Écouter le culte :
Une pierre comme oreiller – on peut trouver plus confortable ! Mais cette pierre est peut-être à l’image des événements que traverse Jacob à ce moment-là : en conflit ouvert avec son frère jumeau, à qui il a volé son droit d’aînesse puis la bénédiction de son père, il fuit, pour échapper à la colère fraternelle. Il a quitté son chez-lui, ses racines, pour se rendre dans la famille de sa mère. Il sait ce qu’il quitte, mais pas encore ce qu’il va trouver…
C’est là, lors de cette halte, au milieu des incertitudes et de l’inconnu, qu’une présence vient le rejoindre en rêve. Le Dieu de ses ancêtres lui promet une terre – la terre sur laquelle il se tient – et une descendance. Il lui promet surtout de rester à ses côtés, quel que soit l’endroit où il se rendra.
Cette expérience donne à Jacob un nouveau regard sur ce qu’il est en train de vivre. Cette nuit-là, à travers la vision qui lui est donnée, il reçoit la force et l’élan nécessaire pour poursuivre son chemin. Il ne sait pas plus qu’avant où celui-ci va le conduire, mais il sait désormais qu’il n’y est pas seul, et que des perspectives d’avenir lui sont offertes.
La pierre sur laquelle il était couché devient alors témoin de ce moment de rencontre privilégié. Il la dresse pour en faire une stèle, et y verse de l’huile. Par ce geste il atteste que ce lieu est désormais spécial, à part. Il le nomme: « Béthel », maison de Dieu. C’est comme s’il faisait tout pour que ce qu’il a vécu en songe ne soit pas qu’une vision qui risque de s’effacer dans le temps, mais que cette expérience s’ancre durablement dans le quotidien de son existence. Pour pouvoir y revenir, se rappeler, témoigner à d’autres aussi après lui de ce qui s’est joué ici.
Il ne restera pas pourtant à cet endroit. Porté par la promesse reçue : « je te garderai partout où tu iras », il poursuit sa route. Il reviendra sur la terre qu’il vient de quitter, mais bien des années plus tard, après toutes sortes de mésaventures.
Je ne sais pas si Jésus avait cet épisode à l’esprit quand il se fait interpeler sur la route menant à Jérusalem. « Le Fils de l’homme n’a pas même d’endroit où reposer la tête », répond-il à l’homme qui lui avait proposé de l’accompagner partout où il irait.
Jésus n’y va pas d’ailleurs de main morte dans cet épisode : « Ok, je vous invite à me suivre, mais toi, inutile de rentrer enterrer ton père, ou toi, d’aller saluer les tiens ! Le Royaume de Dieu n’attend pas ».
Je dois reconnaître que ces paroles de Jésus me bousculent, me heurtent. J’aurais envie de lui dire : ben non, Jésus, là je ne comprends pas, je n’arrive pas à te suivre ! Comment faire mon deuil si je ne vais pas faire mes adieux à mes proches ? Puis-je ainsi tout quitter sans avoir au moins dis au revoir à ceux et celles que je laisse derrière moi ? C’est quoi ce Royaume où on nous demande de tourner le dos aux personnes qu’on aime ?
Cela correspond si peu à l’image que je me fais de Jésus, de son souci des autres, de son insistance à soigner les liens que l’on tisse avec les autres, du devoir justement de prendre soin des personnes que nous côtoyons.
Non, je n’arrive pas à le suivre… mais je me sens interpellée quand même. Car je sais aussi que quand Jésus bouscule ainsi son entourage, c’est pour nous pousser à changer de regard, de perspective. Et si je faisais quand même un pas dans sa direction, pour voir ?
En considérant les choses sous un angle nouveau, je me rends compte du nombre d’habitudes, de routines, de schémas qui règlent ma vie au quotidien ; parfois aidantes, mais si souvent qui me bloquent et m’empêchent d’avancer. Je vois ces milles choses à faire et à refaire au quotidien, qui parfois prennent tellement de place que j’ai de la peine à me mettre à l’écoute – à l’écoute de l’autre, de la vie qui m’entoure, de ce que Dieu pourrait m’apporter dans cette journée.
Si je fais un pas de plus, je me rends compte aussi que les relations avec mes proches ne sont pas toujours harmonieuses, parce qu’il est difficile avec des idées, des rythmes, des façons de faire différentes de progresser dans la même direction.
Si je vais un peu plus loin encore, à travers les phrases provocatrices de Jésus, je l’entends me pousser à me demander : où se joue ton essentiel ? Quel est le socle sur lequel tu veux construire ta vie ? Si les événements venaient à t’être contraires, qu’est-ce qui te fera tenir et te permettra d’avancer ?
Car n’est-ce pas cela, le Royaume de Dieu : une promesse semée, de nouvelles perspectives offertes, des valeurs qui permettent des relations renouvelées ou chacun.e a sa place, une force qui déplace les montagnes ?
Quelles sont les exigences de ce Royaume, au fond ? « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. » N’est-ce pas là une invitation à laisser tomber ce qui est mortifère dans notre existence, pour favoriser ce qui va apporter plus de vie ?
Peut-être parfois nous faut-il effectivement, comme Jacob, oser faire halte, se retirer, se confronter au vis-à-vis avec Dieu, avant tout le reste. Pour mieux se retrouver, et ensuite retrouver les autres. Il y a des cheminements intérieurs où, c’est vrai, les autres ne peuvent nous accompagner, mais où Dieu, lui, reste bien présent.
Nous avons peut-être besoin de ces moments pour ensuite mieux rejoindre les siens, forts des perspectives nouvelles qui nous auront été données ! Pour aussi être témoin, auprès d’eux, de ce qui nous aura été donné, être témoin de l’invitation que le Christ leur fait à eux aussi. C’est en tout cas ainsi que je reçois l’interpellation de Jésus aujourd’hui.
Je pense que nous avons tous, à l’exemple de Jacob, des événements-clé de notre existence qui ont été un tournant dans notre parcours de vie. Nous en avons même plusieurs. Jacob a connu lui-même d’autres épisodes qui ont été fondateurs pour lui.
Cela me donne une autre image de cette pierre qu’il a érigée telle une stèle. Si on les pose ainsi à intervalles réguliers sur la route de nos vies, elle deviennent comme des balises, des jalons, des bornes sur notre chemin. Nous invitant non à rester ancrés sur nos habitudes ou des doctrines figées dans le marbre, mais ancrés dans la présence de Dieu, sur le chemin qu’il nous invite à partager avec lui.
A la croisée des chemins, résonne pour nous un appel : « Toi, suis-moi ! » Mais surtout une promesse : « Je te garderai partout où tu iras ». Sur cette route, j’aimerais faire ce matin le pas suivant. Et vous ?
Amen.