Conte pour un matin des Rameaux

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Judith se souvient de l'année dernière où à pareille époque, elle avait vu le flot continu des pèlerins allant et venant par les portes de la ville. Avant, elle ne s'en souvient pas, elle était trop jeune. Cette année, elle est allée les guetter dès qu'elle a su que la fête de Pâque allait être préparée. Elle a même remonté la route en direction de Jéricho. Hier, elle avait entendu dire que le terrible Zachée, le chef de collecteurs d'impôts, avait reçu une visite extraordinaire et que, depuis, il distribuait de l'argent à des commerçants, des marchands, des caravaniers en leur demandant pardon !
Hier soir, Judith a retrouvé cet homme qui avait ainsi bouleversé Zachée. Il venait de Galilée, entouré de toute une foule qui ne cessait de l'interroger. Fatigués par la route ses amis et lui s'étaient installés comme ils pouvaient en rase campagne. La foule était si nombreuse, qu'ils n'avaient rien trouvé pour allumer un feu pour la nuit.
Judith s'était approchée tout près, elle avait entendu cet homme dire à ses amis qu'il se réjouissait d'entrer demain à Jérusalem. Un de ceux qui l'accompagnaient lui avait alors demandé comment il pensait entrer. L'homme était surpris par la question. Il lui avait dit : « Et bien, mais à pieds, comme tout le monde ! » « Mais tu n'y penses pas », lui avait lancé quelqu'un, « personne ne te remarquera. Il faut que tous les pèlerins sachent que l'Envoyé arrive ! il faut organiser ton entrée au milieu de tous ces gens, tu vas passer inaperçu ! »

L'Envoyé ! Judith comprenait mieux pourquoi Zachée avait tellement changé ! L'Envoyé allait entrer dans la ville, en plein pèlerinage ! Quel événement ! C'est vrai, il fallait que tout le monde le sache. Cela lui donnait une idée. Et si elle se chargeait de cela ? A une semaine de la pleine lune, la nuit était suffisamment claire pour qu'elle reprenne le chemin de Jérusalem. Elle allait voir sa tante. A cette heure elle serait encore debout.
Judith frappe chez sa tante Prisca, qui lui ouvre sa porte tout étonnée. Elle lui explique qu'elle veut lui emprunter son chameau pour permettre à l'Envoyé d'entrer de manière remarquée demain à Jérusalem. Prisca dans un premier temps ne comprend rien aux explications de sa nièce. Lorsqu'elle crut avoir compris, elle lui dit :
- Prisca: Donc, tu voudrais que je te prête mon chameau de telle sorte que cet Envoyé – il faudrait encore être certain de ce que tu avances, avec tous ces excités qu'il y a actuellement en ville – bref, tu voudrais que cet Envoyé entre à Jérusalem sur mon chameau pour que tout le monde le voie bien ?
- Judith: C'est exactement ça. Sur ton chameau, on le verra bien et tout le monde saura que l'Envoyé est en ville !
- Prisca: Ça pour le voir, on le verra. Mais un chameau dans les rues avec toute cette foule, je me demande si c'est une bonne idée. Enfin, mais ce n'est pas le tout, tu crois que ça convient à un Envoyé de se jucher sur un chameau ? Et d'abord, il est l'Envoyé de qui cet homme ?
- Judith: Mais de Dieu, pardi ! de qui veux-tu qu'il le soit ?
- Prisca: Oh, alors dans ce cas, ça ne va pas du tout. Les gens n'y comprendront rien. Quelqu'un sur un chameau, c'est forcément un commerçant. Ce n'est pas un commerçant ton Envoyé ? Il a quelque chose à vendre ?
- Judith: Non !
- Prisca: Alors, s'il n'a rien à vendre, il te faut chercher une autre monture.

Et Judith se retrouve toute dépitée dans la rue, très déçue. C'est vrai qu'un chameau, maintenant qu'elle y réfléchit, sa tante a sans doute raison. Ça ne va pas pour l'envoyé de Dieu.
C'est alors que Judith passe devant l'écurie de Shebanya. Elle a toujours admiré le cheval magnifique qu'elle a vu courir quelquefois lorsque son maître part en voyage. Justement Nephtali, sa femme, est en train de le nourrir, le sabbat étant terminé depuis deux heures environ.
Judith prend son courage à deux mains et raconte à nouveau son histoire. Neptali l'écoute attentivement et lui dit :
- Nephtali: Shebanya m'a parlé de cet homme, il était lui-même à Jéricho juste après son passage. Il a dû le dépasser en revenant hier. Il était pressé parce qu'il voulait arriver avant le début du sabbat. Alors tu crois vraiment que c'est l'Envoyé que nous attendons depuis si longtemps ?
- Judith: En tout cas, ses amis ont l'air d'en être certains. Et à entendre ce qu'ils disent de Zachée, il ne doit pas être n'importe qui !
- Nephtali: En effet, si ce grippe sous de Zachée se met à distribuer son argent, il faut être très fort pour changer les gens comme ça. Mais j'y pense, ton Envoyé, ce n'est pas un soldat ? Il n'a rien d'un guerrier ?
- Judith: Oh non ! tout au contraire ! Il a l'air très gentil, et ses amis aussi, en tout cas, je n'ai pas vu d'arme.
- Nephtali: Alors ça ne va pas pour le cheval. Le cheval est une monture de soldat, tu comprends. S'il entre sur le cheval de Shebanya, on va croire qu'il est un chef militaire et ça va faire des histoires avec les Romains. Non crois-moi, il vaut mieux que tu renonces.

