Violence : l'excès du mal

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Vous avez aimé ? Franchement, vous avez apprécié d'entendre ça ? Ce texte de l'évangile de Matthieu qui parle du Jugement dernier, et celui de l'Apocalypse qui dit que chacun sera jugé selon ses œuvres, vous avez apprécié de les entendre ? Moi, vous savez, ce sont des pages auxquelles je n'aime pas trop m'arrêter.
Parce que la Bible est un livre aux pages multicolores. Il y a les pages roses, où on aime entendre répéter que Dieu nous aime. Il y a les pages jaunes, où nous cherchons des informations pour nous orienter dans la vie. Et les pages noires, comme celles-ci : celles qui parlent du Jugement dernier.
Que faire des pages noires ? On ne peut pas toujours les sauter. La confession de foi des chrétiens, elle aussi, parle du Jugement dernier. Elle dit de Jésus-Christ, mort sur la croix et ressuscité, qu'il est monté au ciel et qu'il viendra de là juger les vivants et les morts. L'Apocalypse le dit aussi : "Les morts furent jugés chacun selon ses œuvres." La résurrection, et puis le retour pour le Jugement dernier. Difficile de se dire : on fait comme si on n'avait pas entendu !
Mais à force d'entendre dire que Dieu est bon, à force de feuilleter les pages roses, comment l'imaginer dans la figure de Juge du monde ? Dieu est amour ou Il n'est pas amour ? Beaucoup de gens vous diront : moi, je n'y crois pas à cette histoire de jugement. Ces terreurs sont bonnes pour le Moyen Âge ! Au diable ces vieilleries !
Et pourtant tout le monde - ou presque - partage une conviction qui est à la base du Jugement dernier. Oui, tout le monde. Cette conviction, c'est que notre valeur ne se réduit pas à ce que les autres, aujourd'hui, disent de nous et font de nous.

Nous venons d'écouter un chœur. Eh bien, voyez Mozart, musicien méconnu de son temps et mort dans la misère. Et Van Gogh, dont les tableaux valent aujourd'hui de l'or, il n'en a pas vendu un seul de son vivant. Voyez Camille Claudel, une femme sculpteur dont nous redécouvrons le génie étouffé. Et ceux qu'Israël appelle " les justes ", ceux qui ont secouru des juifs pendant la dernière guerre, au péril de leur vie ou de leur honneur, à qui aujourd'hui on offre des médailles. Et tant d'autres, hommes politiques, écrivains, inventeurs : ce ne sont que les générations suivantes qui leur ont rendu justice, pas leurs contemporains. D'autres, plus tard, ont jugé leur oeuvre et ont reconnu leur valeur, tandis que des célébrités de l'époque, adorées sur le moment, ont disparu dans les oubliettes de l'histoire.
Ce n'est pas tout de suite, c'est après, qu'on mesure la valeur des gens. Mais suffit-il de se dire cela ? Suffit-il de penser que demain, quand mûriront les fruits aujourd'hui inconnus de ce que nous avons fait, demain quand nous aurons disparu, on saura mieux - peut-être - qui nous avons été ? La consolation est maigre. Et la postérité aussi peut se tromper de héros.

Eh bien moi, je crois au Jugement dernier. Je crois que la justice n'est pas de ce monde. L'annonce du Jugement de Dieu, je la reçois comme une promesse, une promesse joyeuse, qu'un jour la valeur des choses et de notre vie surgira dans sa vérité. Et je me répète cette promesse quand je vois défiler à la télévision le visage des enfants de Palestine et d'Israël ravagés par des années de combats, quand je vois les nuages noirs des explosions en Iraq ou quand je songe aux victimes de toutes ces violences, aux innocents châtiés, aux femmes violées, aux hommes libres enchaînés.
Vous cherchez le message de Pâques ? Mais il est là : réjouissez-vous, mes amis, car c'est au Christ qu'appartient le dernier mot sur votre vie, le seul qui compte vraiment. C'est au Christ que l'histoire rendra des comptes. Le ciel n'est pas vide ! C'est à lui que tous les oubliés de la terre peuvent faire appel. C'est vers lui que montent tous les appels, les cris déchirants et les sanglots étouffés.

"Ils furent jugés, dit l'Apocalypse, chacun selon ses oeuvres. La mort et l'Hadès furent jetés dans l'étang de feu. Cette mort, la seconde, est l'étang de feu." (Apoc 20,13b - 4).
On a entendu la promesse du jugement. Mais il y a aussi ces paroles : la seconde mort, c'est la mort éternelle devant Dieu, le refus que le Christ opposera à ceux qui ont piétiné le nom de Dieu et la vie de leurs frères. La seconde mort, c'est la destruction définitive.
Elles sont dures, ces paroles ! Elles choquent. Nous aimerions tellement mieux que tout finisse par s'arranger. Et on se demande : mais que deviennent ici les paroles de Jésus - qui pardonne, même à ses bourreaux. "Père, pardonne-leur car ils ne savent ce qu'ils font." Mais les lâches, mais les infidèles, les meurtriers, les gens immoraux dont parle notre texte (21, 8), il ne prie pas pour eux, Jésus ? Est-ce qu'on estime qu'eux, ils savaient ce qu'ils faisaient ? N'y a-t-il pas un espoir que Dieu sauve les pécheurs, comme Jésus n'a cessé de le dire et de le faire ? Et puis, sommes-nous certains de ne pas en être, de ces lâches sur qui s'abat la colère de Dieu ?

