Persécutés ?

image

Dimanche prochain, le temple du Prieuré, dans notre paroisse de Pully-Paudex, rouvrira ses portes après plus de trois ans de travaux. Il a, en effet, été la victime d'un incendie criminel dans la nuit du dimanche au lundi de Pâques 2001. Nous avions déjà à l'Ascension 2000 vu un autre temple de notre paroisse, celui de Chamblandes, être partiellement détruit par des flammes criminelles. Des tentatives semblables ont été menées contre deux autres temples de la région : à St-Paul (Lausanne) et St-Sulpice, sans grands dégâts heureusement. Dans trois de ces quatre cas, l'attentat était signé. Il s'agissait d'une attaque directe au christianisme. Voilà que le choc des civilisations venait nous toucher de très près.
Pareille volonté de s'attaquer au christianisme n'est pas isolée. Une constellation d'actes bien plus graves entre en résonance avec ce qui s'est produit chez nous. Des affrontements entre chrétiens et musulmans ont tout récemment fait 50 morts au Nigeria. C'était un entrefilet dans le journal alors que la mort d'un soldat américain en Irak y faisait l'objet d'un long article ! Et souvenons-nous du conflit qui ne cesse de s'éterniser au Sud-Soudan. Il y a quinze jours, nous récoltions ici même de l'argent pour la construction de villages de la paix en Indonésie - via l'EPER - où des affrontements interethniques et interreligieux (entre chrétiens, musulmans et hindouistes) ont fait ces dernières années plus de 400 morts, des milliers de déplacés, des mosquées, des églises et des temples détruits. Je lisais aussi récemment que les chrétiens de certaines régions du Sri Lanka étaient régulièrement menacés par des bouddhistes. Des missionnaires chrétiens ont récemment payé de leur vie leur attachement à Jésus-Christ là où l'hindouisme se fait intégriste. On pourrait poursuivre longtemps encore cette liste.
Le christianisme qui n'a cessé d'être persécuté tout au long de son histoire continue donc bien malencontreusement de l'être. Or ce qui me frappe, c'est que la plupart des chrétiens d'ici se bouchent yeux et oreilles pour faire comme si de rien n'était. Ce qui m'a le plus frappé pendant ces trois ans de reconstruction du Prieuré, c'est qu'on a systématiquement occulté toute réflexion sur les menaces qui planent sur le christianisme jusque chez nous. Lorsque j'ai voulu les évoquer on m'a fait comprendre qu'il ne faut pas dramatiser, qu'un événement isolé n'est pas une règle, que ce type d'attentat a maintenant pris fin. La seule préoccupation des Pulliérans a été de reconstruire notre temple tel qu'il était auparavant pour que l'on puisse poursuivre comme avant notre vie bien tranquille dans une terre qui nous semble avoir de toute éternité été chrétienne. On aurait mieux fait d'y voir une parole que Dieu nous adressait pour nous secouer, nous faire réfléchir, nous faire redécouvrir les fondements de notre foi.

Disciples d'un maître scandaleux
C'est que nous sommes, en effet, les disciples d'un maître scandaleux. Au moins dès le début de son ministère, il a suscité l'indignation. Certains évangiles nous disent même que ce scandale, il l'a provoqué dès sa naissance et qu'il se situe en fait dans la droite ligne des prophètes persécutés de l'Ancien Testament. Pourquoi le maître fut-il donc une pierre d'achoppement ?
Historiquement, il semble qu'il ait eu à cœur de contester et la loi et le temple : les deux piliers du judaïsme de son temps. Il a annoncé que plutôt que de vouloir plaire à Dieu par des sacrifices et un respect scrupuleux de commandements, l'essentiel était de vivre grâce à Dieu, de Le laisser régner sur nos vies, de Le laisser faire irruption dans notre quotidien et le déterminer. Ce faisant, il remettait radicalement en question les habitudes religieuses de ses contemporains israélites - comme du reste les nôtres !
La contre-attaque ne se fit pas attendre. Qui était ce Galiléen qui se prétendait supérieur à la loi et au temple ? Quelle prétention de la part de celui dont on connaissait le père ainsi que les frères et sœurs d'affirmer qu'en lui s'accomplissait les prophéties messianiques de l'Écriture ! Comment peut-il parler de la part de Dieu pour remettre en question l'ordre établi de toute éternité sur la parole de Dieu ? A croire qu'il se prend pour l'incarnation de Dieu : Dieu venu en personne pour remettre les pendules à zéro !
On sait la suite : un procès expéditif pour faire au plus vite disparaître le trouble-fête. Et voilà que celui qui avait voulu réconcilier le monde avec Dieu en meurt sur une croix. Nous sommes disciples de ce scandaleux crucifié. Il semble donc normal que les chrétiens fidèles à leur maître subissent le même sort que lui : pour le moins le rejet scandalisé.
Certains chrétiens vont même jusqu'à dire qu'une Église qui n'est pas persécutée ne saurait être fidèle à son maître. Ils en arrivent ainsi à chercher la persécution pour se persuader qu'ils sont bien dans la vérité. Je crois qu'ils ont tort de penser qu'une persécution artificiellement provoquée soit une preuve de la véracité de ce qu'ils annoncent au monde. Mais je crois aussi qu'il faut se poser des questions quand le message d'une Église ne provoque plus aucun scandale. Est-elle encore fidèle à son maître et à son Dieu ?
Nous n'en sommes cependant pas encore là ou n'en sommes plus là ! Le christianisme est aujourd'hui contesté. Certains veulent son anéantissement. Le problème serait plutôt la résignation des chrétiens face à cet état de fait. Car il y a de quoi se sentir démuni devant les attaques que subit aujourd'hui le christianisme.