Et Judith se retrouve une fois encore dans la rue, cette fois-ci très découragée. C'est alors qu'elle passe derrière le Palais du roi Hérode. Elle connaît mal ces ruelles, mais en cette période où elles grouillent de monde, c'est plus rapide. Elle ne peut s'empêcher de regarder dans une remise d'où sortent des bruits sourds, comme si on tirait un gros meuble sur le sol. Elle voit une espèce d'énorme siège, tout en bois recouvert de peaux et de tissus de belles couleurs. Elle n'a jamais vu un tel meuble parce que c'en est un, mais immense, presque pour un géant ! Un homme était en train de le pousser contre un des murs de la remise.
- Claude: Eh bien ! Au lieu de me regarder à ne rien faire, viens plutôt m'aider !
Judith n'ose pas refuser, et les voilà tous les deux en train de pousser de toutes leurs forces pour déplacer l'énorme fauteuil. Y étant parvenus, ils reprennent leur souffle en contemplant l'énorme meuble.
- Claude: Tu n'avais jamais vu un palanquin ?
- Judith: Un, un pala quoi ?
- Claude: Un palanquin. Et celui-là est particulièrement lourd. Il faut bien quatre hommes, et des plus forts pour le porter, et encore, en cas de long trajet quatre hommes supplémentaires seraient nécessaires pour relayer la première équipe.
- Judith: Mais pourquoi le transporter ? Ça sert à quoi de promener ce fauteuil gigantesque et pour aller où ?
- Claude: Tu n'as jamais vu passer le roi ?
- Judith: Non. Quand le roi traverse la ville, mes parents m'interdisent de sortir de la maison.
- Claude: Ah ? Quelle drôle d'idée ! Et bien si tes parents t'avaient laissé sortir, tu aurais vu le roi Hérode rentrer chez lui, assis sur son palanquin, porté par quatre hommes à travers les rues, de la porte de la ville à celle de son Palais. C'est comme ça que se déplacent les rois, la plupart du temps.
- Judith: Fantastique ! C'est exactement ce que je cherche. Tu pourrais me le prêter pour demain matin, dis ? Je te le ramène avant midi, promis!
- Claude: Qu'est-ce que tu me racontes, me l'emprunter ? Et pour qui ?
- Judith: C'est pour l'Envoyé de Dieu. Demain il entre à Jérusalem. Lui, il pense entrer à pieds, mais ses amis disent qu'il passera inaperçu, ils sont d'avis qu'il faut que les gens sachent qu'Il arrive et qu'il est là à quelques jours de la fête de Pâque. Alors je me suis dit que peut-être je trouverai une solution.
- Claude: Une solution ?
- Judith: Oui ! J'avais pensé qu'il aurait pu entrer dans la ville monté sur un chameau, mais ma tante a dit qu'on le prendrait pour un marchand, j'ai pensé ensuite à un cheval, mais il paraît qu'on l'aurait pris pour un soldat, alors sur ce blada… ce pinqua… ce, enfin ce grand siège, ce serait formidable, ses amis le porteraient et la foule applaudirait son entrée, et comprendrait que ce n'est ni un marchand, ni un soldat.
- Claude: Tu veux m'emprunter le palanquin du Roi pour organiser l'entrée de ton envoyé de je ne sais quel dieu, mais tu es complètement folle ! Tu ne voudrais pas que le Roi Hérode en personne vienne vous aider à le porter par hasard ? Allez ! Fiche le camp, si tu ne veux pas que j'appelle les soldats !

