Changer… pas si facile que cela !

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Au cours de notre existence, nous rencontrons tous un jour ou l’autre des femmes, des hommes qui nous donnent l’impression de fonctionner différemment de nous. Ils ont toujours une bonne idée pour changer les choses, pour mettre sur pied un projet, à leurs yeux, fondamental. Tous, un jour ou l’autre, nous croisons la route de personnes qui ne rentrent pas dans la norme, qui ne sont pas au diapason avec nos idées, notre façon de vivre et qui ne sont évidemment pas sur la même longueur d’onde que la majorité.
Bien souvent nous sommes agacés par ceux qui nous empêchent de tourner en rond, par ceux qui nous obligent à nous remettre en question sur nos manières de faire, de vivre ou de penser.
En général, il n’y a pas besoin de chercher très loin. Chaque fois que nous vivons en société, de tels individus émergent. C’est celui qui a toujours des propositions originales et farfelues dans les assemblées générales des associations dont nous sommes membres. C’est un politicien qui a toujours une proposition en réserve et qui ne tarit jamais. C’est cet idéaliste qui ne lâche jamais le morceau et qui est prêt à tout perdre pour son idéal. C’est encore ce paroissien qui désire vivre selon ses convictions coûte que coûte et cela nous dérange car il sort un peu trop de la norme, du consensus habituel.

C’est peut-être ce qui agace profondément les Pharisiens dans la péricope de l’évangile de Matthieu. Nous ne connaissons pas les motivations profondes des Pharisiens. Par contre, nous savons qu’ils désirent faire taire cet agitateur qui, jour après jour, pardonne et guérit ceux qu’il rencontre sur son chemin.
Cet homme qui dérange et qui de plus est suivi par la foule, ce Jésus, à quoi joue-t-il ? Est-ce un inconscient qui ne se rend pas compte de l’effet que ses actes produisent autour de lui ? Est-ce un agitateur qui prend plaisir à aller à contre-courant, à prendre le contre-pied de ce qui se fait ? Est-ce simplement un original qui ne peut pas faire comme tout le monde et rester dans le rang ? Quoi qu’il en soit, Jésus agit, faisant fi du risque encouru, laissant de côté le « qu’en pensera-t-on ».

Bien souvent, notre capacité à imaginer le changement est réduite. Nous sommes mis en danger par le fait de devoir changer, de déroger à une règle, à une habitude, à une tradition. Ou encore, nous sommes simplement dérangés rien qu’à l’idée de devoir sortir du petit confort matériel, intellectuel ou spirituel dans lequel nous sommes engoncés.
Il est souvent intéressant de nous pencher sur les véritables motivations de nos refus de changement et de nouveauté aussi mineurs soient-ils. Nous faisons comme ceci car nous l’avons toujours fait ainsi. Il n’est pas concevable de dépasser cette limite, que va-t-il se passer autrement ? Ou encore, lorsqu’il s’agit de changer, la crainte de perdre quelque chose est trop importante pour prendre un tel risque. Nous sommes ainsi sclérosés dans des carcans qui nous empêchent de vivre vraiment, d’assumer en face nos responsabilités et de vivre en symbiose avec notre vocation d’enfant de Dieu.

Trop souvent, nous subissons les changements, les dépassements de nos repères habituels car il n’y a plus la possibilité de faire différemment. Nous modifions nos conceptions et nos actes uniquement parce qu’il n’y a plus d’autre alternative.
Nous pouvons prendre par exemple le douloureux problème du réchauffement de la planète. Aujourd’hui nous le savons, il y a des modifications climatiques importantes. Mais pour arriver à ce constat, les tenants de ces observations et de ces théories ont dû se battre et se battent encore pour les faire accepter. Derrière la volonté de refuser, que ce soit de manière consciente ou non, il y a la volonté de ne pas avoir besoin de remettre en question notre mode de vie et surtout notre mode de consommation. Et aujourd’hui encore, prendre des mesures concrètes, visibles, voter des lois ou toucher au porte-monnaie est difficile. Nous savons qu’un jour ou l’autre cela arrivera, mais nous n’arrivons pas à nous résigner à le faire volontairement. En accord sur le fond du problème, nous trouvons une multitude d’excuses et de bonnes raisons pour remettre à plus tard ce que nous devrions commencer aujourd’hui avec un peu d’audace.
Voici un exemple qui montre clairement que souvent, trop souvent, ce n’est pas l’idée de base qui nous dérange, mais les changements que celle-ci va provoquer dans nos vies si bien rodées. L’exemple que je viens de mentionner concerne particulièrement les enjeux sociaux et politiques de notre planète, mais chaque domaine de l’existence est concerné par cette difficulté à sortir des sentiers battus.
Au niveau de notre foi par exemple, l’évolution de notre théologie peut poser problème. Moi qui ai toujours cru de cette manière, comment puis-je accepter une évolution possible ? Comment accepter le doute qui pourtant en fait partie intégrante ? Il est plus facile de bien tout ficeler pour se rassurer.

