Il est possible de construire un monde sur les différences

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« Et toi, prends tout ce qui se mange et fais-en pour toi une réserve; ce sera ta nourriture et la leur. C'est ce que fit Noé; il fit exactement ce que Dieu lui avait prescrit. »
Je vous invite à continuer le - peut-être - imaginaire texte de l'arche de Noé. Essayons de prolonger, ou plutôt de remplir d'un autre contenu quelques-uns des versets entendus. Pour cela, détendez-vous, trouvez la position idéale, celle dans laquelle vous êtes confortable. Comme quand la voix d'une aïeule aimée se faisait entendre par : il était une fois…
Il était une fois: vous ! Vous dans la peau d'un de ces animaux de l'Arche de Noé. Fermez les yeux, regardez… regardez autour de vous. Les voyez-vous ? Ils sont tous là, les animaux: du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Asie, d'Europe, du Tibet ou des pays de l'Est. Ils sont là parce que Dieu veut donner un nouveau départ à une humanité jusqu'alors tendue vers le mal. Le Créateur imagine qu'un recommencement va aider l'homme et la femme à vivre de plus sages attitudes.
Fermez encore les yeux… Voyez-vous Noé, son épouse et leurs fils en train d'endiguer l'arrivée des animaux dans l'arche. Au contraire des images qui illustrent nos Bibles et certains de nos livres, vous êtes témoins que ce moment est plus un mouvement de foule incontrôlable qu'une longue et interminable procession d'animaux rangés sagement, deux par deux, côte à côte, mâle et femelle. Vous êtes témoins d'une espère de ruée; dans laquelle le loup regardait, d'un œil mouillé de gourmandise, la gazelle exotique qui ne passait pas assez près de lui et de ses mâchoires.
Vous surprenez-vous à penser maintenant ce qu'était la réalité de la vie dans l'arche ? À observer la girafe incliner le cou en penchant un peu la tête pour toiser le putois, en lui disant : « Nous n'avons très cher, ni les mêmes fréquentations, les mêmes valeurs. » Comme animal de l'arche, vous connaissez la réponse du putois: celle qui consiste à tourner le dos à l'insulte tout en ne manquant pas d’asperger la pédante majesté d'un nuage nauséabond.
Dans la cadre de l'aumônerie de rue, nous vous dirions que le putois a été jugé pour son aspect , par ce qui est appelé le délit de sale gueule . Lui dont le seul tort a été de ne pas savoir dire : « Mais bien entendu très chère, ni les mêmes fréquentations, ni les mêmes valeurs, mais je m'en bats le coquillard… » Dans cette arche-là, tout semble donc bien dépendre de la manière dont on regarde l'autre. De haut, sans jugement peut-être, mais avec une telle supériorité que toute compréhension est inutile. Sauf si un modérateur se propose et si vous voulez bien tenter de comprendre nos différences.

Ça va ? Vous êtes toujours les yeux fermés dans ce monde irréel de l'arche. Restez-y s'il vous plaît encore un peu, malgré les barrissements sonores, les mugissements et autres. Malgré les odeurs qu'une telle promiscuité met en évidence; malgré le décor austère ou encore malgré ceci ou cela.
Il n'y a peut-être pas que la manière de regarder l'autre qui intervient dans ce qui est une relation à l'autre. Il y a encore d'autres terrains de dispute possible. Par exemple: le problème du territoire. Mais cela vous le savez dans votre arche ! Voyez-vous Monsieur et Madame Hippopotame vautrés dans leur paille fraîche ? Et à côté dans un tout petit enclos Monsieur et Madame Lapin regrettant de ne pas avoir de place pour courir alors que ceux d'à côté en ont plus et qu'ils bougent si peu.
Dans ce cas, tout est lié au regard qui est jeté sur l'autre, sur ce qu'il possède et que je n'ai pas. Avec cette jalousie, digne de Caïn et Abel, toute compréhension est inutile. Sauf si un médiateur se propose et si vous voulez entendre ce que les lapins vont dire tout en sachant qu'ils vont aussi écouter.
Et encore, dans votre arche. Tournez la tête et regardez par dessus votre épaule, l'autruche là-bas au fond. Elle fait la mijaurée en battant ses longs cils perchés au somment d'un cou qui se dandine. Elle est loin, mais la voir suffit pour décider qui elle est. À une telle distance, la réalité vous échappe totalement et vous auriez tendance à rester sur une vague impression. Impossible de penser que l'autruche puisse être autre chose que ce que vous avez observé. Sauf si un intermédiaire vient vous l'apprendre et si vous voulez si vous voulez bien tenter de le connaître.
J'aurais pu vous parler, autres pommes de discorde, des régimes alimentaires de ceux qui préfèrent, par religion ou habitude, manger ceci plutôt que cela.

