Augmentation de foi !

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La foi est-elle un thermomètre qui nous permettrait de prendre la température de notre spiritualité chrétienne ?
En écoutant la demande des apôtres, augmente-nous la foi ! , nous serions tentés de le croire. À cette différence près, c’est qu’en matière de spiritualité, il vaudrait mieux avoir la fièvre : la fièvre de Dieu. Fièvre et ferveur ne sont-ils pas des mots très proches ? Nous connaissons tous la parole biblique nous préférant froid ou chaud : mais le Seigneur n’aime pas les tièdes. Donc, le thermomètre de notre foi devrait indiquer un bon 40 degrés si ce n’est plus. Si la température de votre foi augmente, si vous êtes malades de Dieu, vous êtes alors sur le bon chemin !
La nature humaine étant ce qu’elle est, les apôtres demandent une augmentation de foi. Il faut dire que cette même nature humaine a du mal à penser autrement qu’en termes de diminution ou d’augmentation, de perte ou de gain. Ne parle-t-on pas de la possibilité de « perdre » la foi comme on perd ses clés et qu’on espère peut-être récupérer aux objets trouvés ? La nature humaine étant aussi avide de ce qui sort de l’ordinaire, n’attendons-nous pas de la foi qu’elle fasse des miracles ? Et si par malheur l’extraordinaire ne se produit pas, ne dit-on pas que nous n’avons pas eu assez de foi ? La foi n’est-elle pas faite, en reprenant l’image donnée en parallèle à notre récit par Matthieu, pour déplacer des montagnes ? Et s’il s’agit, comme dans notre récit, pardonnez-moi ce littéralisme en forme de boutade, de déraciner par la foi des arbres, alors l’humanité est en bonne voie puisqu’elle fait mieux : des forêts entières disparaissent !

Tout ceci pour dire que les apôtres, avec leur demande d’augmentation, ne nous ont pas vraiment rendu service. Ils nous ont ainsi donné l’occasion de ne faire de la foi qu’une sorte d’unité de mesure, une histoire de « pas assez », « trop peu » ou « beaucoup ». À tel point que des personnes croyantes, traversant de graves difficultés, croient avoir trouvé la source de leur malheur : elles n’ont pas eu assez de foi…
Augmente-nous la foi ! À y regarder de plus près, cette demande des apôtres est tout de même surprenante. On a envie de dire : que leur faut-il de plus ? En effet, les chapitres précédents de Luc nous révèlent que les apôtres, envoyés par Jésus, ont eu assez de foi pour prêcher, annoncer le royaume de Dieu, guérir, chasser les démons, avec un succès certain. Cela ne leur suffit-il pas ? Pourquoi demandent-ils une augmentation de foi ?
En m’écoutant, vous devinez peut-être que je tente de faire de la foi autre chose qu’une question de « quantité ». Et peut-être pensez-vous que je vais vous servir un classique du genre dans le registre des bons sentiments humains : « ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité ».
Eh bien non : je crois que la réponse de Jésus à la demande d’augmentation de foi des apôtres se situe ailleurs que sur le simple plan de la quantité ou de la qualité. Certes, les esprits éclairés diront que lorsque Jésus répond que la foi peut être de la taille d’une graine de moutarde, nous restons dans le registre de la quantité. Pour nous dire, on nous l’a assez répété, qu’il suffit de pas grand chose pour faire de grandes choses.
Mais voyons : ne discernez-vous pas dans la parole de Jésus une pointe d’humour si ce n’est une forme de scepticisme face à la demande des apôtres ? À leur demande grosse comme une montagne, Jésus répond par un simple si : si vous aviez ; autrement dit, vous ne l’avez pas. C’est étonnant comme réponse car Jésus sait très bien qu’ils ont eu assez de foi en son nom pour prêcher et guérir. Alors, pourquoi cette réponse ? Et bien en réalité, Jésus, en répondant par une énormité – qui est déjà celle de déraciner un sycomore – révèle que la question des apôtres n’est pas une bonne question. On ne trouve pas non plus, dans sa réponse, un déplacement du débat de la quantité à la qualité. Il n’y a pas de foi meilleure ou moins bonne ; on n’appose pas sur la foi un cachet « made in ici ou ailleurs ».