Et Judith est jetée dehors avec un formidable coup de pied au derrière. Elle court jusqu'au bout de la rue, passe par derrière la forteresse d'Antinéa pour éviter de contourner toute l'esplanade du temple, et ne s'arrête pour reprendre son souffle que lorsqu'elle est en vue de la porte des Brebis. Là elle s'assied sur un pas de porte, pose sa tête sur ses bras repliés sur ses genoux, avec le sentiment d'avoir complètement échoué.
Judith s'est endormie. Les premiers bruits qui annoncent le lever du jour animent déjà la rue et la réveillent. C'est alors qu'elle voir passer un des amis de l'envoyé entrevu la veille. Sans réfléchir, elle se lève et les suit. À quelques pas derrière eux, elle les entend converser :
- Il en a de bonnes, Jésus, de nous envoyer chercher un âne dit l'un des deux hommes. On a rien trouvé ni à Béthanie, ni à Bethphagé, et je doute beaucoup qu'on en trouve un à Jérusalem.
- Pourtant, il nous a dit qu'on en trouverait un, rétorqua l'autre, et tu sais que quand il dit quelque chose, on peut lui faire confiance.
Intriguée, Judith, s'approche et interpelle les deux hommes.
- Judith: Ce Jésus dont vous parlez, c'est bien celui que les gens appelle l’« Envoyé » ?
- C'est juste ! lui répond un des deux hommes tandis que l'autre hoche la tête.
- Judith: Mais, pourquoi vous envoie-t-il chercher un âne ?
- Ben, reprend l'homme, Jésus a prévu d'entrer dans la ville ce matin. Il pensait y venir à pieds. Nous, on a trouvé que ce n'était pas correct : l'envoyé de Dieu ne doit pas entrer à Jérusalem comme un simple pèlerin. On lui a dit qu'il fallait mieux préparer son entrée, pour que les gens sachent, pas vrai André ?
- Exactement ! reprit son compagnon. On lui a dit de prendre une monture. Il a accepté, mais à la seule condition que ce soit un âne.
- Pire que ça ! le coupa le premier, un ânon ! il a dit un ânon.
- Judith: Un ânon ? mais… mais, il va être ridicule !
- C'est ce qu'on lui a dit, reprit celui qui s'appelle André. Mais il nous a dit qu'ainsi s'accomplirait la prophétie de Zacharie, comment c'était déjà ? Tu t'en souviens, Jacques ?
- Oui, attends ! C'était quelque chose comme : « Voici que ton roi vient à toi : il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse. »
Après un moment de silence, Judith reprend:
- Judith: Écoutez, mon grand père habite Bethphagé, il possède une ânesse qui a mis bas un petit il y a seulement quelques semaines. Vous ne l'avez pas trouvé, parce qu'il est un peu en dehors du village. En nous dépêchant, nous serons encore assez tôt. Venez !
-
Lecture de l'Évangile de Marc, chapitre 11, versets 1 à 11

Judith avait vécu le plus beau jour de sa vie. Jeune et pleine de rêves, elle n'avait pas entendu les commentaires de ceux qui n'avaient pas apprécié la popularité de Jésus. Elle n'avait vu que cet homme : l'Envoyé ! Elle n'avait entendu que les acclamations de la foule.
A ses côtés, sa tante :
- Prisca: C'est pour lui que tu m'avais demandé mon chameau ?
- Judith: Oui, c'est pour lui.
- Prisca: Je suis contente de te l'avoir refusé.
- Judith: Ah ! Et pourquoi ?
- Prisca: Parce que, nous avons tous compris. Quand un homme monte un cheval ou un chameau, sa monture lui ajoute de la prestance, de la majesté et de la puissance. Quand un homme monte un âne, pire encore un ânon ! il n'y gagne qu'en ridicule ! Sa monture est trop petite, elle est instable et sautillante. Elle ne met pas l'homme en valeur.
- Judith: Ben, tu en as l'air contente ? Et qu'est-ce que vous avez compris à le voir aussi « ridicule » ? Pourtant, je te fais remarquer que les gens ont applaudi, ils l'ont accueilli comme un roi !
- Prisca: C'est ça qui est extraordinaire ! les gens ont compris, je te dis ! Vois-tu c'est pour se moquer des vaincus qu'on faisait défiler sur un âne les rois dont les armées avaient été défaites, mais c'est aussi sur un âne que les rois, refusant la guerre, venaient offrir la paix à leur adversaire.
(Après un temps de silence…)
- Prisca: Cet envoyé s'est humilié lui-même en entrant à Jérusalem sur un âne.
- Judith: Oui, mais tu as vu et entendu comme moi, la foule l'a glorifié !
- Prisca: Parce que cet homme est venu apporter la Paix.
- Judith: Ah ! je comprends. Tu penses que les gens ont réalisé qu'il est plus qu'un roi, enfin quelqu'un d'autre qu'un roi, qu'il est un messager venu apporter la Paix de Dieu.
- Prisca: Oui, c'est ça, c'est exactement ça. Et apporter aujourd'hui la Paix de Dieu à Jérusalem, c'est l'offrir :
Ø aux Juifs qui résident ici,
Ø aux Juifs pèlerins venus du monde entier,
Ø aux Romains qui occupent la ville…
Ø je crois que tous ont compris, qu'il est venu offrir la Paix de Dieu à l'humanité toute entière.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Isaline Gerhard
Musique
Sarah Caloz (chant) & un groupe de guitaristes