Nous accompagnons souvent des personnes âgées, notamment celles qui vivent dans des homes. Souvent, la plus grande difficulté dans la maladie et surtout dans le vieillissement, c'est la perte d'autonomie. Ne plus pouvoir cuisiner, faire ses courses, se déplacer sont des sujets d'angoisse et de souffrance.
Cette expérience ne date pas d'aujourd'hui. L'Ancien Testament la relate dans un texte tiré de l'Ecclésiaste. L'auteur y décrit la vieillesse et la perte d'autonomie. Pour ce faire, il emploie des images voilées, parfois difficiles à comprendre pour nous. "Le fil d'argent se détache, le vase d'or se brise, la cruche à la fontaine se casse " évoquent le relâchement des forces et l'approche de la mort. Toutes les images utilisées sont des allégories qui rappellent la difficulté et la souffrance liées au vieillissement et à la mort.
Pourtant, je vous invite à être particulièrement vigilant au dernier verset (v. 7) du texte que nous allons entendre dans Ecclésiaste, au chapitre 12, les versets 1 à 7. On pourrait tenir l'Ecclésisaste pour un homme sans espoir, mais il est doté d'un esprit réaliste et lucide. Il a la passion de l'authentique. Certains d'entre vous se seront peut-être reconnus dans ces affres de la vieillesse, mais aussi de la maladie. Mais j'espère que vous aurez également retenu le dernier verset : " A ce moment-là, le corps de l'homme s'en retourne à la terre d'où il a été tiré et le souffle de vie s'en retourne à Dieu qui l'avait donné. ". Ce dernier verset nous apporte un autre réalisme : le réalisme d'une espérance, d'une foi qui croit que le souffle de Vie s'en retourne vers Dieu qui avait lui-même donné ce souffle. Il y aune sorte d'ambivalence entre cette peur de vieillir et l'espoir de la présence inconditionnelle de Dieu, ici et au-delà de la mort.
Ce matin, nous aimerions vous apporter le témoignage d'un homme de notre temps qui a eu le courage de mettre par écrit ses tourments, ses peurs, les handicaps qui découlent de la perte d'autonomie due à la vieillesse. Mais dans ses textes transparaissent la confiance et la certitude de la présence de Créateur. Les 2 poèmes que vous allez entendre sont nés de l'expérience de Monsieur Eric Petitpierre qui a vécu quelque temps de convalescence dans un home de la Chaux-de-Fonds.
" La promenade "
Je fais une petite promenade
A petits pas dans la rue
Et je suis étonné de m'y voir
Après tout ce temps.
Et je vais lentement
Près des vieux murs rouillés
Et des grands arbres qui me reconnaissent
Et semblent me faire signe
Et me dire : " Tu as vieilli
Tu trembles, tu n'es plus le même."
Et je m'appuie sur la jeune fille
Qui m'accompagne
Heureux d'être,
Ecoutant l'avion qui passe,
La cloche qui sonne,
Le choc des poubelles sur le trottoir,
Les cris des enfants,
Et mon cœur qui bat
A l'unisson
Avec tous les bruits de la vie.
" La veilleuse "
Il fait nuit
Une porte s'ouvre
Un rayon de lumière luit
Quelqu'un est là
Dans l'entrebâillement de la porte
Qui regarde.
Je sens que son regard
Plonge dans l'obscurité de ma chambre
Et je reste immobile
Dans mon lit
Intrigué et… tranquille.
Il est minuit.
Dans la maison naguère pleine de va-et-vient
Et de travaux,
Tout dort.
Tout repose dans la paix et le silence
Et pourtant quelqu'un veille.
Une conscience est là attentive.
On dirait que malgré l'obscurité
Son regard se pose sur chaque chose,
Que son œil habitué voit.
Mon Dieu, mon Dieu
Dans mes errements
Et mes erreurs
Et dans ma profonde nuit
N'es-tu pas là toi aussi ?
Œil profond,
Présence éternelle invisible,
Paternel regard,
Qui me suit dans ma vie intime
Et qui me dit que nulle part n'existe
De véritable solitude.
(2 poèmes tirés de l'ouvrage de M. Eric Petitpierre, "Temps présent, temps béni", Eds Imprimerie des Montagnes)
Face à cette souffrance, que nous enseigne le Christ ? Qu'attend-il de nous dans cette expérience ambivalente? Quelle est notre responsabilité de croyant ? Et jusqu’où va cette responsabilité et notre accompagnement ? Nous vous proposons de revivre l'histoire narrée par l'évangéliste Luc : l'homme malade porté par d'autres hommes pour aller à la rencontre de Jésus. (Luc, chap. 5, v. 17 - 19)
"Des gens arrivent, portant sur ne couche un homme paralysé. " Lc 5, v. 18. Voilà des gens qui portent leur ami. Ils lui parlent aussi sans doute. Ils l'encouragent ; ils sont en relation avec lui.