Résignés à être persécutés
1. Il y a d'abord, pour nous encourager à la résignation, ce que dit la Bible. Nombre d'écrits du Nouveau Testament parlent de la haine du monde comme d'une conséquence nécessaire et automatique de la décision de suivre le maître scandaleux. L'évangile de Jean en parle. Paul décrit ce qu'en la matière il a vécu dans sa chair. L'épître aux Hébreux, la première de Pierre ou l'Apocalypse font directement allusion à des situations de persécution. Et, dans le texte que nous avons entendu tout à l'heure dans l'évangile de Marc, Jésus annonçait comme irrémédiables des persécutions de la part de la société (13, 9), mais aussi au sein de la famille (13, 12). Et ce passage se termine sur l'affirmation : " Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. "

2. Il y a ensuite un certain nombre d'injonctions comme celle de tendre l'autre joue lorsqu'on est agressé (Mt 5, 39) qui incitent à ne pas résister à la violence dont nous pouvons être l'objet en tant que chrétiens. En un mot, nous avons été éduqués à la tolérance. J'ai un jour soumis un manuscrit à un éditeur sur l'interreligieux. Il l'a en un premier temps accueilli avec enthousiasme. A une deuxième lecture, il y a découvert que j'y défendais non seulement la spécificité du christianisme, mais sa supériorité - jusqu'à plus ample informé - sur les autres religions. Il a finalement renoncé à sa publication parce que cela eût, à l'heure actuelle provoqué, un trop grand scandale. Ce en quoi le christianisme a peut-être le plus marqué notre culture, c'est l'invitation à être gentil avec qui diffère de moi, à tout tolérer.
Mais c'est oublier un problème que les apôtres de la tolérance au XVIIIe siècle avaient pourtant parfaitement identifié : " Peut-on être tolérant avec les intolérants ? " N'est-ce pas à terme voir disparaître tous les tolérants et triompher l'intolérance ? Le christianisme doit-il tresser la corde avec laquelle on le pendra ? Doit-il, par amour du prochain, scier la branche sur laquelle il est assis ? Certes, il ne s'agit en aucun cas de légitimer l'extermination de l'autre parce qu'il est autre. Certes il ne s'agit pas de priver les adeptes d'autres religions du droit à la liberté de pensée et du droit à exprimer librement leurs convictions. Mais lorsque l'autre ne me reconnaît pas ces droits fondamentaux et se met à attenter à ma liberté de conscience en brûlant des églises, en m'interdisant d'en construire ou en tuant des vies, alors il faut réagir.

3. L'humeur est pourtant à la capitulation plutôt qu'à la réaction. Et on invoque la longue histoire de la persécution des chrétiens. Ceux-ci ont été persécutés par le pouvoir politique, par les adeptes d'autres religions et de pseudo-religions comme le marxisme et le nazisme, par leurs coreligionnaires dans les conflits interconfessionnels. L'argument est alors que, non seulement les persécutions sont inévitables, mais que le christianisme en a toujours réémergé. Certains ajoutent même qu'il en est ressorti fortifié.
Il est vrai que la confrontation avec l'obstacle, avec la tentation ragaillardit la foi chrétienne. Faisons toutefois remarquer que ce n'est pas quand les chrétiens ont capitulé face à la persécution qu'ils en ont été renforcés dans leurs convictions ! C'est bien quand ils ont résisté avec vigueur que le christianisme en a tiré un bénéfice certain. La quasi-fatalité de la persécution du christianisme ne doit pas inciter les chrétiens à la nonchalance, mais à la résistance.

