Voir l’Invisible dans le geste accompli

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J’ai donc frappé violemment deux catéchumènes. Pourquoi ? Parce que je voulais leur faire entrer quelque chose dans la tête.
Non, non, je n’ai pas frappé avec une règle sur la tête des deux jeunes. D’ailleurs, ils n’étaient pas ensemble, ce n’était pas le même jour. Non, je n’ai pas frappé comme des vieux, mais alors très vieux instituteurs l’auraient fait, mauvaise réponse, un coup de règle sur la tête.
Non j’ai fait pire. Je voulais leur montrer le Christ, rien que cela. Je voulais leur montrer l’invisible parce que j’en ai ras le bol de les entendre dire : ce Dieu dont vous nous parlez on ne le voit pas. Alors j’ai frappé, frappé fort.
Dans l’histoire que nous venons d’entendre et qui est à relire dans le livre des Rois, un livre magnifique, dans le deuxième livre des Rois, chapitre 4, le prophète va frapper fort aussi, ou peut-être que c’est la femme de l’histoire qui va frapper fort.
Tout le monde verra la puissance de Dieu. Pourquoi ? Parce que femme le veut. Parce qu’avec acharnement elle ne laisse pas les hommes de la Bible tranquilles avant qu’elle n’ait obtenu ce qu’elle veut. Elle qui n’avait rien demandé à Dieu, si ce n’est l’amitié d’un prophète. Elle qui n’avait rien voulu d’autre que d’accueillir chez elle un porteur de Parole. La voici au comble du bonheur avec un enfant inattendu et puis au comble du malheur, du plus terrible malheur, perdre un enfant, parce qu’elle a laissé Dieu agir dans sa vie.

« Mais il y a des gestes qui sauvent », nous disent les publicités. Il y a des signes qui marquent. Par ce signe, tu vaincras. Je vous fais une petite carte postale pour ceux qui ce soir ne sauraient pas encore que l’Eurofoot va connaître sa grande finale. Des signes qui marquent. Il y en aura par milliers. Tous les gris-gris. Les peluches fétiches que l’on met dans les buts. Les signes de croix que l’on fait ostensiblement. Les gestes à embrasser un ballon et tout ce qui passe en amont, la chaussette droite que l’on mettra avant la gauche, les regards que l’on portera ou ne portera pas, la coupe de cheveux pour rappeler telle victoire. Le monde du football est fait de signes de superstitions pour gagner. Ah ! Ah ! Ah !

Je vais vous raconter pourquoi j’ai frappé deux catéchumènes, c’est justement à cause du football. Je voulais leur parler de la sainte cène, de l’eucharistie, et devant le désintérêt complet qu’ils avaient devant la chose j’ai changé de méthode.
J’ai demandé à un catéchumène de se lever. Ils se sont tous tus. J’ai évalué sa grandeur, je mesure un mètre septante et je l’ai jaugé trop petit. Je l’ai remercié, j’ai demandé à un autre de se lever : Ah ! Tout de suite c’était bien, il me dépassait d’une tête. Je lui ai demandé de se tenir bien droit, au dernier moment j’ai ôté mes lunettes, je les ai confiées à quelqu’un et je me suis bien en face de mon gaillard. Je l’ai regardé dans les yeux. Silence général, je lui ai demandé si cela allait, il m’a fait que oui, et je lui ai assené un coup de boule sur le sternum gigantesque.
Tout le monde était baba ! Le pasteur venait de frapper violemment un catéchumène bien plus fort que lui. J’ai dit : je viens de faire quoi ? Ben : vous venez de le frapper ! D’accord, cela vous rappelle quoi ? Et là tout à coup, tous ensemble se sont mis à raconter une histoire, ils venaient de voir quelque chose, ils venaient de revivre quelque chose qu’ils connaissaient parfaitement. Ben vous êtes Zidane, dit l’un. Et l’autre c’est Matterazi. Oui, c’est la finale du Mundial de foot il y a deux ans. Zidane a reçu un carton rouge. C’est normal, l’autre l’a insulté. Il s’est fait expulser. La France a perdu.
Et je peux vous promettre que les filles n’étaient pas en reste sur les détails de l’événement. Alors je leur ai dit simplement, vous voyez, à partir d’un geste, vous pouvez remonter toute une histoire, vous pouvez la voir, la revoir, la vivre. La cène c’est pareil.

Pensez-vous qu’on en parlera encore dans 50 ans du coup de boule ? Les avis n’étaient pas certains. J’ai obtenu leur promesse de ne pas en parler avant la semaine suivante, de manière à ce que je puisse frapper un deuxième catéchumène dans le deuxième groupe de 15 que j’animais. Tout a fonctionné pareil.
Ils ont vu l’invisible. Alors j’ai pris du pain entre mes mains. J’ai raconté brièvement la situation, Jésus comme nous, réunis, et ce geste sur lequel il a mis une parole, ce pain rompu. Simplement ce geste que je vous invite tous à visualiser. Le pain que nous rompons est le corps du Christ. Et je leur ai dit que chaque fois qu’un croyant, laïc, prêtre ou pasteur posait ses mains sur le pain nous remontions 2000 ans d’histoire pour retrouver le geste initial.
La présence du Christ. L’invisible présence du Christ qu’ils réclament. Le premier qui a fait ce geste. L’inventeur. L’auteur. La présence invisible peut se trouver là, dans la réplique de ce geste. Ce signe qui marque. Par ce signe, tu vaincras. Ce signe qui marque positivement. Ce geste qui sauve à tout jamais. Jamais plus on ne peut rompre le pain et le donner autour de soi sans que cela soit un geste humble de partage qui ne fasse allusion au Maître de la vie. Dieu a frappé fort, dans un geste fort. Et le voilà visible pour qui veut le voir.
Ce fut donc pour moi le moyen de leur expliquer, en les frappant. Il est vrai qu’un geste, même s’il était mauvais en l’occurrence, pouvait leur permettre de retrouver l’ensemble de sa signification par leur intelligence collective et par la puissance de leur esprit à se projeter dans ce passé si proche.
J’espère que ce soir, on se souviendra de la finale de l’Eurofoot pour des choses positives et non pour un coup de boule, même frappé par un homme tellement doux d’habitude.

