Quand j’étais à l’Ecole du dimanche – oh ! cela fait déjà pas mal de temps – nous chantions un cantique que j’aimais beaucoup et que vous devez certainement connaître vous aussi: « Je suis petit mais que m’importe, du bon berger je suis l’agneau… »
Et bien, je suis presque sûr que Zachée – le petit Zachée haut fonctionnaire des finances – a dû pressentir ces mêmes paroles lors de sa rencontre avec Jésus à Jéricho. Aux yeux de ses concitoyens ce n’était pas sa position de chef des publicains, ni ses richesses qui pouvaient compenser sa petite taille. Bien au contraire, tout le mal que l’on pensait de lui et les griefs qu’on avait à son égard ne pouvaient que l’enfoncer d’avantage et le rapetisser d’autant plus.
Pourtant, comme un espoir, comme une pensée réconfortante l’ont habité quand il apprit le passage de Jésus dans sa bourgade. Comme la foule qui se rassemblait le long de la rue pour voir ce Jésus de Nazareth, dont la renommée le précédait, Zachée éprouvait lui aussi le besoin de voir, sinon de savoir, à propos de Jésus. N’avait-il pas un ancien publicain comme lui parmi ses disciples ? Et ne disait-on pas qu’il s’approchait des petits, des réprouvés ? Jésus était peut-être vraiment un homme surprenant ! Et semble-t-il un vrai faiseur de miracles ?
Mais voilà, Zachée était si petit qu’à moins de se placer au premier rang il n’allait rien voir du tout ! Et qui pourrait lui faire une petite place ? Personne, car dans l’esprit de tous Zachée n’était qu’un pécheur quant à la Loi qui interdisait le commerce de l’argent, il n’était aussi qu’un mauvais citoyen traître à la patrie du moment qu’il encaissait les impôts pour le compte des Romains, les occupants du pays, et enfin il n’était qu’un voleur comme tous les collecteurs d’impôts qui faisaient leur bourse sur le dos des braves gens !
Ainsi vous le voyez, Zachée était un petit homme de n’importe quelle façon. Un bien petit homme, comme on le dit encore fréquemment aujourd’hui, lorsqu’on veut condamner quelqu’un verbalement et bien l’enfoncer. Zachée était trop petit de taille pour voir passer Jésus, comme il était trop petit moralement parlant, patriotiquement et religieusement parlant pour qu’il ait une chance de rencontrer Jésus.
Trop petit pour… ou trop faible… ou trop indigne… ou trop misérable… trop méchant, trop violent, trop menteur… trop… trop ! N’est-ce pas là le leitmotiv qui engendre tant de drames humains, tant de souffrances, de honte, tant de mépris, de rejet et de désamour du prochain ?
Combien d’hommes et de femmes parmi nous – oui, parmi nous au sein de notre foule – combien d’enfants ou de personnes âgées déclarés tous trop petits pour… et, de ce fait, oubliés, exclus ou comme qui dirait excommuniés à l’image de Zachée !
Dans toute cette foule de Jéricho, il ne s’est pas trouvé une seule personne un peu compatissante, un peu humaine, pour faire une place à Zachée. Ils n’étaient tous venus que pour voir Jésus et certainement pour le voir faire un miracle. Eh bien, ils allaient être servis !
Le miracle dont cette foule allait être le témoin se ferait alors sous la couleur de l’amour du prochain, de cet amour qui seul peut faire être un homme, une femme, un enfant ou une personne âgée, cet amour qui aide l’autre à grandir, à prendre confiance, à espérer, à s’épanouir, qui lui apprend à aimer à son tour. Dieu n’a de cesse de nous faire être, de nous aider à devenir ce que nous sommes, c’est-à-dire des êtres d’amour, parce que créés avec de la pâte d’amour.
À Jéricho, c’est un retournement de situation auquel nous assistons, un de ces retournements dont l’Evangile a le secret. Alors que toute cette foule est incapable de faire être le petit Zachée, c’est lui qui au travers de sa rencontre avec Jésus va pouvoir parler de son souci désormais de rendre, de dédommager, de témoigner de son intégrité de collecteur d’impôts.
Un miracle a eu lieu à Jéricho, mais non pas comme ses habitants l’espéraient peut-être en voyant un paralytique marchant et sautant, un lépreux purifié ou un possédé exorcisé. Non, le miracle de Jéricho, c’est celui d’un petit homme trouvé grand aux yeux de Dieu. Le miracle de Jéricho, c’est celui d’un petit homme rejeté, oublié, dont Dieu, Lui, s’est souvenu !
Et ce n’est pas un hasard si cet homme-là s’appelait Zachée qui est le diminutif de Zacharie et qui signifie : le Seigneur se souvient. Jésus en croisant le regard de Zachée perché sur son arbre l’interpelle pour l’amener à la réalité de Dieu, qui n’a rien à voir avec celle de cette foule. Il lui demande de descendre de son arbre comme il aurait pu lui dire de reprendre sa vraie taille. Il l’appelle par son nom pour lui montrer qu’il n’est pas un inconnu pour lui et que c’est bien à lui et non pas à un autre qu’il demande l’hospitalité. Oui, car aux yeux de Dieu personne n’est trop petit, nous sommes tous grands, tous grands à cause de cet amour qu’il nous porte.
C’est encore quelque chose qu’il nous faut réaliser dans notre vie. Nous avons souvent trop tendance à attendre que l’autre soit à notre hauteur ou à notre grandeur pour l’approcher. Dieu, Lui, n’attend rien du tout. Il croit en l’homme dans toutes les situations où il s’est mis, Il espère en l’homme tel quel, Il l’aime pour le faire être.
Et c’est ce qui a toujours étonné les contemporains de Jésus, voire ce qui les a scandalisés, c’est cette préoccupation de Dieu du petit, du faible, du rejeté, de l’oublié, cette préoccupation du mal à réparer et non pas à condamner !
Et nous-mêmes aujourd’hui, nous sommes encore très proches de ces gens-là. Après deux mille ans de christianisme, nous retombons toujours dans nos a priori, nous retournons à un système religieux légaliste dont les règles n’ont pas grand-chose en commun avec l’évangile; oui, deux mille ans de christianisme, mais encore sans beaucoup de savoir-vivre de la foi.
Ça peut faire peur, mais heureusement que Dieu se souvient ! qu’Il se souvient de nous ; tous assez grands pour son amour, tous assez dignes pour qu’Il nous propose sa visite et sa présence. Car il sait bien que c’est à son contact que nous prenons notre vraie taille, que c’est Lui qui nous rend grands, grands pour toutes choses, n’en déplaise aux autres !
Jésus marquera bien le coup en déclarant devant tout le monde à propos de Zachée : « Celui-ci est aussi un fils d’Abraham ! » ou « Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison ! »
Je pense, j’en suis même presque sûr, que Zachée a pu d’autant plus chanter dans son cœur : « Je suis petit mais que m’importe, du bon berger je suis l’agneau » Non, personne n’est trop petit pour Dieu !
Amen !