Installez vous convenablement, confortablement, de telle sorte que soyez bien assis - celles et ceux qui nous écoutent peuvent même s’étendre - et fermez les yeux, imaginez un instant que vous êtes quelque part où vous vous sentez bien, détendus. Vous êtes sur une plage, il fait bon, le sable est agréable au toucher et le bruit de l’eau vous berce. Ou encore, vous êtes au bord d’une rivière, une brise légère fait plier les roseaux qui se trouvent sur la berge. Enfin, vous êtes calme, serein, détendu, rien ne peut venir vous brusquer, vous êtes bien, vous êtes seul, pensez-vous.
Petit à petit, vous êtes attiré par une silhouette, par quelqu’un – vous ne savez pas très bien qui c’est, vous devinez juste sa présence, vous sentez qu’il est là près de vous. Il est tranquille, il ne fait pas de bruit, il ne vous veut aucun mal. Vous avez l’impression de le connaître, de l’avoir déjà vu quelque part, mais où ? Peu importe, vous sentez qu’il ne vous veut aucun mal, vous êtes persuadé que c’est un ami et que vous n’avez rien à craindre de lui. Il est là pour vous aider à vous tenir debout quand vous êtes fatigués, si vous ne voyez plus très bien où vous en êtes, il vous guidera et si vous vous sentez prisonnier, lui vous délivrera de ce qui vous oppresse.
Imaginez, imaginons que nous nous trouvions dans le texte d’Esaïe. N’avez-vous pas l’impression qu’il se dégage de ce texte comme une grande sensation de douceur ? Le personnage décrit dans ce passage sous les traits du Serviteur de l’Éternel n’a rien d’un guerrier redoutable, d’un héros sanguinaire. Il ne crie pas, il n’élève pas la voix, il ne hausse pas le ton, il ne brise pas le roseau qui plie, il rend la justice et Dieu le tient par la main. C’est lui qui délivre les opprimés, c’est lui qui rend la vue aux aveugles et qui apporte le salut au monde.
Qui peut-il être, ce personnage mystérieux ? Un tel homme, investi d’une telle mission, ne peut être qu’un grand, qu’un saint : il faut l’être pour être rempli de l’Esprit de Dieu.
· Dans ce chant, Dieu présente son Serviteur : « Voici mon Serviteur bien-aimé, il m’a plu de le choisir. ». Il doit porter la vérité aux nations, il ne pratiquera pas la violence et usera de ménagements en vue du salut.
· Certains ont vu dans les traits du Serviteur de Dieu l’empereur perse Cyrus, qui sera appelé quelques chapitres plus loin le Messie. A un moment donné de son histoire, Israël a considéré Cyrus comme l’élu de Dieu, animé de son souffle. Cyrus a en effet laissé rentrer le peuple d’Israël de son Exil. Mais c’est un roi puissant et fort, qui n’a pas répondu aux attentes spirituelles du peuple. Le Serviteur, lui, sans faiblir mais en douceur, accomplira jusqu’au bout sa mission : faire connaître au monde le déploiement du dessein de Dieu qui est d’éclairer les hommes par sa lumière et de les unir dans son alliance.
· Le Serviteur, c’est peut-être aussi Esaïe lui-même : déporté, il a cherché réconfort auprès de Dieu, il a recueilli les paroles de son Seigneur puis les a transmises.
· Notre monde n’est pas bien différent de celui d’Esaïe. Dans notre monde secoué par tant de haines, de violences, de catastrophes et d’exils en tous genres, nous avons encore et toujours besoin de ce Serviteur de l’Éternel. Qui est-il pour nous ? Quel Cyrus Dieu met-il sur notre route pour nous redresser quand nous plions sous le fardeau ? Qui vient nous tendre la main pour nous aider à marcher, à avancer tranquillement d’un pas sûr ? Qui est celui qui viendra croiser notre chemin pour nous apporter le salut ? Qui viendra nous délivrer et nous guider dans l’obscurité ?
· Comme Esaïe est une des facettes de ce mystérieux Serviteur du Seigneur, qui apporte aide et réconfort à son peuple, nous aussi, nous pouvons être pour nos proches, pour ceux que le Seigneur place sur nos chemins, Serviteurs de Dieu : des témoins fidèles, courageux, qui redressent ceux qui plient sous le poids des soucis. Tranquillement, sûrement, fermement, nous nous battrons pour que la justice règne, pour que la voix des petits, des plus faibles se fasse entendre.
· Et si parfois il nous arrive, à notre tour, de baisser les bras, d’être découragés, d’avoir besoin d’aide, d’avoir besoin de ce « Serviteur » qui nous tienne par la main, si parfois nous nous demandons qui peut être pour nous cette personne remplie de douceur, dont la présence à nos côtés nous fait tant de bien, qui peut être celui qui nous rend la vie ?
Jésus : un inconnu dans la foule !
La deuxième lecture que nous avons entendue peut répondre à notre question. Quand Marc nous parle de Jésus, on dirait qu’il en parle comme d’un inconnu : rien sur sa naissance, rien sur son enfance, rien sur son adolescence. Tout commence à partir du moment où Jésus intervient dans notre histoire : quelqu’un parmi la foule vient se faire baptiser. L’atmosphère qui se dégage de cet épisode est paisible. Jésus ne parle pas : tout se fait dans la douceur, la tranquillité, la modestie, la sobriété. Jésus est silencieux.
C’est une nature douce, paisible qui s’approche de Jean. Calmement le baptême a lieu et la vérité éclate au grand jour : « Tu es mon fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir. » Jésus est désigné dans les mêmes termes que le Serviteur, dans les mêmes termes que les rois d’Israël à leur intronisation. Quelque chose d’immatériel, d’impalpable mais d’actif descend sur Jésus, comme une colombe, avec une grande douceur.
Tout est dit, tout se met en place, tout se dispose dans l’ordre qui sera le reste de sa vie. La prophétie d’Esaïe prend forme, corps et vie pour nous, chrétiens : « c’est lui, Jésus de Nazareth que le Seigneur a choisi et qui fait tout son plaisir… ». Le ministère du Christ peut commencer car il est temps. La boucle est bouclée : le voilà le Serviteur du Seigneur, le Fils de Dieu, celui qui rend la vie. Voici celui que Dieu a choisi pour nous redresser. C’est lui, il est là.
Tout commence par l’amour du Père pour le Fils : le baptême le montre et l’Esprit-Saint l’atteste. Depuis ce jour-là, nous sommes aimés de Dieu de la même façon. Amour insaisissable, dense, aveuglant comme la lumière peut l’être, doux comme le murmure de l’eau et le roucoulement de la colombe.
En Jésus, Dieu nous parle et nous dit tout son amour : « Tu es mon fils, ma fille, je t’aime, tu sais. » Nous ne saisissons pas tout, nous ne distinguons pas nettement ce qui est en train de s’accomplir sous nos yeux. Nous savons une chose : l’amour de Dieu pour nous est aussi grand et doux que l’amour d’un père, d’une mère pour son enfant. Et, en serviteurs de Dieu, nous sommes appelés à en témoigner par notre vie, nos actes et nos paroles.
Amen !