Élysée invente, dans le texte qui nous a été raconté, des techniques de revivification, de résurrection ? En fait, son maître Élie avait déjà des méthodes un peu semblables. Si on reste très proche du texte, entre les maux de têtes violents et la mort de l’enfant et l’intervention du prophète, il y a eu des heures. Des heures de morts. Même s’il est placé dans la chambre de Dieu, ce n’est pourtant - vu d’aujourd’hui - pas les soins intensifs que nous connaissons.
Mais ce texte nous parle de techniques : réchauffer le corps, bien sûr avec les moyens du bord, corps contre corps, comme le feraient des alpinistes perdus dans la nuit glacée d’une nuit de peur dans la montagne. Réchauffer le corps, puis pratiquer une sorte de bouche-à-bouche. À se demander s’il y a des millénaires, Élysée n’aurait pas inventé la respiration artificielle et que personne ne s’en saurait soucié ensuite.
Voyez-vous, on remarque que le serviteur du prophète accomplit les gestes gris-gris: avec le bâton du prophète, il tente de sauver l’enfant, il place le bâton du prophète sur le visage de l’enfant, mais il ne sait pas que ce n’est pas un truc qui va sauver quelqu’un. Un gris-gris.
Voyez-vous ! Le prophète s’isole et prie. On pourrait dire qu’il perd du temps, encore. Son face à face avec Dieu doit avoir un contenu, mais cette prière-là reste secrète. Le reste est avouable, jusqu’à cet étrange ballet d’attendre les 7 éternuements pour déclarer que la vie est revenue. Extraordinaire Élysée, inventif !

Petite séquence deuxième guerre mondiale. Je n’y étais pas personnellement, je vous ai dit ma taille mais vous n’aurez pas mon âge. Les Anglais sont battus, archi-battus par les Allemands et Winston Churchill va en personne leur redonner courage. Il invente, semble-t-il, un geste simple de la main. Un « V » fait avec l’index et le majeur. « V » pour victory, victoire. Cela marche. Il redonne du courage à ses troupes.
Ce qui est intéressant, c’est que les jeunes d’aujourd’hui ne savent pas qui a fait ce geste, où et pourquoi. Pourtant, je pense que bon nombre d’entre vous peuvent visualiser le chef d’État britannique, le « V » d’une main et… le cigare de l’autre. Fin de la séquence deuxième guerre mondiale à laquelle, je rappelle, je n’ai pas participé.

Qu’est-ce que je cherche dans ce message qui nous est adressé à nous gens de 2008 ? Qu’est-ce que je cherche dans ce message qui raconte des histoires de gestes forts ? D’un coup de boule de footballeur. D’Élysée inventeur. De Winston Churchill en « V » comme victoire. Je cherche à vous faire revivre des gestes premiers.
Pendant mon catéchisme, on nous enseignait avec un exemple touchant de simplicité : ainsi disait le pasteur, regardez le mur qui est là, et il allait taper sur un mur. Ce mur raconte quoi ? Oh ! je suis arrivé par hasard ! Non disait l’homme qui nous enseignait, ce mur dit: « Un maçon m’a fait, un architecte m’a voulu, un peintre m’a fignolé, je ne le vois plus, pourtant c’est l’évidence. Ce mur n’est pas arrivé tout seul ici. » Alors il nous ouvrait à une théorie simple : admirez le monde, la nature, le corps humain, regardez le ciel la nuit et posez-vous la question. Oh ! Tout cela est arrivé par hasard !
Pour moi, sans remonter à l’origine de l’espèce, j’ai une ambition, la même que quand j’ai frappé violemment d’un coup de boule mes catéchumènes surpris, j’ai l’ambition que vous puissiez remonter 2000 ans d’histoire pour trouver ou retrouver le Christ. Qu’à chaque fois que quelqu’un partage le pain, partage l’hostie, le geste, le geste nous renvoie à son auteur.
Et ici, c’est de renvoyer à Jésus de Nazareth, le Christ, la tête de l’Église. Je peux le voir, invisible présence dans le geste accompli et renouvelé par la foi de tous ceux qui, aujourd’hui comme demain, dans le culte ou chez eux, rompront le pain. Ce Dieu proche vous veut du bien, et son invisibilité parfois est levée par un signe qui marque, un geste qui sauve. Pas de gris-gris de la foi non, mais, par ce signe tu vaincras.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christianne Cornu-Cavin
Musique
La Sitelle, choeur mixte et Lè Maïentzetté direction Isabelle Noverraz