Le choc salutaire provoqué chez David par Nathan

image

(Bruits de l’appareil à diapositives)
Alors cette première dia, ça vient ? Oh ! toujours ça coince. Bon ben, je vais la raconter puisque je ne peux pas la montrer.
La première diapositive, bon on va faire ce qu’on peut : c’est un tableau de Rembrandt. Il a un cadre doré, plein de moulures lourdement chargées d’or et de feuilles, de fougères et de bricoles dont on se demande à quoi elles servent. C’est un tableau de Rembrandt au Louvre et il montre – une fois que l’on a oublié le cadre complètement surdimensionné – il montre Bethsabée assise, complètement nue, elle est en pleine lumière alors que derrière elle c’est sombre, on ne voit rien, sont-ce des murs ? Elle a l’air en prison. Une servante est à ses pieds, dans le noir, elle tient une petite fiole pour s’occuper de la pointe des pieds de sa maîtresse, vous vous rendez-compte, parfumée de la tête au pied !
Bethsabée est nue, assise sur un paquet de chiffons, froissés, blancs, une main appuyée et l’autre qui tient une lettre, une lettre étrange, car le coin de la lettre est teinté de rouge, une tache rouge, comme du sang. Elle porte quelques bijoux, un bracelet au-dessus du coude, un collier discret, une perle à l’oreille droite et sa coiffure est tenue par un ruban rouge, un fil rouge qui lui descend sur l’épaule et vient bien visible sur son corps à l’approche de sa poitrine. Un fil rouge.
Son corps est rond, elle a des formes, elle n’est pas toute jeune, et son visage est un profil triste, résigné, elle regarde dans le vide un peu au-dessus de sa servante. Elle n’a pas la grâce provocante de l’Olympia de Manet, mais elle est belle comme une femme au bain. Il rôde une solitude effrayante dans ce tableau magnifique.

(Bruits d’appareil) Ce truc ne marche toujours pas, je vais essayer le choc salutaire.
(Bruit de choc) Non, on continue à pied.
De toute façon pour la seconde diapositive, elle est toute noire. Un dia, non une dia toute noire pour parler de David, avec un coin rouge. Si j’étais l’avocat de l’accusation, je dirais ceci : « Monsieur le Président, David est un fieffé filou, un fieffé filou ! Plein d’idées noires. Deux tentatives pour corrompre la vérité. Deux tentatives pour sauver la face et ajouter à l’adultère et la tromperie, la mascarade de l’amitié. Deux tentatives pour qu’un enfant ne sache jamais qui est son père, une coupable organisation dans l’esprit d’un homme si riche et si puissant.
Noire donc est son esprit et il ajoute ce roi exemplaire, magnifique au combat, une traîtrise de plus, celle de frères d’arme, d’organiser par félonie de se débarrasser d’un homme au combat. Qui prouvera ce crime et qui aura le courage de dire aux généraux qu’ils ne doivent pas toujours obéir aux présidents ? Monsieur le Président, cet homme est coupable de briser deux vies pour son plaisir. » Voilà ce que je dirais si j’étais chargé de l’accuser.

Mais d’autres parmi vous diront peut-être que ce sont deux adultes consentants qui se sont retrouvés dans leur solitude. Personne ne les y a obligés. Au bout du compte, que l’on soit honnête en disant la vérité à son conjoint ou que l’on cache et bidouille, il y a toujours la peine, la peine de la cassure, la peine de l’amour bafoué, la gifle.
Si la vie a emporté bien des couples mariés ou non, hétérosexuels ou non, il faut traverser cette peine qui prend le temps d’un deuil et qui marque au fer rouge une vie. Même si on se reconstruit parfois très bien après. C’est pourquoi cette dia est noire avec le petit filet rouge du sang.

(Bruit d’appareil) : Toujours rien ! J’aimerais bien, celui-ci est sympa. Mais ces vieux appareils et ces dias sous verre, c’est fragile et cela coince. Je vais tenter encore le choc salutaire…. (secouer l’appareil). Non, rien !
Nous, les gens des villes, nous sommes habitués aux graffs. Ce sont ces dessins faits en grand, en très grand parfois sur les murs en béton des autoroutes, des chemins de fer, et parfois dans des endroits moins sympas.
Nous, les gens des campagnes, nous ne connaissons pas beaucoup ce phénomène, mais nous le voyons quand nous allons en ville ou en train.