Mais sortons de l'arche , il en est temps! Le il était une fois se termine sur un malaise: le nôtre. Redevenons ces hommes et ces femmes qui passent une partie de leur temps à épier de quelle manière leur voisin les regarde, à envier ce qu'il est et que je ne suis pas, ou encore ce qu'il a et que je n'ai pas. Que personne n'ose penser qu'il n'a jamais été un de ceux qui décident ce qu'est l'autre, sans le vérifier et le lui demander.
Que personne n'ose affirmer qu'il n'est pas possible de construire un monde sur les différences. Ce qui nous réunit déjà qui permet de tisser des liens et construire, par dessus les fossés qui parfois nous séparent, en commençant de part et d'autre un pont sur lequel nous nous rejoindrons.
Demandez-vous pourquoi nous devons aussi le faire :
· parce que nous sommes dans la même arche,
· parce que le projet de Dieu est le même pour tous,
· parce que notre dénominateur commun est de vivre sur une même terre : celle de Dieu,
· parce qu'il nous dit encore, comme il l'a dit à Noé : « Et toi, prends tout ce qui se mange et fais-en pour toi une réserve; ce sera ta nourriture et la leur. »

Nous, c'est ici que nous existons, copiant à l'infini les querelles des animaux de Noé. Nous, c'est ici que nous vivons dans une nouvelle Alliance, une nouvelle chance de vie offerte par Dieu en Jésus Christ. Aucun politique, aucun ecclésiastique n'ose remettre cela en question sans renier 2000 ans d'histoire et, pire encore: le cœur même du message que le Fils de Dieu a retransmis et dont nous sommes les héritiers.
Je suis fier d'un État, d'une Église, dans lesquels une résistance se lève quand il s'agit d'arbitraire et de présupposés face à l'accueil. Ceux qui séjournent, légalement ou pas, qu'ils soient 523 ou plus, ont droit à notre considération dans le sens : donner le droit d'être dans la dignité. Ils ne doivent pas être les oubliés ou les exclus de l'Arche que celle-ci soit le Canton de Vaud, la Suisse ou un monde dont nous oublions qu'il ne nous est que prêté et dont certains veulent être les gendarmes.
Aujourd'hui, pour ceux d'entre vous qui sont concernés, qui souffrent d'exclusions, de jugements hâtifs, dites-vous que Dieu vous aime et que ceux qui se réclament d'une éthique chrétienne vous aiment aussi sous peine de trahir Celui (avec C) dont ils disent être les ouvriers. Ils vous aiment parce qu'ils le désirent et non pas parce qu'ils le doivent. Ils vous aiment parce qu'ils se souviennent que, comme dit dans le texte de l'Exode : cf. v. 1 – 3, 6, 7 et 9.

Si pour vous cet amour est recevable, partagez-le avec le même respect. L'arche-terre ne peut être conduite que par une communauté pensante, priante et reconnaissante envers Dieu et ce qu'Il lui a offert. Nous nous devons mutuellement de ne vas pas utiliser les erreurs que font certains pour juger, en bloc, tout un peuple ou tout un mode de pensée. Tu es mon frère, tu es ma sœur !
Le proclamer et le vivre c'est te voir, mon frère, ma sœur, avec le regard que Jésus Christ demande à chacun de nous d'avoir quand il nous dit : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger. J'ai eu soif et vous m'avez donné à boire. J'étais étranger et vous m'avez recueilli… »
15 secondes de silence pour laisser résonner cela en nous. C'est long sur l'antenne, mais c'est court dans une vie !

Sans aucun lien direct avec ce que je viens de dire, semble-t-il, vous l'avez votre bouillon cube ? C'est de chez nous, c'est en Suisse que cela a été fabriqué quand, en 1884, un homme a inventé la soupe toute prête. À midi quand vous mangerez ce potage, savourez-le et repensez à l'arche de Noé, aux différences et aux richesses. Ce fleuron de l'industrie suisse que vous avalerez, ce pilier de notre gloire industrielle est né du cerveau de M Julius Maggi, fils d'un réfugié de Lombardie ! Et croyez-moi, la Lombardie à l'époque n'était pas mieux vue que certains pays des Balkans ou d'outre-mer.
Continuons de chasser, d'évincer, de trier et nous perdrons avec certitude ce qui est peut-être l'avenir de demain. Nous sommes en train de nous couper de la richesse des différences qui vivent ensemble, pour un monde neuf. Chacun dans la portion qui lui a été attribuée. Comme dans l'arche.
Un charpentier venu de Nazareth a tenté de nous l'apprendre. Il a été le modérateur qui a mis en évidence, le médiateur qui nous demandait de regarder, l'intermédiaire venu nous apprendre. Aujourd'hui, dans ce restaurant du Château, dans ce coin d'Yverdon, ce même Seigneur nous a rassemblé pour nous redire, nous qui séjournons sur terre, de dépasser nos peurs et nos jugements gratuits pour le faire.
Nous qui séjournons sur terre. Séjournons… ! Séjourner vient de paroïkéô en grec. Paroïkéô puis paroïkia pour dire : exil en terre étrangère. Ce mot en français est à la naissance d'un mot qui nous est cher et au cœur duquel nous trouvons une identité communautaire: le mot paroisse.
J'espère que maintenant vous ne verrez plus la soupe en sachet avec le même regard. J'espère que maintenant, en pensant paroisse ou paroissien vous imaginerez autre chose. Et surtout, j'espère que chacun de nous, quand il croisera un regard qui cherche à être aimé et considéré, se souviendra que le Salut nous a été offert parce que Dieu l'a voulu et que nous ne sommes que des voyageurs sur cette arche-terre.

Amen !

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Détails

Avec la participation de
Orgue
(Sans)
Musique
Gjon Guralumi, accordéon; Griselda Iseli, harpe; Dann Rufener, saxophone