Une petite lumière peut éclairer même l’obscurité la plus noire

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Je pensais à cette phrase que l’on attribue en général à Martin Luther King, je pensais à cette phrase l’autre soir en descendant vers le carnotzet où m’attendait l’agape de Noël d’une société locale de chant, qui a l’habitude d’inviter le pasteur de Sion pour partager avec lui le vin chaud, la tresse et quelques chants de Noël.
J’y vais chaque année. J’ai plaisir à m’y rendre. Et ce soir-là, alors que je m’y dirigeais tout en réfléchissant à cette petite phrase, j’en ai vu bien des lumières ! Il faut vous dire – et en particulier il faut le dire à nos auditeurs qui ne connaissant pas ou peu Sion – que la cure protestante est située au nord de la ville, au pied du vignoble, plutôt sur les hauteurs. Les constructions de la ville descendent doucement depuis ces hauteurs jusque vers le Rhône. Le carnotzet quant à lui, est plutôt au bas de la ville, vers les berges du Rhône. C’était déjà la nuit et je traversais tout le centre ville pour me rendre à cette agape de Noël

Une seule petite lumière peut éclairer la nuit la plus noire. Il faisait froid. Ce soir-là, ce n’était pas un soir de nocturnes commerciales, les magasins étaient déjà fermés Et, malgré l’animation créée en ces jours par le chemin des crèches, les passants étaient rares dans les rues. Pourtant chaque vitrine de magasin avait fait un effort pour attirer le chaland grâce à une décoration de Noël des plus lumineuses. Un peu partout, les vitrines se renvoyaient l’une à l’autre des rayons de lumière venus d’ampoules plus ou moins colorées, plus ou moins artistiquement disposées.
Pas un seul magasin ne faisait exception à la règle. Tous, du plus modeste au plus imposant, s’en donnait à cœur joie dans une farandole de guirlandes lumineuses. Entre les magasins, au-dessus de nos têtes, les décorations de Noël de la ville de Sion rivalisaient d’ingéniosité pour donner aux rues de la ville un air de fête.

Une petite lumière suffit à dissiper la nuit la plus noire. Je ne sais pas pourquoi, mais en descendant ce soir depuis la cure jusqu’au carnotzet, les rues me paraissaient noires et sombres comme si les lumières avaient de la peine à faire leur travail. Comme si chaque photon émis était instantanément absorbé par les ténèbres ! Comme si je les voyais lutter pour essayer de repousser le noir ! Mais quand elle parvenait à mes yeux, cette lumière me paraissait encore froide. Ce n’était presque pas de la lumière, c’était quelque chose qui diffusait certes une pâle clarté, mais ce n’était pas la lumière.
Je cheminais en pensant à cela et je m’interrogeais : « Mais quelle est cette lumière capable de dissiper les ténèbres du monde ? Quelle est cette lumière si particulière que chante Noël ? » Une lumière capable de repousser les ténèbres et de me rassurer, de repousser tout ce qui tout au long de l’année, tout au long de mes jours m’agresse et m’assaille. Les mauvaises nouvelles qui se succèdent. Les discours pessimistes et catastrophiques sur l’avenir du monde, sur le monde que nous laissons à nos enfants. Un monde de pollution, un monde de compétition exacerbée où « malheur aux vaincus » devient le dicton favori de la course aux délocalisations. Un monde où la suspicion, la jalousie, les malentendus et les préjugés seront rois. Et pire que tout, un monde sans espérance, un monde sans perspectives.

La plus sombre des ténèbres qui nous menace est à chercher de ce coté-là. Non pas tant par l’accumulation des difficultés parce que nous en avons connu d’autres. L’humanité en a connu d’autres. Dans nos vies nous avons chacun connu nos accumulations de difficultés et nous avons chacun pu et su y faire face du mieux que nous pouvions. Mais pour y faire face, il faut avoir l’espérance d’un changement possible, l’espérance d’une amélioration possible, l’espérance d’un avenir possible. L’espérance d’une terre promise.
C’est bien là la principale ténèbre qui envahit actuellement notre monde, nous n’avons plus d’espérance. Ou si peu. Ou si tenue.
Alors certes on a soulevé des foules au nom de l’espérance. On les a trompées. On a manipulé des bons sentiments au nom de l’espérance. Et on les a broyés. Toutes les utopies ont souvent engendré de telles catastrophes que nous sommes devenus méfiants. Mais n’avons-nous pas jeté le bébé avec l’eau du bain ? Ou plus exactement n’avons-nous pas jeté le bébé avec la paille de la crèche ? Le bébé de l’espérance, le bébé fragile de l’espérance à protéger, et à valoriser et à faire grandir, ne l’avons nous pas jeté avec la paille souillée de nos espoirs déçus ?
Nous sommes devenus cyniques, nous sommes devenus désabusés, nous sommes devenus faibles et nous avons baissé les bras. Nous nous sommes résignés devant le mal et le malheur du monde en nous disant : «C’est ainsi, on n’y changera rien. » Alors les ténèbres ont envahi le monde. Alors les ténèbres se sont solidement installées et on peut allumer 1000 et une lumières dans les vitrines de nos magasins et dans l’éclairage de nos rues, on peut faire tous les efforts que l’on veut, ces lumières n’éclairent tout simplement plus. De même que du sel qui a perdu sa saveur ne sert plus à rien, de même une lumière qui n’éclaire plus est tout simplement oubliée.