4. Lorsqu'on parle de persécution du christianisme, il ne faut pas oublier une persécution bien plus insidieuse qui mine aujourd'hui le moral des chrétiens sans qu'il ne se rende tellement compte. Il s'agit non d'églises brûlées ou de chrétiens agressés physiquement, mais de l'indifférence dont sont l'objet, en Occident particulièrement, les grandes affirmations du christianisme. Un sondage auprès des jeunes britanniques révélait en début d'année que la personnalité qui les marquait le plus était le footballeur Beckham. Jésus-Christ arrivait en 140e position à égalité avec - devinez qui ? - Georges W. Bush, ce qui a fait dire à l'un de mes collègues que ce n'était pas la première fois qu'il se trouvait en compagnie d'un larron ! Face à l'indifférentisme ambiant, il y a de quoi baisser les bras. Que faire quand les églises ne sont plus aussi pleines qu'une fois ? Que faire quand nombre d'adultes de 30-40 n'ont plus aucune culture biblique ? Quand on est confronté à la mollesse de l'athéisme pratique, on en vient parfois à demander une bonne persécution bien dure à la manière d'antan. Et pourtant, combien ne se consolent-ils pas de la décadence du christianisme en se disant que déjà l'apôtre Paul savait que Dieu choisit les choses faibles de ce monde ( I Cor 1). On oublie cependant qu'il ne les choisit pas pour qu'elles restent faibles, mais pour manifester au travers d'elles sa force et pour confondre les fort de ce monde ! Ce choix de Dieu ne doit pas inciter à la démission, mais à l'acceptation de la mission qu'Il nous confie.

Appelés à témoigner d'une crise
Notre réflexion antécédente nous a conduits à nous conforter dans cette idée que nous n'avons pas le droit de nous résigner à la persécution. Car être martyr, c'est d'abord, au sens étymologique du mot, être témoin. Et Jésus nous invite fondamentalement en tant que disciples à être ses témoins là où nous sommes et là où Dieu nous conduira.
Dans la petite apocalypse de Marc 13, nous avons bien entendu que des persécutions sont prédites aux chrétiens. Mais n'oublions pas d'entendre aussi qu'" il faut que l'évangile soit proclamé à toutes les nations " (13, 10). Quand on sera livré aux tribunaux et aux synagogues, il s'agira de ne pas être inquiets à l'avance de ce que l'on dira : c'est dire qu'on est appelé à y témoigner (v. 11). Il s'agira même de profiter de comparaître devant des gouverneurs et des rois pour qu'ils aient un témoignage (v. 9).

Mais quel sera donc le contenu de ce martyre, de ce témoignage ? Nous avons entendu un compte-rendu de la prédication de Pierre chez Corneille. Il y affirme que Jésus l'a chargé lui et d'autres de " proclamer au peuple et de porter ce témoignage : c'est lui, Jésus, que Dieu a désigné comme juge des vivants et des morts. " (Ac 10, 42). Nous avons à proclamer un jugement. Non certes notre jugement sur le monde, car nous ne sommes pas juges, mais le jugement - en grec, la crise - que Jésus est venu provoquer dans le monde.
Être chrétien, c'est non pas se résigner à vivre dans un monde dépravé, athée, insouciant et agressif, mais c'est dénoncer ce monde comme monde, c'est-à-dire comme dominé par le péché, la rupture d'avec Dieu. Être chrétien, c'est dénoncer ce monde refermé sur lui-même ou ouvert à quantité de faux dieux. Être chrétien, c'est oser rappeler que la figure de ce monde est appelée à passer et à laisser - dès ici et maintenant - place à un autre monde fondé sur une relation complètement renouvelée avec Dieu.
En d'autres termes, face à ceux qui brûlent nos églises, face à ceux qui tuent nos coreligionnaires, face à ceux qui nient par leur indifférence la valeur de la religion chrétienne, face à ceux qui, au supermarché du religieux, croient pouvoir se fabriquer une religion et un Dieu à leur convenance, il s'agit d'affirmer la supériorité - jusqu'à plus ample informé - du christianisme. Répétons-le. Il ne s'agit pas de la défendre au sens où nous devrions imposer à l'autre notre foi au prétexte qu'elle est supérieure à tout autre. Il ne s'agit jamais que de la proposer. Mais il s'agit d'engager le dialogue non avec un esprit de peur et d'esclavage (Rm 8, 15), mais avec une certitude, une conviction fermement ancrées.
Certes pareille attitude suscitera des résistances et de nouvelles persécutions, mais sommes-nous vraiment à ce point peureux et si peu respectueux de la mission que Jésus nous a confiée ?

Détails

Avec la participation de
Orgue
Monique Fontannaz
Musique
Choeur Le Carillon, direction Françoise Farkas