avec angoisse ?"
Peut-être davantage un cri de soulagement qu'une question appelant véritablement une réponse. Quoi qu'il en soit Jésus va répondre. Il le fait avec une caractéristique qui ne le quittera pas, à savoir en posant à son tour une question : "Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père ?"
Ni Joseph, ni Marie ne comprend. Pas simple ! Et nous ? Que comprenons-nous ? Je pense, à la suite de beaucoup d'autres, que le "Pourquoi me cherchiez-vous ?", ne se rapporte pas au fait que Joseph et Marie soient revenus sur leurs pas afin de le retrouver. Ça, c'est bien naturel, c'est normal.
Ce que Jésus a plus de peine à comprendre, c"est qu'ils aient dû le chercher. En effet, il leur a fallu trois jours pour le retrouver. Cela veut dire qu'ils ne savaient pas très bien où chercher. Ils tâtonnaient alors qu'ils auraient dû tout de suite penser au Temple. Et là, même avec le chemin à parcourir, ils l'auraient retrouvé plus vite.

"Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon Père ?". C'est ainsi qu'est généralement traduit la fin de ce verset'. Mais en réalité, le mot "affaire" n'apparaît pas dans le texte et le verbe utilisé n'est pas "s'occuper" mais "être". Il s'agit d'une formulation un peu elliptique que l'on pourrait traduire par : "Ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois dans la demeure de mon Père ?"
C'est comme si Jésus prenait sur lui toute l'aspiration du peuple de l'Ancien Testament qui désire ardemment une chose : "habiter toute ma vie dans la maison de l'Eternel", comme disait le psalmiste au Psaume 27 que nous avons entendu tout à l'heure.
Mais ses parents ne comprennent pas. C'est vrai qu'ils étaient déjà venus avec lui dans ce même Temple douze ans plus tôt alors qu'il n'était qu'un bébé. Siméon avait rendu gloire à Dieu et Anne, la prophétesse s'était mise à parler de lui, de Jésus, à tous ceux qui étaient dans le Temple. Joseph et Marie avaient été très surpris. Mais de là à comprendre.
Pour nous après coup c'est un peu plus facile de saisir le sens de cette parole. Mais sur le moment même, c'est autre chose. Dans nos vies il en va aussi souvent ainsi. Rétrospectivement nous pouvons voir des signes annonciateurs de tel ou tel événement. Mais dans le feu de l'action, c'est une autre affaire.

Voilà ce que Jésus leur reproche : non pas de l'avoir cherché, mais de l'avoir fait au mauvais endroit, sans véritablement savoir où il se trouvait.
Vous savez, cette interrogation que Jésus adresse à ses parents, c'est la première parole que la Bible nous transmette de lui ; ce sont là les premiers mots que nous trouvons dans sa bouche. Et j'aime cela, j'aime me dire que la première parole que le Christ nous adresse c'est ce "pourquoi ?", alors que d'habitude nous sommes les premiers à lui crier nos "pourquoi ?" C'est comme s'il nous devançait et nous lançait un vibrant appel à apprendre toujours davantage, chacun, chacune mais aussi en tant qu'Eglise, à connaître sa Parole, tout ce qui est dit de lui dans toute l'Ecriture, à saisir sans cesse à nouveau ce que Dieu veut être pour nous. "Ne saviez-vous pas… ?"
Cela rappelle l'ange qui, au matin de Pâques, dit aux femmes : "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant; il vous précède en Galilée, comme il vous l"avait dit." Là non plus l'erreur n'est pas de chercher, mais de chercher à la mauvaise place.

J'aime ce texte. J'aime également entendre le Sauveur, le Libérateur de son peuple dire : "Il faut que je demeure." Ce "il faut" est un tout petit mot grec de trois lettres qui revient souvent dans les évangiles. La plupart du temps il se rapporte à Jésus et on le trouve souvent dans sa bouche : "Il faut que je prêche aussi à d'autres villes", "il faut que le Fils de l'homme soit livré", "il faut que s'accomplisse à mon sujet tout ce qui est dit dans les prophètes"
Jésus n'a que 12 ans, mais toute sa vocation, son ministère, son œuvre de salut est pleinement là. Le Christ, Dieu fait homme, entrevoit la véritable liberté comme l'obéissance à la volonté de Dieu le Père. Non pas une soumission aveugle, mais une obéissance libre et active. Ce lien entre liberté et obéissance serait d'ailleurs vraiment à redécouvrir (mais c'est une parenthèse…).

Dans notre texte, le temps n'est pas encore accompli. Alors Jésus repart avec ses parents jusqu'à Nazareth. Et le récit se termine en disant qu'il grandit en sagesse, en stature et en grâce devant Dieu et devant les hommes. En quelques versets Jésus est passé du "petit enfant" (v. 40) à "l'enfant Jésus" (v. 43) à "Jésus" (v. 52). Ensuite, merveilleuse sobriété biblique, il y aura encore une quinzaine d'années de silence, avant de le voir réapparaître sur le devant de la scène.
Pour nous, avant de nous plonger dans d'autres textes, il n'y aura peut-être que quelques heures, quelques jours ou une semaine.
Mais que ce temps nous soit donné pour que nous puissions méditer cette vocation du Christ, sa vie, son œuvre, et qu'ainsi nous puissions aussi grandir dans la confiance et dans la foi, devant Dieu et devant les hommes. Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jacqueline Dubois
Musique
Myriam Ramseyer, flûte traversière