Tamar, une ancêtre encombrante

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Salt Lake City, quelques clics de souris, et hop nous sommes partis à la recherche de nos ancêtres grâce aux mormons. C’est un monde, non ? Nombreux êtes- vous à avoir fait un bout de recherche sur vos ancêtres. Savoir d’où vous venez, qui vous a fait, et avant, et avant, et avant encore. Pour certains la famille c’est fait depuis longtemps et vous avez un arbre généalogique pendu quelque part chez vous. Pour d’autres, c’est le désert.
Tiens je vous raconte juste une anecdote.
Moi je l’ai fait. Je devais tuer trois semaines après une appendicite aiguë, je sais ce n’est pas une information capitale ni ici ni là-bas, et j’ai alors appris qu’un certain Frédéric était arrivé en 1803 en Suisse sur la Montagne du droit au-dessus de Renan, Berne. C’étaient des gens de la forêt noire et ils venaient travailler comme ouvrier de ferme. Avant ? Pfff !
Ici à Peney, Peney-le-Jorat, je précise, car il y en a deux, il y a des gens devant moi qui peuvent faire remonter leur arbre généalogique dans leur village jusqu’en 1635. Ainsi une de nos pipelettes, nos excellentes narratrices, est d’une de ces familles.
Et vous là au loin qui nous écoutez, vous avez peut-être accroché au mur un arbre généalogique ou plutôt, un poirier généalogique, j’appelle cela un poirier, car souvent ses formes palissées n’ont plus grand-chose à voir avec les arbres de la nature. Il est peut-être fait en parchemin ou alors à la main sur un papier de qualité. Ou vous avez peut-être juste quelques souvenirs transmis oralement par la famille. C’est très bien aussi et souvent bien suffisant.

Dites, à propos d’ancêtres, il y a quand même quelque chose de dérangeant, ce sont des arbres d’hommes le plus souvent et malheureusement, et fort injustement, rares sont les arbres de femmes.
D’où l’on vient quand on s’appelle Savoy, Zosso, Ravanel, Pretty, Reymond ? D’où l’on vient quand on s’appelle Volmer Mattheus, Gérard ou Martin ? les Dind, les Dell’Acqua, Makuka, Zimmermann et autre Gavillet ? Les Pahud, Pidoux, Freymond, Perdrix et autres Schuppli ou Vlaiculescu ? D’où l’on vient ? Les Thiémard, Kolly, Chevalley, Pizzoglio ou Jaton. Hein ! Documents perdus, brûlés par les guerres, égarés, illisibles, dommage, mais pas indispensables.
Et Jésus de Nazareth ? Jésus a sa généalogie. En fait il en a même deux dans la Bible. Matthieu raconte depuis Abraham ses ancêtres, tous des hommes, sauf cinq femmes dont Tamar. TAMAR comme TINTAMARRE.
Celle dont on n’ose pas parler à table devant les enfants. Oh ! Non. Celle qui portera les habits de veuve, mais enfantera deux fils. Oh ! là là ! En plus, ce seront les petits fils du grand Jacob. Chut !

Tiens, je vous raconte une autre anecdote : chez moi, dans ma famille, il y avait l’oncle Arthur, on n’osait pas en parler et c’est seulement à l’âge adulte qu’on a compris pourquoi. Pour cela, il nous a fallu cuisiner la grand-mère en l’absence de nos mamans pour connaître le secret. L’oncle Arthur, il s’occupait dans un théâtre de Pigalle de la machinerie. Chut !
Imaginez que vous ayez un Landru dans votre famille, je crois que vous mettriez votre généalogie non pas dans le salon, mais plutôt derrière un meuble. Pourtant, nous sommes peut-être fils ou fille de gens qui ont quelque chose qui est ressenti comme une tache. Nous sommes fils ou fille de quelqu’un qui a fait faillite, qui a fait de la prison, qui a commis des actes violents, imbéciles, irréfléchis. Nous sommes fils ou fille de quelqu’un de tellement célèbre qu’il fait de l’ombre à notre vie, qu’il nous a volé notre nom de famille. Nous portons peut-être un nom qui rappelle un crime passé, une erreur trop connue de notre village où de notre pays. Et notre vie est marquée au fer rouge de nos ascendants
Une anecdote, une rencontre forte : je me souviens de cette femme, cette rencontre, son père était un nazi en Allemagne, un nazi très connu. Elle a choisi de vivre sa vie sous un prénom en devenant une sœur protestante. Je ne dirai pas son prénom, trop facile à reconnaître. Une femme accueillante, mais blessée par son nom.
Ce n’est pas possible que dans l’arbre généalogique de Jésus on y mette une femme comme Tamar, une femme pareille, on la cache, on la tait. D’ailleurs cette histoire biblique, sachez-le, on ne la lit jamais pendant un culte, pensez, elle n’est dans aucune liste liturgique de texte à considérer. Pourtant elle y est, Tamar, dans la Bible, elle a donc quelque chose à nous dire.