Je cheminais encore dans les rues de Sion quand me voila arrivé au carnotzet, sans avoir vu sur mon trajet une seule lumière capable de repousser les ténèbres. Toutes semblaient s’y perdre.
Je me suis installé à une table, accueillis par les chants de ces hommes qui entonnaient quelques traditionnels chants de Noël de leurs voix graves. Certaines étaient tremblantes, d’autres étaient plus assurées ; mais chacune était pleine, remplie du plaisir à se retrouver là. Le carnotzet était dans la pénombre, quelques bougies, quelque éclairage indirect, pas grand chose. Ces chants montaient là et montaient encore. Et sans que je m’en rende compte, sans que je puisse me dire : «Ça y est c’est maintenant que cela a commencé », sans qu’il y vraiment un avant et un après, j’ai découvert que les choses avaient changé.
J’ai petit à petit pris conscience que dans ce carnotzet-là se diffusait maintenant une autre lumière. Une lumière qui s’insinuait et repoussait les ténèbres ou qui semblaient tout au moins en marquer les limites : « ,jusque là mais pas plus loin ». Et les ténèbres semblaient obéir à cette lumière et les ténèbres semblaient s’incliner devant elle.
Petit à petit, j’ai découvert les visages des personnes présentes. Je les ai vus se détendre, reprendre vie, rependre forme et fermeté. J’ai vu des yeux brillants. J’ai vu les yeux de visages burinés par les années, briller comme les yeux de l’enfant devant le sapin. J’ai vu des petits sourires discrets d’homme tout simplement heureux de chanter ensemble.

Une seule petit lumière peut éclairer la nuit la plus noire. Même une petite lumière peut trouer la nuit la plus noire : je l’avais trouvé la lumière ! Elle m’avait été donnée. C’était la lumière de la fraternité, la lumière de l’humanité réunie au-delà des mots dans un chant commun, un chant qui disait l’émerveillement devant la nuit qui vient, l’émerveillement devant la naissance, l’émerveillement devant le petit couché, devant la puissance de la vie même dans une situation de dénuement la plus extrême, l’émerveillement.
Nous devenions à travers ce chant, sans le savoir, compagnons et compagnes des bergers de Bethlehem, compagnons et compagnes des mages sur les chemins de Judée, et même compagnons et compagnes des anges au-dessus de l’étable.
Une petite lumière s’était allumée, une petite lumière s’était allumée dans ses visages et, sans rien dire, au-delà des mots, il nous était possible de communier ensemble dans la lumière, de communier ensemble dans une certaine joie dans un certain plaisir à être, à être l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, à être homme et femmes simplement réunis par et autour de la lumière

Et vous le croirez ou non, j’ai trouvé là espérance, oui j’ai trouvé là espérance. Tant qu’il y aura des hommes pour chanter, tant qu’il y a des hommes pour se retrouver et chanter Noël et pour se retrouver autour de la table de l’amitié, tant qu’il y a des hommes pour se retrouver autour de la table de la fraternité et pour être encore capables de s’émerveiller devant une naissance, il y aura de l’espérance sur cette terre. Il y aura de l’espérance dans ce monde, dans cette vie. A travers le sourire de ces hommes, à travers leurs visages il me semblait pouvoir discerner comme le sourire de Dieu lui-même, comme un clin d’œil de Dieu lui-même qui me disait : « tu vois le miracle de Noël ça a encore marché », « Ça a encore fonctionné, une fois de plus ça marche »
Ça marche parce que c’est vrai, parce que tout ce que Dieu a d’amour, parce que tout ce que Dieu a à dire à l’être humain : qu’il soit le berger de Bethlehem il y a 2000 ans, ou celui qui est venu dans ce temple ce soir, ou celui qui est présent à travers les ondes, tout ce que Dieu a à transmettre : c’est ce sourire et ce regard de tendresse qu’il porte sur nous comme nous le portons sur l’enfant dans la crèche.
Ce soir-là, quand j’ai quitté le carnotzet et que je suis remonté vers la cure, le chemin m’a paru court, l’air était froid et piquant et en même temps doux et même les lumières des magasins et de la ville me paraissaient différentes et bien que le livre des Actes des Apôtres dise qu’il ne faut pas confondre les effets du vin doux avec l’inspiration du St Esprit, j’avais reçu ce soir là un fantastique cadeau de Noël : Dieu me souriait et ce sourire s’appelait espérance. Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Ursula Isely
Musique
Paul Rah, violoncelle; Chantal Loretan, chantre