Écouter le culte :
Les pierres sont-elles éternelles ?
Je te pose cette question, à toi, Jean-Paul, qui est tailleur de pierres et qui a œuvré dans cette église de Môtiers pendant un an et demi.
Jean-Paul : Oui ! il y a toujours eu des pierres et il y aura toujours des pierres. Elles sont le socle de notre manteau terrestre.
En ce qui concerne les pierres de construction, elles sont, en quelque sorte, éternelles, car même détruites, on peut les réutiliser d’une autre façon. On peut leur donner une nouvelle vie.
Alors les pierres de cette église vont-elles encore durer pour les siècles à venir ?
Jean-Paul : L’église est déjà bien âgée, donc on peut imaginer qu’elle puisse encore rester debout très longtemps. Mais pour cela, il faut entretenir, soigner la pierre. C’est ce qui s’est passé durant les travaux de rénovation.
Qu’est-ce qui peut fragiliser et détruire une pierre ?
Jean-Paul : La nature use, patine, transforme la pierre, mais elle ne la détruit pas. Seul l’humain peut fragiliser, voire détruire la pierre.
Tous nos monuments étaient prévus pour durer dans le temps, mais leurs constructeurs n’avaient pas imaginé que l’ère de l’industrie produirait un grand nombre de métaux lourds tels que le charbon, le souffre, le cuivre. Ceux-ci sont rejetés dans l’air sous forme de pluies acides. C’est cette pollution de l’air qui fragilise, voire détruit les pierres de nos monuments.
Comment on peut pallier cette fragilisation des pierres ?
Jean-Paul : On peut nettoyer régulièrement la pierre pour la débarrasser des métaux lourds. On peut donner une nouvelle vie à une pierre : par exemple, la pierre qui a subi un incendie pourra être réutilisée, même si elle prendra une couleur rosée. Elle deviendra alors plus dure extérieurement et plus fragile à l’intérieure.
Comment ressens-tu la pierre ?
Jean-Paul : Tout le monde voit l’extérieur de la pierre. Mais ce qu’elle est appelée à devenir est inscrit dans ses gènes. Moi, je ne fais qu’enlever le surplus pour dégager la vie à laquelle la pierre est destinée.
Merci beaucoup à toi Jean-Paul, pour ces réponses passionnantes !
Tes réponses soulignent le contraste que je perçois entre les deux textes bibliques de ce jour :
- Un contraste temporel : les pierres du temple sont censées durer pour toujours mais leur destruction par les humains les rendent provisoires.
- Un contraste matériel : les pierres sont solides, fortes, stables mais elles peuvent se révéler fragiles.
Il me semble que ces deux contrastes résument bien aussi notre actualité :
- Nous avons la prétention que les ressources de notre planète sont éternelles… mais il est urgent d’en trouver des nouvelles !
- Nous consommons et pensons l’avenir comme si les matières premières étaient inépuisables… mais on parle de décroissance urgente.
- Nous enseignons à notre jeunesse d’être forte et de se placer au-dessus de la mêlée… mais le mal-être des jeunes est palpable, réel, préoccupant.
- On nous vend le bonheur à petit prix, le « tout, tout de suite »… mais c’est difficile de se projeter dans l’avenir : beaucoup hésitent à fonder une famille. D’autres optent pour l’attitude de « profiter à donf ! » tant que c’est possible.
Je ressens fortement la sensation de vivre une valse à quatre temps, balancée entre le toujours et le provisoire, entre force et fragilité.
Alors comment vivre ce temps que certains, tout comme les contemporains de Jésus, qualifient d’apocalyptique ?
Les paroles de Jésus nous offrent quelques pistes. D’abord, il n’entre pas en matière sur la question du « quand » cela se passera.
Il se concentre plutôt sur deux attitudes à adopter :
- Oser regarder le présent avec lucidité, ne pas se replier sur soi-même dans ce que nous vivons au quotidien.
- L’autre attitude, c’est de ne pas rester paralysé dans des discours alarmistes, mais de relayer le cadeau qui nous est offert par le Christ lui-même, à savoir : la confiance.
Ne sommes-nous pas enracinés dans un évangile qui assure que la paix donnée par Dieu est plus ample que les menaces de notre monde ? Et c’est là que je peux renouer avec la notion d’éternité ; cette promesse qui fait dire à Jésus, « pas un cheveu de votre tête ne sera perdu », a une valeur éternelle. Pour ce qui est de l’éternité, c’est la partie de Dieu ! Sa promesse de nous offrir paix et confiance est éternelle et immuable.
Nous avons cette fâcheuse tendance à oublier que nous n’avons ni le pouvoir ni les forces de programmer nos vies pour l’éternité. Les pierres de nos monuments sont là pour nous le rappeler.
Par contre, nous pouvons décider de vivre le présent en affrontant lucidement les événements. Nous pouvons même nous mobiliser pour les ralentir, les prévenir, pour oser des paroles et des actes.
Et comme le disait Jean-Paul, nous pouvons prendre soin, donner une seconde vie. Nous avons le choix, pour reprendre les paroles de Jean-Paul, « d’enlever le surplus pour dégager la vie à laquelle la pierre est destinée ».
Cette symbolique est magnifique, mais pas forcément facile à appliquer ! J’entends le conseil de Jésus : « C’est par votre persévérance que vous préserverez la vie ». Oui, il s’agit d’un appel à persévérer dans la confiance, l’espérance, la créativité, la joie.
Le texte de Luc débute avec l’annonce de la destruction du Temple et se finit avec la persévérance dans notre confiance en la Vie.
Peut-être que le Christ nous invite à bâtir sur la base solide et éternelle de la confiance placée en Dieu, sans nier les tribulations du présent, sans renier nos fragilités, nos peurs, nos erreurs.
Ne pourrait-on pas voir dans ce texte une exhortation du Christ à offrir une seconde vie à nos constructions et à bâtir un temple intérieur – ce lieu où l’on est intimement en communion, en lien avec Dieu.
Un lieu qui nous aide à résister quand tout s’effondre autour de nous.
Le temple intérieur, un lieu qui relativise alors toutes constructions humaines, qu’elles soient politiques, religieuses, sociales ; ces constructions qui ne résistent pas au temps et qui menacent de s’effondrer à tout instant.
Je donnerai le mot de la fin à Paul qui parle ainsi de notre temple intérieur :
« C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. » (2 Corinthiens 4, 16 -18).
Amen.