N'attendez pas qu'à cette question, qui nous tourmentera toujours un peu, je réponde de manière définitive et absolue. Je vais risquer trois convictions, et je les laisse à votre réflexion.
Ma première conviction, c'est que l'annonce du Jugement n'est pas une menace, mais un signal.
Entre menace et signal, la différence est énorme. Jésus a parlé du jugement. Jésus lui aussi a affirmé que Dieu se prononcera sur notre vie, essentiellement sur nos actes. Pour Jésus aussi, l'attente de Dieu peut être déçue ou alors Dieu se réjouira de regarder nos vies et ce qu'elles contiennent ! Mais jamais - entendez bien : jamais - Jésus ne brandit la nouvelle du jugement comme le font certaines sectes aujourd'hui, en l'agitant comme un épouvantail. Visant toujours les autres, tandis que les élus se calfeutrent au chaud, à l'abri de leur certitude illusoire d'être sauvés. Jamais Jésus ne brandit le jugement pour protéger les uns et menacer les autres. Le Jugement pour lui n'est pas une menace, mais un signal. Et ce n'est pas parce que le signal "virage dangereux" se dresse au bord de la route qu'il faut trembler et perdre nos moyens. L'annonce du Jugement est un signal par lequel Jésus Christ préserve notre vie de tomber dans le fossé.

Ma deuxième conviction, c'est que l'annonce du Jugement ne nous traite pas comme des enfants, mais fait de nous des humains appelés à répondre de leurs actes, des adultes, des êtres responsables.
Et là, on touche quelque chose de très profond : le sens, la dignité de ma vie, c'est que je devienne adulte. Et je ne le deviens pas d'un coup. C'est d'un enfant qu'on dit : il n'y est pour rien, excusez-le; il n'est pas responsable, ça n'est pas de sa faute. L'adulte dit : c'est moi qui ai fait ça ; pour ma fierté ou par ma honte, je peux vous dire : c'est moi. Eh bien, pour notre vie, c'est la même chose. Quand on aura dit de notre vie " ceci et cela il l'a reçu, ou il ne l'a jamais reçu, il a eu de la chance dans la vie, ou il n'a pas eu de chance " - eh bien, quand on aura dit tout ça, j'espère que derrière ce fatras d'excuses je pourrai dire : oui, c'est moi. De ma vie, je réponds. J'ai aimé, oui. Non, je n'ai pas aimé. J'ai donné, oui. Ou bien : non, j'ai gardé pour moi. Non seulement j'accepte qu'on me juge, mais je réclame qu'on se prononce sur mes actes. Car je ne suis pas que le fruit du hasard ou le jouet des circonstances. J'en ai fait quelque chose. Je suis moi. Ce passé et ce présent sont les miens.
La prédication du Jugement me confirme que devant Dieu, je ne suis ni un gosse dont on sourit lorsqu'il fait des bêtises, ni un animal irresponsable, mais un être adulte. Un partenaire. Moi. Pour mon plaisir et pour ma honte, au Jugement, je répondrai de ma vie.

Ma première conviction était que l'annonce du Jugement est un signal, pas une menace. Ma deuxième conviction est que le Jugement me prend pour un adulte, pas pour un gosse. J'ai une troisième conviction.
Devant l'annonce du Jugement, Luther disait : " Je n'y arriverai jamais. Mais je me sais déjà pardonné, à cause de ma foi. " Il voyait juste, Martin Luther : pardonné, à cause de ma foi. Maintenant, voilà la question : que fais-tu de ce pardon reçu, de la paix qui a été donnée, de l'amour partagé ? Parce qu'il ne s'agit pas de les ranger à la cave, comme des bocaux à confiture, dans l'attente des froidures du Jugement dernier. Ils ont été donnés pour que tu portes du fruit. Et ces fruits seront une bénédiction, pour toi et pour bien d'autres. Alors, devant ces fruits, devant ce pardon reçu et partagé, cette paix octroyée mais multipliée, devant cet amour reçu et vécu au jour le jour, alors le Dieu du grand trône blanc se réjouira de te dire : " Entre dans la joie de ton maître ! "

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Carine Du Pasquier (piano)
Musique
Choeur Quilisma (8 pers.), direction Carine Du Pasquier