Nos différences aussi sont source de changements et de croissance. Pourtant, comment ne pas fustiger cet autre chrétien qui vit sa foi différemment, peut-être de façon plus charismatique ou au contraire de façon moins spontanée et plus intériorisée ? C’est tellement plus facile de rejeter ce qu’il vit pour se soustraire à toute remise en question ou simplement accepter que je ne possède pas LA VÉRITÉ en la matière.
Il est difficile de prendre le risque du changement, de la rupture, d’accepter la différence, lorsque celle-ci s’oppose à ce que nous sommes apparemment, ce que nous pensons ou ce que nous faisons. Il est plus sécurisant de garder ce que l’on a, même si cela ne nous convient pas complètement plutôt que de prendre le risque d’obtenir autre chose. La peur de perdre est plus grande que l’espoir d’obtenir. C’est d’ailleurs ce qui oppose Jésus aux pharisiens.
Par son action, ou plutôt devrions-nous dire par ses actions, le Christ affirme sa différence, son statut de Messie. Ainsi, il ne peut que placer ceux qui l’observent face à un choix : adhérer à son message et donc le suivre, ou au contraire, refuser et s’opposer à son discours, que ce soit pour des raisons légitimes ou non. Dans cette histoire, nous sommes en présence de plusieurs protagonistes qui n’ont pas le même regard sur une action qui se promet pourtant d’être marquante principalement pour l’homme à la main paralysée.

Ce qu’il y a de surprenant, c’est que l’opposition des Pharisiens ne se fait pas là ou on aurait pu l’attendre. Ils laissent de côté le miracle pour se concentrer uniquement sur la loi qui pour eux n’est pas respectée. Les Pharisiens n’attaquent pas Jésus directement sur son identité ou sa volonté de guérir le paralysé. Le problème du non-respect du repos exigé le jour du sabbat est l’occasion pour eux de faire taire celui qui dérange, celui qui remet en question l’autorité, le pouvoir, la manière de pratiquer sa foi, jusqu’à l’ordre social; lui qui parle aussi bien dans le temple, qu’à une prostituée, un infirme ou un collecteur d’impôt.
Jésus et les Pharisiens ont une interprétation différente de la loi, de ce que l’on peut faire en ce jour de sabbat. Par sa réponse, Jésus met en évidence deux mécanismes fort différents, d’une part le sien et d’autre part celui de ceux qui l’accusent. Par sa compréhension de la loi et de sa fonction, Jésus ne peut qu’aller à la rencontre de cet homme infirme. Ainsi, le Messie poursuit sa vocation au service de son Père. Les Pharisiens, eux, s’arrêtent sur un détail, comme si finalement leur foi ne leur donnait plus cet élan de compassion, l’amour de leur prochain auquel ils sont conviés. D’ailleurs, les circonstances de ce récit de miracle le montrent bien. Les Pharisiens mettent totalement de côté les fondements de la loi et la foi qui devrait l’accompagner, pour en fin de compte l’utiliser uniquement à leur fin, mais non pour servir le Seigneur.

Ne sommes-nous pas tous comme ces Pharisiens, utilisant la loi, la tradition, l’habitude pour éviter d’entrer dans une nouvelle démarche, pour éviter d’être remis trop profondément en question ou simplement de mettre à l’écart d’un revers de main celui qui nous dérange car il est différent, car son action ou sa pensée va apparemment trop loin ?
Pourtant, ce passage de l’évangile nous pousse à l’audace, à oser dépasser des limites qui nous empêchent d’endosser notre responsabilité d’homme et de femme les uns envers les autres et, en premier lieu, face à Dieu. Nous sommes également invités à repousser les fausses excuses, les alibis bidon que nous utilisons pour nous tromper nous-mêmes et nous soustraire à nos convictions.
L’apôtre Paul nous rappelle, dans l’épître aux Philippiens, que nous sommes appelés à rayonner autour de nous comme une étoile dans le ciel. Notre mission de croyants c’est de permettre à d’autres de s’orienter et de discerner en nous la lumière que Dieu nous offre. Jésus a été la lumière du monde pour l’homme à la main paralysée comme pour les pharisiens. C’est à notre tour de faire de même et à l’image du Christ, refléter sa lumière partout où nous sommes.

Nous pouvons illustrer ceci par une image : prenons une bougie. Si celle-ci est enfermée dans un lieu trop confiné elle ne va jamais pouvoir briller comme elle le pourrait à l’air libre. Après un moment, elle ne posséderait plus assez d’oxygène. De même, nous ne pouvons pas rendre véritablement témoignage si nous nous enfermons dans des habitudes, des règles qui nous empêchent d’entrer en relation avec les autres. Nous pouvons même élargir ceci à notre vie personnelle. Comment espérer voir notre foi s’épanouir et se développer si nous sommes incapables de laisser Dieu agir en nous, sans le confiner là où ça nous arrange ?
Heureusement, Dieu nous connaît mieux que personne. Et comme le dit l’apôtre Paul : « Dieu vous rend capables de vouloir et de réaliser ce qui est conforme à son propre plan. » C’est remplis de cette espérance que nous pouvons nous en remettre à Dieu pour que nous puissions en vérité vivre pleinement notre foi les uns avec les autres.
De l’audace au nom de Dieu, voilà ce qu’il nous faut. Être capables de faire de la place à chacun, même si cela nous oblige à changer nos habitudes. Être capables de suivre une idée insensée, mais qui promet la Vie. Être capables de prendre la place du faible, même si cela nous rend vulnérables. Être capables de se mobiliser pour la justice, même si cela nous met en porte-à-faux avec la majorité bien pensante.
De nos jours, les sujets et les occasions ne manquent pas. Quel engagement avons-nous pour nos jeunes, pour aller à leur rencontre alors qu’on attend tellement qu’ils viennent d’eux-mêmes nous rencontrer ? Quelle place donnons-nous à l’étranger, alors qu’il est si facile d’être indifférents, de se blinder et de trouver de bonnes raisons de le rejeter ? Quelle part de nos richesses laissons-nous à celui qui n’a rien, alors que les riches n’ont jamais été aussi riches ?
Il y a tant de moyens de briller comme des étoiles dans le ciel, alors au nom du Christ, ayons de l’audace !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jacqueline Schorpp (piano)
Musique
Ensemble de cuivres, direction Serge Vuillermet