Sans trop m’avancer, je pense pouvoir affirmer que nous connaissons tous une personne d’une ambition exagérée qui est prête à tout pour réaliser ses objectifs. Dans tous les cas au moins, nous avons entendu parler d’une telle personne, que ce soit par bouche à oreille ou par les médias. De tels personnages font presque partie de notre vie courante. Nous pouvons en côtoyer partout. Même dans nos séries télévisées préférées, il y a souvent – j’ai même envie de dire toujours – un ambitieux dont les méthodes pour arriver à ses fins sont sujettes à caution. C’est d’ailleurs ces personnages qui alimentent allégrement les intrigues dont on nous abreuve.
Mais comme je le disais, il n’y a pas besoin de recourir à la fiction ou à des personnes très en vue pour trouver ces ambitieux qui agacent par leur comportement et leur manière de faire. À différentes échelles, nous en côtoyons régulièrement dans nos différents lieux de vie, que ce soit dans notre cadre familial, professionnel, dans nos loisirs ou encore dans les milieux associatifs que nous fréquentons. Ces personnes qui se mettent en avant, qui trouvent toujours quelque chose pour sortir du lot, ne nous laissent que rarement indifférents. Ça agace, énerve et on aimerait probablement bien pouvoir les remettre dans le rang et ceci d’autant plus si elles ne paraissent pas avoir de qualité ni de mérite particuliers.
Le groupe des disciples ne semble pas faire exception à cette réalité que nous connaissons bien. Jacques et Jean, les fils de Zébédée demandent à Jésus une faveur particulière. Ils veulent être tous les deux à la droite et à la gauche de Jésus.
Nous ne connaissons pas les motivations des deux frères. Pensent-ils aux autres lorsqu’ils font cette demande à Jésus en espérant ainsi être les premiers, les plus aimés ? Est-ce simplement pour eux un signe d’attachement au Christ et leur désir de toujours rester près de lui ?
Le texte de l’évangile de Marc ne nous dit absolument rien à ce sujet. Par contre, nous connaissons la réaction des autres disciples. Ils n’ont de loin pas l’air enchanté par la demande de leurs deux compagnons. Il faut dire que Jésus n’a pas plusieurs droites et plusieurs gauches. Il n’y a que deux places disponibles. Jacques et Jean ont donc demandé une chose que les autres ne pourront pas obtenir si Jésus accède à leur requête.
Les autres disciples entendant cette demande, ne mettent pas long à réagir. Quoi d’étonnant dans leur réaction ? À leur place, nous aurions peut-être aussi protesté face à une telle situation. Cela nous aurait peut-être choqués que Jacques et Jean osent faire une telle demande. Finalement pour qui se prennent-ils ces deux-là ?
Peut-être aurions-nous senti de la frustration, car nous aurions bien voulu aussi obtenir ce qu’ils ont demandé, mais sans jamais oser le formuler. Peut-être aurions-nous été bouche bée d’incompréhension face au peu d’égards qu’ont Jacques et Jean pour le reste du groupe. Pourquoi eux et pas nous ?
Bref, je vous laisse imaginer quelles auraient pu être vos réactions. Le malaise réside dans l’effet que crée cette demande sur le reste du groupe. Leurs protestations qui parviennent aux oreilles de Jésus semblent suffisamment importantes pour que celui-ci intervienne et ne laisse pas les choses s’envenimer ou se tasser avec le temps et suivre leur cours.
Si on fait attention à l’ensemble de cette scène racontée dans l’Évangile, on se rend compte que celle-ci est composée de deux moments distincts. Il y a tout d’abord la demande des deux fils de Zébédée et la réponse de Jésus. Puis dans un deuxième temps, suite à la réaction du groupe des disciples, Jésus intervient et s’adresse cette fois-ci à l’ensemble de ses compagnons de route.
Reprenons donc ses deux phases successives :
Dans un premier temps, Jésus répond directement à Jean et Jacques. Tout d’abord, il cherche à faire valoir la différence qui réside entre les deux disciples et lui-même. Il est le Fils de Dieu. Sa destinée est unique. Ensuite il conclut le dialogue en leur disant que ce n’est pas lui qui décide de qui siègera à sa droite et à sa gauche. Il ne le sait pas.
Nous pouvons remarquer qu’il n’y a aucun reproche dans le discours qui nous est rapporté. Jésus ne les remet pas à l’ordre leur disant qu’ils ne se prennent pas pour « la queue de la poire » ou que par leur demande ils n’ont que peu d’égards pour leurs compagnons.
La réaction des disciples suite à la demande de Jean et Jacques ouvre cette deuxième partie dans laquelle Jésus s’explique sur le rôle de disciples du Christ. Loin de les réconforter dans leur réaction, par son intervention, Jésus retourne quelque peu le problème. En fin de compte, il est inutile de s’offusquer de l’attitude des deux fils de Zébédée. Ils ne viendront pas grands aux yeux de Dieu en demandant cette faveur. Pour devenir grand, il faut devenir serviteur. Le groupe des disciples ne cherche donc pas dans la bonne direction. Ce n’est pas en voulant s’élever par eux-mêmes qu’ils vont grandir spirituellement, mais plutôt en se mettant au service.