Le Visiteur n'est-il pas en quelque sorte un " Porteur " ? Selon l'Evangile, notre vocation première, c'est d'être avec les gens, là où ils souffrent. Dieu est avec nous tous les jours : Dieu est avec nous aujourd'hui. Et notre désir, c'est que d'autres fassent l'expérience de sa présence. Pour les Visiteurs que nous sommes, c'est de cela qu'il s'agit : manifester, révéler la compassion de Dieu. De ce Dieu d'amour. Comment faire cela ? Comment manifester la compassion de Dieu ?
Nous pouvons manifester la compassion de Dieu par le désir d'être présent aux autres. Il est très important de prendre conscience de cette réalité, de cette force : notre présence et surtout notre écoute, écouter vraiment. Certaines personnes s'imaginent parfois que écouter veut dire s'asseoir et entendre les mots de celui qui parle. Non, écouter implique ma participation, mon engagement, ma réflexion.
Je dois écouter avec tout mon être, avec tout ce que je suis : mes mains mes yeux, mes oreilles. J'aimerais que l'autre comprenne et sente que je suis là parce que j'ai envie d'être avec lui, envie d'entrer en relation avec lui. Rétablir le contact avec la Vie, et croire que, de là, peut jaillir quelque chose de neuf. Quelqu'un disait : "Il faut que la personne comprenne que tu veux non seulement écouter son histoire, mais encore que tu veux l'écouter avec ton histoire à toi. "
Ecouter l'histoire de l'autre avec mon histoire ne veut pas dire que j'ai à parler de moi, à étaler mes problèmes. Cela veut simplement dire que je dois écouter avec mes tripes, avec mon cœur, avec tout mon être, afin que l'autre puisse sentir que je suis une personne, un humain, un proche et que je suis avec lui. L'abbé Pierre disait : "Tout homme porte en lui, un peu en creux, comme la marque de Dieu; et c'est une soif d'amour illimité ".
L'intervention des porteurs s'arrête là. Ils ont porté le malade, ont permis qu'il rencontre le Christ. Après, on ne sait plus rien d'eux. C'est peut-être aussi là que s'arrête notre responsabilité de Visiteur. Pourtant, l'histoire racontée par l'évangéliste Luc continue. La suite nous emmène dans la grande question du pardon. Et là commence l'histoire de l'amour de Dieu pour nous, que nous soyons Visiteur ou Visité. (Luc 5, 20-26). Jésus ne dit pas : je te pardonne, mais : "tes péchés te sont pardonnés."
En cherchant dans le dictionnaire historique, sous péché, je trouve faute, action coupable, erreur. C'était avant l'apparition du langage théologique qui a donné au mot péché une autre connotation. Et, dans le même dictionnaire, pardonner, c'est : " faire remise de, laisser la vie sauve à un condamné, tenir une offense comme non avenue ". Qu'est-ce qui nous paralyse, que l'on soit Visiteur ou Visité ? Le plus souvent, c'est le sentiment d'avoir commis une faute ou bien le sentiment qu'on ne fait pas assez bien. On se sent coupable ou imparfait.
Si je prends l'exemple d'une faillite, il y a eu erreur ou imperfection. Dès lors, il est impossible de recommencer, la dette empêche tout, jusqu'à ce qu'elle soit éteinte. Mais si elle était remise, alors il y aurait possibilité de recommencer à zéro. C'est bien ce que nous enseigne ce texte. La dette est éteinte, il est possible de recommencer à zéro.
Plus besoin de se culpabiliser, l'erreur est tenue comme non avenue, comme si elle n'avait pas eu lieu. Tout ce qui paralyse est enlevé. Plus besoin de tout maîtriser. A trop vouloir bien faire, on en oublie ce qui fait l'homme : une suite de tentatives, d'erreurs, de fautes. La paralysie qu'entraîne cette impression d'être imparfait est enlevée aussi.
Parfois, lors de nos visites, nous rencontrons des personnes agitées, troublées, chargées par leur passé, par leurs erreurs. En ayant la possibilité de se raconter, de relire leur passé, en leur rappelant le cadeau du pardon de Dieu, je vois certaines se relâcher, marcher plus sereinement vers leur fin. Elles ont entendu, d'une manière ou d'une autre, d'une personne ou d'une autre, ces paroles de pardon. Leur poids leur a été enlevé.
Mais en tant que Visiteur, cette partie ne nous appartient plus. Nous pouvons tout au plus rappeler la promesse du pardon de Dieu, mais nous n'avons pas de maîtrise sur ce que se passe entre Dieu et notre vis-à-vis.
Et cela aussi, c'est libérateur pour tout un chacun qui s'engage et qui accompagne : nous faisons un bout de chemin ensemble, mais l'essentiel reste entre les mains du Christ.
Vous ici présents dans le Temple de l'Abeille, vous, les auditeurs de la radio, que vous soyez jeunes ou vieux, que vous soyez en bonne santé ou affaiblis pas la maladie, nous avons envie de vous redire notre joie : nous sommes, vous êtes les Aimés et les Pardonnés de Dieu.
Amen !
Un bout de chemin ensemble
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