Écouter le culte :
Qui n’a jamais vécu l’expérience douloureuse de « passer à côté » ? Comme par exemple, passer à côté d’une rencontre, d’une opportunité de se mettre au service d’un ami ? Ou encore, passer à côté d’un coucher de soleil, passer à côté des joies et des peines de mes enfants, de mon collègue ? Je pense que, comme le prêtre et le Lévite de la parabole, nous passons souvent à côté les uns des autres… ou pour l’exprimer autrement : nous passons à côté de notre prochain.
Mais qui est mon prochain ?
Cette question formulée par le docteur de la loi à Jésus posait un réel problème aux rabbins de l’époque. Les pharisiens et esséniens considéraient comme des prochains seulement ceux qui faisaient partie de leur confrérie.
La majorité des rabbins enseignaient que tous les Juifs étaient des prochains ; par-contre, ils estimaient que le commandement d'amour ne concernait ni les païens ni les idolâtres.
Enfin, il existait des rabbins très ouverts, qui pensaient que tous les êtres humains étaient des prochains, quelles que soient leur race, leur nationalité, leur religion.
Jésus se positionne clairement en faveur de cette dernière façon de voir. Mais il va plus loin. Il raconte la parabole pour que la réponse soit apportée du point de vue du blessé.
Car si on avait posé la question « Qui est ton prochain ? » au blessé, il aurait pu répondre ceci : « Je me fiche complètement de vos débats théologiques. Ça m’est égal que vous soyez prêtre, Lévite ou un Samaritain impur. La seule chose qui compte, c’est que vous vous arrêtiez, que vous reconnaissiez ma souffrance. »
Le vrai problème, ce n'est pas le débat théologique du docteur de la loi. Ce n’est pas son interprétation qui est importante – non ! La vraie urgence, c’est cet homme blessé, à terre, démuni et souffrant.
Et c’est peut-être une première piste pour découvrir qui est mon prochain : pour considérer quelqu’un comme mon prochain, je dois apprendre à me décentrer de moi-même, à m’ouvrir à d’autres façons de penser, sans me renier, mais en élargissant mon horizon d’expériences et de rencontres.
La deuxième piste, c’est de voir mon prochain comme celui qui s'approche de moi, qui ne passe pas à côté, qui s’arrête pour m'aider, pour partager mes joies, pour m’épauler dans la réalisation de mes rêves.
Parfois, par fierté, par pudeur ou par peur, nous n’osons pas demander de l’aide. Alors nous passons à côté de cette réalité humaine à savoir : nous sommes dépendants les uns des autres. Il ne faut jamais oublier la force que nous recevons de celles et ceux qui nous entourent ou que nous rencontrons au détour de chemin. Si on y réfléchit d’un peu plus près, notre route est jalonnée de Samaritains qui se sont faits nos prochains et qui nous ont fortifiés.
Cela m’amène d’envisager une troisième piste pour découvrir qui est mon prochain. Lorsque nous sommes dans ce mouvement d’amour du Samaritain, prochain, c’est Dieu qui agit à travers nous. A notre insu, Dieu se rapproche de nous et finalement devient notre prochain. Ainsi, le mot prochain prend une signification beaucoup plus large : il n’est plus seulement celui qui est en face de moi, mais Dieu devient mon tout proche.
Si Dieu devient mon prochain, il n’est plus le lointain, l’inaccessible, comme on le désigne parfois. Nous rejoignons ainsi le passage du Deutéronome que nous avons entendu tout à l’heure. Si on remplace le mot « commandement » par « Dieu », cela donne :
« Dieu n’est pas difficile à atteindre. Il n’est pas au-delà des mers et nous n’avons pas à aller au-delà de la mer pour le trouver. Dieu est tout proche, il est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu mettes sa volonté en pratique. »
La quatrième piste que je vous propose pour avancer dans notre perception du prochain m’a été offerte par une dame que j’ai rencontrée dernièrement dans un centre de soins palliatifs.
Cette femme était au clair sur sa mort prochaine. Sa souffrance se situait plutôt autour de tous les actes qu’elle ne pouvait désormais plus accomplir : elle a établi une longue liste : elle était désormais incapable de marcher, de faire la cuisine, d’accompagner sa famille pour des sorties, de faire le ménage de se subvenir à elle-même. Mais à la fin de sa liste, elle a ajouté : « Heureusement, je pourrai encore ‘Être’ ! »
J’ai trouvé cette réponse tellement belle et profonde. Je l’ai alors invitée à établir une autre liste de tout ce qu’elle pourrait encore Être : « Je pourrai Être jusqu’à la fin une épouse, une maman, une femme de foi et de prières, une femme d’espérance, un témoin de la beauté de la vie. »
Je suis très reconnaissante envers cette dame, car elle m’a rappelé quelque chose d’essentiel : la question du prochain se joue dans l’Être et pas seulement dans le Faire.
Être dans la vérité, dans l’authenticité, c’est ne pas passer à côté de l’autre, mais au contraire, c’est en prendre soin.
Être vrai, dans ses forces comme dans ses fragilités, c’est respecter sa condition d’être humain, faillible, capable du meilleur comme du pire, et créé ainsi par Dieu. C’est se montrer le prochain de l’autre et de soi-même.
Tout à l’heure j’ai fait allusion à nos ratés d’être « passés à côté » de notre prochain. Eh oui ! Même en cernant mieux qui est mon prochain, je ne peux que constater que nous peinons à vivre ensemble, que ce soit dans nos cercles familiaux, paroissiaux, professionnels et autres.
Alors que faire ? Avoir des regrets, des remords, de la culpabilité ? S’auto-flageller, pleurer, s’enfermer, et renoncer à toute tentative de vivre ensemble ?
Je vous invite à revenir à la parabole et à observer ses protagonistes. Je pense que nous pouvons nous identifier à tous les personnages de cette histoire. N’avons-nous pas été un jour ou l’autre :
- Brigands… de par notre violence,
- Prêtre… de par notre indifférence,
- Lévite… de par notre rigidité légaliste,
- Blessé… de par la vie
- Samaritain… de par notre amour désintéressé,
- Âne… de par notre partage de fardeaux avec d’autres,
- Aubergiste… de par notre aide mesurée ?
Ils sont tellement comme nous ces personnages. En eux se côtoient : ombres et lumières, peur et courage, maltraitance et soin.
En se prenant pour ces personnages, le risque serait de se montrer fataliste et de se dire que, finalement, que nous soyons Lévite ou Samaritain, ça ne fait pas une grande différence, « C’est la vie ! »
Non ! Ne nous y trompons pas : il y a une invitation claire de Jésus à être Samaritain, à ne pas passer à côté de mon prochain ! Nous devons tendre à cette voie, avec nos limites humaines.
Mais sur ce chemin, nous pouvons avancer en toute sérénité et dans la confiance absolue que c’est d’abord Dieu qui est notre Prochain.
C’est parce que je me sais aimée de Dieu que je peux l’aimer et, dans un même mouvement, aimer mon prochain… celui, celle-là même qui est aussi enfant de Dieu.
Amen