Par son intervention, Jésus interpelle ses disciples sur une réaction bien connue en leur montrant que celle-ci n’a au fond pas de raison d’être. Cette réaction nous la connaissons bien. Elle nous est souvent familière. Elle est animée par l’envie, la jalousie, le sentiment d’injustice. Nous nous demandons pourquoi lui et pas moi. Il n’a rien fait de plus, il n’est pas si intelligent que ça. Ou encore, a-t-il fait des choses que nous, nous ne ferions jamais pour parvenir à nos fins.
Dans l’expression de ces sentiments, nous trouvons certainement notre besoin d’être au-dessus plutôt que d'être au-dessous. N’est-il pas plus plaisant, plus valorisant d’être celui qui commande, celui qui a des faveurs, celui qui a une bonne situation plutôt que d’être celui qui doit obéir, celui qui sert, celui qui a une situation modeste ou précaire. Cette réalité nous la vivons ou l’avons tous vécue un jour ou l’autre.
On parle souvent de celui-ci ou de celui-là qui a bien réussi dans la vie. Les critères sont toujours la position sociale, le contenu du compte en banque, la grandeur de la voiture ou de la piscine devant la maison, le standing de vie, la position de pouvoir, mais est-ce ça bien réussir dans la vie ?
Est-ce que d’après vous, Jésus a réussi dans la vie ? En essayant de trouver les critères d’une vie réussie telle que l’Évangile pourrait nous la présenter, je me suis posé cette question. Est-ce que Jésus a réussi dans la vie ? Selon les critères que j’évoquais précédemment, Jésus a tout dû rater. Il était tout sauf riche. Il a eu une notoriété bien fragile qui n’a pas tenu très longtemps de son vivant. Il n’a pas été respecté par les autorités religieuses, lui qui se disait pourtant le Fils de Dieu. Incompris par beaucoup, il a été crucifié comme un brigand.
Et pourtant je réponds à ma question par l’affirmative. Jésus a réussi dans la vie, car il a aimé son Père de tout son cœur. Et il a aimé les autres comme lui-même. Ne nous méprenons cependant pas sur le discours de Jésus. Il n’est pas en train de dire qu’il est inutile d’avoir de l’ambition. Dans notre péricope, Jésus ne s’attaque pas à celui qui réussit dans la vie, mais il nous montre que la réussite du disciple, de celui qui marche à la suite du Christ est bien différente.
Entre en jeu la notion du service. Celle-ci est à expliciter. On pourrait facilement voir le croyant comme celui qui doit se soumettre à tout et tous. Le bon chrétien étant celui qui subit tout sans rien dire et que chacun peut utiliser, exploiter selon son bon vouloir. En quelque sorte, le croyant serait ainsi dépossédé de sa vie au profit des autres.
Il est intéressant de noter que le seul exemple que Jésus donne pour illustrer son propos et montrer ainsi l’exigence chrétienne du service, c’est lui-même. Jésus : modèle du serviteur, modèle absolu. Alors se pose la question de savoir de qui Jésus est le serviteur. En reprenant les paroles rapportées dans cette péricope, nous arrivons facilement à la conclusion que l’œuvre du Christ rend service à l’humanité. Mais posons-nous la question de savoir à qui obéit Jésus-Christ. Il n’obéit certainement pas à l’humanité, ni pour être plus précis aux gens qu’il a côtoyés. Si c’était le cas, il serait devenu un roi mettant dehors l’occupant romain. Pour d’autres il se serait tu à jamais ou encore il serait devenu le magicien de service, le génie à qui demander ses désirs les plus fous. Non. Jésus n’obéit qu’à son Père, son Père céleste.
À l’image du modèle qu’il nous propose, Jésus nous invite à être serviteurs de Dieu. Certes, ce service se traduit pratiquement dans notre attitude et nos actes auprès de nos semblables, mais en aucun cas Jésus nous invite à être l’esclave de notre prochain, n’osant pas nous opposer ou dire non.
Face à ses disciples, Jésus désamorce un conflit en leur proposant de regarder les choses différemment. Cette proposition est valable pour nous aussi. Comme les disciples l’ont vécu dans cette histoire, nous allons assurément nous retrouver une fois ou l’autre dans une telle situation. Peut-être y sommes-nous déjà confrontés. Jésus nous rappelle qu’il y a plus important que la place que l’on tient aux yeux des autres. Bien sûr nous avons des réactions épidermiques. Il est difficile parfois de ne pas réagir.
Pourtant et c’est ce que nous rappelle cette histoire, cet autre qui m’insupporte par son ambition, par sa situation, par sa façon de constamment se mettre en avant, n’est aux yeux de Dieu pas plus important que moi-même. Ce qui importe en fin de compte, c’est la manière dont je conduis ma vie. Comme Jésus l’a fait, nous sommes appelés à être serviteurs, serviteurs de Dieu auprès de nos semblables.
Amen !