Tiens, juste une anecdote : Je devais avoir 15 ans et j’allais au collège à Neuchâtel, et il y avait à côté du collège sur notre chemin un mur tout rond, comme le mur d’une tour. Tout à coup est apparu un graff, un dessin magnifique mais dont je ne pouvais pas comprendre le sens. C’était une œuvre de nuit. Au grand jour, le propriétaire du mur est venu et a repeint son mur en blanc.
La nuit suivante, le graff était refait, le jour suivant le peintre blanc était repassé. Et ainsi pendant des semaines, ce jeu du chat et de la souris a duré. Graff contre peinture. C’est le peintre qui a cédé. Le graff est resté, il a duré quelques mois, vieilli, et soudain un matin le mur était peint en blanc. Tout était rentré dans l’ordre.
Sauf que, écoutez bien, sauf que le nuit suivante le personnage énigmatique qui peignait la nuit est revenu. Et il a écrit sur le mur blanc ceci en énorme et en noir : « Vive les murs blancs !»
Pourquoi je vous raconte ceci ? Ah ! oui. Nathan, c’est le mot qui est écrit en grand, en caractère énorme et agressif. Nathan ! J’aurais bien voulu vous le montrer. Il est venu trouver le roi et lui a dit sa vérité. Ce fut son choc salutaire à David. Comme nous, quand nous nous rendons compte que nous nous sommes trompés, que nous avons tout cassé. Tout brisé. Et que nous nous retrouvons avec les restes de nous-mêmes et la tête qui tourne sans solution. Quel choc dans notre vie que le départ d’un être aimé, vers un autre, une autre, vers un petit coin de cimetière qui nous abandonne à la tristesse et aux pleurs ! Que dire de plus ?

Trouver notre Nathan : le choc, certains l’ont transformé dans leur vie en choc salutaire. Je pense à Henri Dunant qui était, je crois, à la bataille de Solférino et qui devant ce qu’il a vu comme horreur a créé la Croix Rouge. Quel choc dans sa vie !
« Sur le bord de la rivière Piedra je me suis assise et j’ai pleuré » c’est un livre de Paolo Coehlo.
Le choc salutaire fut pour David. Et le porteur de mauvaise nouvelle fut aussi son réveil-matin, son miroir qui fait vivre. Le roi a sauvé sa vie spirituelle en se mettant à terre devant Dieu pour respirer et non pour entrer dans la culpabilité. Le roi a sauvé sa vie spirituelle en se mettant à terre devant Dieu pour respirer et non pour entrer dans la culpabilité de toute une vie. Le choc salutaire !

C’est ma dernière dia. Je vais refaire un essai. (Vlan !) Il est à qui l’appareil ? Ah ! aux Kocher ! (Vlan, beaucoup plus fort !) Eh, cela marche !
En fait, c’est une dia transparente. Une lumière trop forte éclaire tout. C’est comme quand on a regardé les dias trop nombreuses d’un ami en voyage n’importe où et que tout à coup c’est la dernière dia. Et la lumière soit, c’est éblouissant parce que les yeux s’étaient habitués à une certaines obscurités éclairées d’images.
On m’a dit un jour la différence entre le paradis et l’enfer. Dans le paradis, ce sont des gens qui sont là et qui passent leur temps à se raconter leurs voyages en Chine, au Tessin, voir le Taj Mahal, etc… Et l’enfer, ce sont des gens qui sont là et qui passent leur temps à se raconter leurs voyages en Chine, au Tessin, voir le Taj Mahal, etc… Mais c’est la même chose dis-je ! Non, sauf qu’en enfer ils ont apporté des diapositives.
Alors pour moi il est urgent de finir. Ma dernière dia est tout en lumière. Pour vous, pour votre vie, pour ce qui va venir, comme dans l’histoire de David et de Bethsabée. Remarquez en m’approchant je me rends compte que le verre de la dia est fendu et qu’il projette sur le mur comme une ombre dans la lumière.
Une fente verticale. Une fente horizontale. C’est aveuglant, c’est la croix, je pense que c’est à cause du choc salutaire. La lumière est fendue, ce n’est pas un happy end, mais la lumière est revenue. Au nom de Jésus-Christ.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christianne Cornu Cavin
Musique
Pascal Crisinel, soliste