Juda est fils de Jacob, quelle belle lignée, et a trois fils, Er, Onan et Chéla. Drôle de noms, mais ce sont des garçons, sûr ! Tamar se marie au premier, Er, et il meurt. Tamar n’y est pour rien.
Tamar se marie au deuxième, Onan. Onan l’épouse par obligation et mégote sexuellement par jalousie, on appelle même cela l’onanisme, et il meurt aussi. Tamar n’y est pour rien, la voilà veuve une deuxième fois !
Mais vient dans l’Esprit de Juda, le beau-père, une petite fêlure, une petite fêlure qui vient se glisser dans son esprit : cette femme porte le mauvais œil. Cette femme porte le malheur. Je ne vais pas la laisser épouser mon troisième garçon, un adolescent, Chéla, on ne sait jamais, elle a déjà tué, non soyons juste, deux de mes fils, ses époux sont morts déjà.
Vous qui m’écoutez, vous vous rappelez la petite fêlure dans votre esprit, ce que vous avez ressenti lors d’un mariage ou d’un remariage en vous disant que cela ne fonctionnera jamais. À cause de quoi ? De l’âge des mariés, de leur parcours de vie, de leur condition sociale. Vous vous rappelez la petite fêlure que vous avez ressentie lorsque le neveu s’est mis à boire et que vous vous êtes dit que la pomme n’était pas tombée loin de l’arbre. Vous vous rappelez la petite fêlure que vous avez ressentie en entendant le nom en « ich » du copain de votre fils ou de votre fille, ou en voyant la couleur de la peau de quelqu’un qui allait entrer dans votre famille. Cette petite fêlure quand dans une famille qui connaît la tristesse d’avoir un enfant handicapé, vient à naître un second enfant handicapé, pourquoi ont-ils continué ?

Y’en a marre ! De Tamar naîtra Jésus. D’une lignée droite et courbe à la fois naîtra le fils par excellence. Si j’étais prophète, je vous dirais ceci :
Oracle du Seigneur,
« Taisez-vous les pipelettes
Et n’accueillez pas la petite fêlure
Dans votre crâne.
Qui que vous soyez, grands et petits, qui écoutez maintenant :
Cette fêlure dans votre esprit deviendra un ravin ou vous vous perdrez.
Taisez-vous les moqueurs réfléchis,
Taisez-vous les moqueurs stupides,
Et n’accueillez pas la petite fêlure de Juda
Vous vous y perdrez. »
Oracle du Seigneur.

La manipulation dont Tamar est l’objet est abjecte. Se faire mettre de côté parce qu’elle aurait le mauvais œil. Quelle lamentable idée, c’est du mobbing avant l’heure. Sa réponse, de se prostituer cachée avec son beau-père est plus que discutable, pour avoir une descendance. Mais nous auditeurs, paroissiens, nous portons peut-être le poids d’une hérédité lourde, incestueuse, d’un secret de famille, d’une tache sur l’arbre de nos ancêtres, il y a peut-être une Tamar en nous, un Tamar en nous ou dans notre lignée d’homme et de femme.
Prenez ce que la Parole de Dieu peut vous dire : vous êtes dans le fil rouge qui nous ramène tous au Christ. Vous êtes dans la main du Dieu qui nous tisse tous et toutes. S’il vous faut une parole biblique pour retrouver votre dignité, acceptez celle-ci.
Un brigand pendu sur une croix, voilà ce que nous sommes, et il dit à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton Royaume. » et Jésus de répondre : « Je te le dis aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

Prenez ce que je vais dire à tous. Ce sont des gens qui se croyaient purs qui ont crucifié le Fils de Dieu. Mais, Tamar n’est pas un modèle. Tamar n’est pas une icône. Tamar aurait bien aimé une autre vie. Oh ! Elle passerait bien aujourd’hui sur les plateaux de télévision genre « C’est mon choix » ou « Ça se discute » ou « On a tout essayé ». Elle écrirait un livre, on la recevrait en lui faisant une « standing ovation » pour la féliciter de quoi, d’avoir eu une vie bousillée par son crétin de beau-père.
Tamar n’est ni un modèle, Tamar n’est ni une icône. Tamar elle est la preuve que de nous et de nos malheurs, Dieu ne se tient jamais bien loin. Tamar est la preuve que de nous et de nos brèches écarlates nous ne sommes pas reniés par Dieu.
« Jésus, souviens-toi de moi !»
Chaque fois que nous rencontrerons la petite fêlure, celle du racisme, du sexisme, du pouvoir économique, de la différence d’âge, de village, d’intelligence, ou de quoi que ce soit, chaque fois que nous ressentons la petite fêlure.
Rappelons-nous que les arbres généalogiques accrochés aux murs de toutes les familles, les meilleures comme les pires, comprennent des fruits qui l’ont fait grandir en humanité, des fruits comme Tamar. Tamar, un fruit d’humanité dans l’arbre généalogique de Jésus de Nazareth. Il n’y a pas de place pour la petite fêlure aujourd’hui.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Christianne Cornu Cavin
Musique
Choeur mixte de Peney, direction
Pierre-André Pillet