Osez le contact

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C'était une très belle grand-maman, aux beaux cheveux blancs et au regard rieur. Elle nous racontait ce jour-là, avec humilité : vous savez, dimanche dernier, je suis sortie trois fois de chez moi, en faisant semblant de descendre la poubelle, j'aurais bien voulu rencontrer quelqu'un… Drame de la solitude ? Non, simple besoin normal et ordinaire de contact. Nous en avons tous besoin, de notre tendre enfance à la vieillesse, tant que nous sommes vivants, il nous faut ces contacts d'humain à humain qui nous nourrissent.
Mais il faut bien le dire, ces contacts ne sont jamais faciles. Au contraire, c'est une chose très difficile que de se rencontrer. Il y a les gens qu'on ne connaît pas, alors on évite de leur parler, et puis il y a ceux que l'on connaît trop bien, dont on connaît par cœur les histoires et les plaintes, et qu'on n'a pas envie de rencontrer alors on fait même un petit détour parfois pour les éviter.

De tout temps les contacts humains ont été chose difficile, et il ne faut peut-être pas s'étonner si, dès qu'une société en a les moyens financiers, les individus sont isolés les uns des autres, dans leur petite case, seuls. C'est qu'on a autant envie que peur de contact. Dans la Bible, on trouve un code qui a été donné par Dieu, la Loi, qui est tout entière un mode d'emploi de la rencontre pourrait-on dire. Tous ces préceptes servent à situer chacun à sa juste place, afin que l'on puisse entrer en contact les uns avec les autres, situés devant Dieu et les uns face aux autres, pour qu'une parole soit possible. Juste place également dans la création, car la Loi implique les relations avec tout le vivant, cela fait un tout.
Prenons l'exemple, dans les dix commandements, de ce commandement bien connu : "Tu honoreras ton père et ta mère": en hébreu, honorer signifie donner du poids. Il s'agit donc de donner aux parents leur juste poids. Ils n'ont pas à peser trop lourd sur la vie de leurs enfants et ceux-ci ne doivent pas non plus les considérer comme légers, comme rien. Et si ces parents-là ne sont pas dignes, il ne s'agit pas de leur donner par soi-même le poids qu'ils n'ont pas, ils sont responsables devant Dieu de leur propre vie. On peut se parler si chacun est bien situé.

Lorsque Jésus vient, il constate que la Loi, qui a été donnée pour permettre la rencontre, a été retournée pour la limiter ou l'interdire. Elle est trahie par les pharisiens chargés de l'interpréter, mais on a tous quelque chose de pharisien en nous. Et ce n'est pas par hasard que dans le récit qui précède notre lecture, Jésus s'en prend aux pharisiens justement, qui par une astuce légale, se déclaraient quittes de leurs obligations envers leurs parents.
Au lieu d'ouvrir à l'autre, on utilise la Loi pour mettre des séparations et des murs entre les gens : les purs et les impurs, ceux que l'on peut rencontrer et ceux que l'on ne doit pas voir. Jésus va renverser tout cela : déjà par sa propre vie, son propre exemple. Il va aller vers chacun, même pas spécialement auprès des exclus, mais auprès de tous ceux que les hasards de la vie lui font rencontrer, car ceux-là ont quelque chose à nous faire découvrir. Pas seulement les étrangers " patentés ", ceux qui viennent d'un autre pays, mais chacun qui dans la rencontre me rend différent.
Rencontrer quelqu'un, c'est être rendu un moment étrange à soi même : l'autre n'a pas les mêmes normes, les mêmes habitudes. Il suffit de voir ce qui se passe dans un mariage. Quand il s'agit de comparer comment on fait les choses dans les deux familles. " Chez nous on a toujours fait comme ça, pourquoi faire autrement ? " Jésus, dans le texte qui suit celui que nous avons lu, va rencontrer une étrangère, une Syro-Phénicienne qui va lui révéler que sa mission est encore bien plus importante qu'il ne se l'imagine jusque-là, révélation qu'il n'aurait jamais eue s'il était resté " entre soi " avec les israélites, ceux de son peuple.

Jésus montre l'exemple par sa vie, de s'approcher de chacun. Mais il va aussi expliquer à ses disciples, les encourageant à ne pas avoir peur : ce n'est pas du dehors de vous que vient le danger, que vous courrez le risque d'être " contaminés ". Ces concepts de purs, impurs nous paraissent étranges et un peu archaïques, mais à bien y réfléchir, n'est-ce pas aussi ce que nous pouvons ressentir parfois du contact à autrui ? Ne nous sentons-nous pas parfois contaminés émotionnellement, n'arrivant pas à nous débarrasser des sentiments que quelqu'un, qui nous a parlé sans égard pour ce que nous pouvions supporter, a provoqué en nous. Et ne sommes-nous pas parfois inquiets quand un de nos enfants traîne avec un ami qui nous semble peu recommandable que ses idées le contaminent.
Jésus nous invite à oser malgré tout le contact, parce que, dit-il, ce n'est pas du dehors que vient le danger, il est en vous. Ces paroles peuvent nous paraître dures, et pourtant elles sont libératrices. Cela signifie que Jésus nous reconnaît comme sujets d'une parole : ce qui sort de notre bouche.
Il y a une source en nous, et elle n'est pas atteignable par autrui, les autres n'ont pas ce pouvoir de nous pousser au mal. Cela sort de nous, et c'est vrai que tout être humain honnête sait bien que la source qui sort de lui, sa voix propre, son désir profond, n'est pas encore purifié, qu'il sort de nous du bon et du moins bon. C'est une longue quête que de trouver cette voie royale, notre parole unique. En attendant, nous sommes enclins à dire du mal d'autrui dans une tentative bien inutile de salir les autres pour mieux nous sentir exister. Écoutons le mal que nous disons d'autrui et nous saurons à quoi au fond nous aspirons.

Toute plante que le Père du ciel n'aura pas plantée sera arrachée : cette parole du Christ au milieu de notre passage peut être rapprochée de la parabole du bon grain et de l'ivraie : il fait laisser croître ensemble le bon grain et l'ivraie, il ne faut pas trop s'inquiéter du mal, se consacrer à laisser grandir en nous la bonne plante que le Père a semée : notre désir profond. Le reste tombera de lui-même, comme il ne faut pas trop s'inquiéter de vouloir arracher le mal que l'on pourrait percevoir, dans ce sens-là chez autrui. Mais faire confiance à la force de l'action de Dieu en nous en nous enracinant en Lui.
Et c'est un encouragement à ne pas avoir peur, à nous risquer dans la rencontre qui peut nous faire grandir. Comme cette grand-maman de tout à l'heure, en laissant un peu son orgueil, osez chercher le contact.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
Jane-Marie Ducret
Musique
Trio musical, direction Pierre Strauss