Les motivations qui vous ont amenés ici doivent être aussi variées que diverses. Un point commun cependant pourrait bien exister : le plaisir d’être dans la nature. Souvent, la vue des sommets, le son des cloches des vaches ou le murmure d’un torrent réveillent mieux que le cadre d’une église la présence de Dieu. Peut-être est-il également plus spontané à l’être humain de concevoir un Dieu créant la nature.
Pourtant, si la proximité de la nature éveille en nous un sentiment spirituel, on ne peut non plus pas oublier que cette même nature, aussi paisible qu’elle soit, cache une furie qui peut se déclencher à n’importe quel moment au prix de vies humaines. C’est que sans doute pas plus la nature que la tradition portée par les églises ne satisfont à rendre compte de Dieu. Faut-il renoncer à en parler et laisser à chacun le définir à sa convenance ? Sur ce chemin pavé de bien d’obstacles, écoutons cette expérience d’Elie.
Pour vous permettre de saisir ce qui se passe dans ce texte, on vous a précisé ce qu’Elie vient de vivre. Elie est un activiste, un de ceux très virulents qui se mouillent pour que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob soit reconnu comme Dieu à nouveau par ses coreligionnaires, tentés par la puissance de la divinité de Baal. Malgré une puissance certaine dans ce combat, il finit par être poursuivi par la colère de Jézabel, qui avait apporté avec elle le culte du dieu Baal et qui ne se laisse pas ébranlée par les coups d’éclat de ce Dieu d’Elie.
Et voilà donc Elie, fatigué, effrayé, décontenancé par la tournure des événements sur cette montagne significative : celle où Dieu s’était manifesté à ses ancêtres. Entre son expérience et sa conception de Dieu mais aussi dans les évènements de sa vie, rien ne tient plus ensemble : Qui est ce Dieu qui a été avec lui et qui soudain l’a lâché, au point qu’il n’est plus qu’un fuyard ? Ệtre sur cette montagne, c’est aussi faire ce que d’autres font à l’époque : c’est toujours sur un lieu élevé qu’on a contact avec la divinité.
Elie, cependant, rentre dans une caverne et ne reste pas à découvert. Les manifestations naturelles qui se déroulent alors sont aussi impressionnantes que destructives. Mais affirme le texte Dieu n’y est pas. Qui est donc le déclencheur de cette violence, on ne le sait pas, sinon que ces éléments déchaînés ne détruisent pas Elie. Quand enfin, Dieu se présente, c’est dans une opposition de termes : un bruit ou une voix de silence, quelque chose de tout petit. C’est alors qu’Elie sort de sa caverne pour se trouver face à un Dieu tout de contradiction, silence et parole ensemble. C’est dans un silence qui parle que l’impasse où il était s’ouvre d’un nouvel horizon et qu’il réalise la limite de sa perception non seulement de Dieu mais aussi de l’ensemble de son histoire. A partir de cette expérience, Elie retrouve le sens de sa vie.
Nous ne venons peut-être pas d’une expérience semblable à celle d’Elie, mais il est humain de passer par des moments où sa perception de Dieu et son expérience ne vont pas ensemble, où les événements de vie bousculent tout ce que nous avions cru jusque-là, où les échos gardés de notre enfance sur Dieu nous entraînent dans des illogismes : Dieu protecteur, oui mais Dieu de justice, mais peu efficace. Au-dessus, mais pour quoi faire ? Dieu d’Abraham oui, mais les autres ? Arrivés à ce carrefour, plusieurs possibilités s’offrent à nous, qui visent surtout à réduire la tension éprouvée, à résoudre ce qui ne colle pas ensemble : élimination de Dieu, mais lequel ? Réduction de Dieu à un minimum qui efface les risques d’opposition. Explication de son cru aplanissant les impossibilités…
Le texte de ce face à face d’Elie et de Dieu offre un autre parcours possible. Ce parcours, c’est d’abord la recherche d’un lieu où rencontrer Dieu. Nous pensons assez facilement à des lieux où notre spiritualité est en éveil. Ce lieu pourtant ne se résume pas qu’à cela. Il se trouve dans une combinaison de l’héritage reçu et de la sensibilité de l’être intérieur. Il tient compte également de l’époque où nous sommes.
Marcher vers ce lieu est déjà un parcours contradictoire, tant parfois l’héritage, les compréhensions de l’époque et son propre cœur tirent dans des opposés. Cela peut tirailler entre ce que les églises ont enseigné, ce que la science a bousculé, et ce que la nature apporte à nos sensibilités. Cette marche est pourtant nécessaire, car Dieu ne peut pas être que le Dieu de la religion, ni que celui de l’intelligence toujours relative d’aujourd’hui, ni que celui dont je trouve les traces au fond de moi.
Autre aspect de ce texte, la révélation de Dieu est surprenante. Tout est en tension opposée : après la force des éléments, quelque chose de fragile qui se trouve être aussi contradictoire que la voix et le silence. On pourrait aussi dire un souffle ténu ou subtil. Ce bruit de silence ressemble à l’inspiration qui arrête le flot d’un discours, il est cette suspension qui nous permet de sortir des replis de notre âme, il est le soupir musical qui permet de reprendre souffle. Dans ce bruit de silence, Dieu s’éloigne des clichés qui sont souvent des justifications ou des explications que nous donnons parfois à nous-mêmes, parfois à d’autres, de son aura de puissance de destruction et de punition où nous nous perdons dans nos culpabilités. Il peut enfin être ce que le cœur n’a pu imaginer : un décentrage. Dieu des ancêtres, Dieu de notre être intérieur devient le centre de tout ce qui est essentiel : le bruit de silence nous fait devenir des auditeurs.
Dernier aspect de l’expérience d’Elie, c’est que tout a changé pour lui alors même qu’il n’a pas reçu beaucoup d’explication. La révélation de Dieu dans ce souffle ténu et silencieux a des résultats tangibles : un avenir s’ouvre, de nouvelles forces sont trouvées, le goût à la vie revient, le sens existe à nouveau. La connaissance de Dieu ne vise pas une maîtrise d’un savoir, d’une sagesse ou d’un secret. Elle vise au contraire l’ouverture d’un avenir, d’un sens renouvelé. Rien n’a changé en apparence et pourtant tout est différent. On ne met toujours pas plus la main sur Dieu, mais on n’est plus pareil. La vie a repris sa couleur, Dieu s’est manifesté !
A la lueur de ce texte sont renvoyés dos à dos ceux qui veulent mettre la main sur Dieu quels que soient les moyens employés et ceux qui veulent le laisser dans un flou prudent. Le Dieu qui se manifeste pour Elie est un Dieu sur lequel nul homme ne peut mettre la main. Mais, pourtant, c’est un Dieu qui s’intéresse à se manifester dans les détours très concrets de nos histoires de vie par ce silence où enfin on entend ce que l’on est en train de dire et que cela nous fait taire. La raison de Dieu de se manifester ainsi est de redonner un avenir, ouvrir d’autres horizons, servir la vie.
Héritiers de conceptions de Dieu qui nous ont marqués pour certains au fer rouge, pourrons-nous entendre que la vérité sur lui est dans la voix de silence au carrefour de nos héritages et de notre être le plus profond ? Dans notre société où tout s’explique, où Dieu n’est plus une nécessité, ce bruit de silence est le bruit de l’inspiration nécessaire et qui fait que s’arrêtent nos discours. Décentrés de toutes les explicitations, capables d’écouter, on découvre que Dieu, c’est une parole qui nous donne envie de vivre et nous donne le sens d’une direction.
Amen !