Frères et sœurs en Christ,
N’avez-vous jamais eu l’impression une fois ou l’autre que tout se liguait contre vous, que rien n’allait plus ? Les ennuis se multipliaient, les soucis étaient devenus plus pesants et les échecs vous mettaient aussitôt à terre. Il vous semblait alors devoir lutter sur tous les plans en même temps sans pouvoir espérer un peu de répit.
Mais il nous arrive aussi de planer dans une belle insouciance qui nous fait croire que ce qui peut arriver de contraire, cela ne peut arriver qu’aux autres ! Nous vivons dans ces conditions une tellement bonne passe que nous avons une entière confiance en la vie. Quand ce n’est pas en nous-même que nous plaçons toute notre confiance ! Si ça va bien, c’est grâce à moi, c’est que moi, je sais bien mener ma barque : je suis débrouille, je sais travailler pour, je m’organise en conséquence… les autres n’ont qu’à faire comme moi. Bref, alors quand nous pensons cela ou que nous prononçons de telles paroles, nous sommes alors mais pas gonflés du tout !
C’est en somme le récit de cette femme syro-phénicienne se jetant aux pieds de Jésus qui m’a fait penser à ces deux situations extrêmes du malheur et du bonheur, deux situations, l’une marquée par l’impuissance, l’autre marquée par la puissance, l’une qui ne peut que nous inspirer de la pitié, l’autre qui ne peut que nous porter à l’envie.
Il m’apparaît que cette femme vit vraiment profondément la première situation où tout semble s’accumuler pour l’empêcher de pouvoir espérer quoi que ce soit, et en même temps je me dis qu’elle arrive à forcer son destin, puisqu’elle arrive encore à faire preuve d’une immense confiance et de vivre ainsi la deuxième situation. La vie ne l’épargne pas, mais la confiance qui l’anime est à même de tout débloquer.
À cette époque – comme nous l’avons entendu – Jésus passe au-delà des frontières strictes d’Israël pour aller dans les territoires de Tyr et de Sidon où vivent alors de nombreux Juifs. Sa renommée s’est répandue jusque-là aussi et c’est pourquoi il ne peut pas y rester incognito. Quelqu’un va l’aborder, mais curieusement pas quelqu’un qui sera son ou sa compatriote, mais une étrangère, une païenne, il faut le souligner.
À partir de cette considération, il est facile de voir dans quelle impasse cette femme se trouve :
1. En tant que femme, si elle a une réputation à sauver, elle ne peut pas s’adresser à un homme comme cela de but en blanc – cela sera un mauvais genre ;
2. Elle n’a même pas l’excuse d’être israélite, coreligionnaire ou compatriote pour oser implorer ce qui représente un maître ou un prophète juif !
3. En avouant la possession démoniaque de sa fille, c’est comme si elle confessait que la punition divine sanctionnait quelque péché commis ;
4. Pour couronner le tout, je dirais que Jésus semble vouloir donner une fin de non-recevoir à cette rencontre.
Pauvre femme, qu’espérait-elle ? Mais justement, je pense qu’elle n’espérait rien : elle avait seulement confiance ! Une grande confiance, une immense confiance, non pas en la vie, non pas en elle-même, car nous l’avons vu, les paramètres qui composent sa vie et sa personne sont plutôt des éléments qui jouent en sa défaveur !
Cette femme grecque, syro-phénicienne d’origine, n’espère pas en venant auprès de Jésus qu’il va peut-être pouvoir faire quelque chose pour sa fille, mais elle croit qu’il opérera la guérison de sa fille. Cette femme païenne croit ce qu’elle demande.
Et alors même que Jésus essaie de lui faire comprendre que sa confiance semble être quelque peu déplacée, puisqu’elle motive une demande qui ne peut concerner que la foi des enfants d’Israël, alors que Jésus essaie de lui expliquer cela, cette femme – tout en l’admettant – défend sa confiance en reprenant l’argument même du Christ : « … mais les petits chiens sous la table mangent les miettes des enfants. » En disant cela, elle s’humilie certes, mais elle ne se tient pas pour battue. À cette confiance inébranlable, la Syro-Phénicienne ajoute une grande dose d’humilité en se comparant à l’un de ces petits chiens qui viennent manger les miettes des maîtres sous la table ! Quand on sait ce que représentait un chien à cette époque, animal discrédité s’il en était, je pense alors pouvoir d’autant plus envier cette femme-là. C’est bien ce que Jésus perçoit de grand chez cette femme, sa confiance, et spontanément alors il accorde la guérison de la fille malade.
Comme dans bien d’autres guérisons que Jésus a accomplies, le vrai message ne tient pas au fait de la guérison pour elle-même, mais comme ici pour la femme syro-phénicienne cela concerne sa confiance, le miracle et la confiance de cette femme. Comme je l’ai déjà dit, cette femme a cru ce qu’elle demandait. Elle avait une ouverture totale à Dieu et sans condition. Qu’elle soit une femme, qu’elle soit une étrangère et une païenne, qu’elle soit jugée pécheresse à cause de la maladie de sa fille, rien, aucun argument et pas même la réserve émise par Jésus, vraiment rien, n’a pu désarçonner sa confiance ! Elle s’est attendue à ce que Jésus pouvait lui apporter.
Quel exemple ! Quelle leçon ? L’Évangile n’aura jamais fini de nous étonner. De nous étonner pour nous redire combien Dieu attend le miracle de notre confiance pour pouvoir agir dans notre vie. Tous, nous vivons beaucoup trop une foi raisonnée et raisonnable ! Je veux dire par là que nous nous mettons très souvent des barrières et des interdits qui empêchent une vraie confiance. Nous faisons trop attention à ce que nous sommes et de loin pas suffisamment à ce que Dieu est. Nous réagissons exactement tout le contraire de cette femme syro-phénicienne.
Comme elle, nous devrions pouvoir nous dire que par ce que nous sommes de nous-mêmes, nous ne pouvons prétendre à rien en ce qui concerne Dieu. Mais ce n’est qu’au travers de cette confiance illustrée par cette femme que nous pouvons être objets de l’action de Dieu. Comme elle, il nous faut vivre cette ouverture à Dieu sans condition, sans calcul, sans aucune prétention à un quelconque droit. La confiance est ce que l’on attend qui arrive, sachant que même les miettes seront toujours suffisantes à pourvoir à nos besoins, du moment qu’elles proviennent de Dieu. La confiance qui nous est apprise dans ce récit ne va pas dans l’idée qu’en somme on pourrait toujours essayer de demander à Dieu et qu’on verra bien, mais plutôt dans l’idée de « je sais que je reçois ce qu’il me faut ».
Avant toutes choses, ce n’est pas en la vie ou en nous-mêmes que nous devons faire confiance. Ce n’est pas ce que nous pensons être méritoire de notre part ou immérité qui va faire pencher la balance et nous permettre une vie meilleure ou plus normale. Non, seul notre élan à Dieu ouvre la barrière de sa grâce, et c’est bien ce qu’il attend, lui, que nous ouvrions la barrière. C’est au fond très simple, mais nous compliquons tout ! Pourquoi ?
Amen !