Un jour, un maréchal de Napoléon lui demanda une audience. Ce maréchal venait lui faire le récit d’une bataille remportée haut la main quelques semaines auparavant. Napoléon sortit et écouta attentivement ce maréchal lui narrer tous les détails de cette victoire militaire. Cependant, Napoléon ne prononça pas un seul mot, ce qui eut le don de décevoir le maréchal. Ce dernier attendait des félicitations, des encouragements et non pas ce mutisme. Alors, ce maréchal rajouta encore plus de détails piquants à son récit. Mais Napoléon restait désespérément silencieux. Lorsque ce maréchal eut fini de parler, Napoléon ouvrit enfin la bouche et lui demanda : « Qu’avez-vous fait hier d’intéressant ? ». Le maréchal resta médusé par cette question. Mais il retint la leçon : il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers.
Il y a peut-être un peu de cela dans la réponse de Jésus à la demande d’augmentation de foi des apôtres : on ne sait jamais, la foi pourrait leur monter à la tête comme il arrive à d’autres que la moutarde leur monte au nez. Mais Jésus va plus loin. Je crois qu’au-delà d’un simple débat autour de questions de quantité ou de qualité de foi, Jésus veut montrer que le problème fondamental n’est pas d’avoir peu ou beaucoup de foi. Le problème, c’est essentiellement de mettre sa foi en action, de passer de la foi aux actes.
Là encore, sans doute vous direz-vous que je vous sers un classique du genre : la foi n’est rien sans les œuvres. Ou l’inverse, comme ça tout le monde sera content. C’est un classique certes, mais on oublie souvent que l’action est un concept complexe et pose de nombreuses questions. Le philosophe E. Kant posait bien le problème en demandant : « Qu’est-ce qui fait qu’une action est bonne ? ». Question apparemment inutile parce que tout le monde croit savoir ce que c’est que bien agir. Et la réponse de Kant se résume dans le célèbre « impératif moral catégorique » que je vous livre en français courant au travers d’un exemple : ne pas mentir est une loi universelle qui doit impérativement être appliquée en toutes circonstances.
Toutefois, et c’est la critique qui peut être faite à Kant, le devoir de bien agir nous place parfois devant des situations compliquées où il devient difficile de savoir, justement, comment bien agir. Prenons l'exemple suivant: un ami cher ou un membre de votre famille est atteint d'un grave cancer. Doit-on absolument lui dire la vérité ? On serait tenté de répondre "oui", dire la vérité, c’est toujours bien agir ; mais il arrive parfois que certaines personnes soient trop faibles pour supporter une telle vérité, et en meurent trop rapidement. Par respect ou plutôt par souci de l'autre, il faut parfois savoir mentir. Mais, problème : ce n’est pas bien de mentir. On se retrouve face à un dilemme éthique : pour bien agir, il faut parfois aller contre certains principes moraux pourtant universellement admis.

L’action pose donc un problème éthique. Et petite parenthèse, ceux qui ne supportent pas qu’on dise « éthique » au lieu de « morale » ou qui confondent « éthique » et « morale » montrent une ignorance certaine. Dans l’histoire de la pensée occidentale qui puise entre autres sa source dans la Grèce antique, la morale, on devrait dire morales au pluriel, c’est un ensemble de règles préconstituées dans telle société ou à telle époque. L’éthique, c’est la réflexion sur la morale. La morale dit par exemple : « il ne faut pas tuer ». L'éthique demande : "Pourquoi ne faut-il pas tuer ? », « Sur quoi ou sur qui est fondé ce précepte en l'homme ? ». Et, plus généralement, elle pourra se demander : comment définir une action bonne, qu'est-ce qui fait qu'une action est morale. Ainsi que, pourquoi pas : d'où vient la morale ? La morale ne se prononce pas directement sur ces questions. On peut dire que, alors que l'éthique est réflexive, la morale ne l'est pas en tant que telle.
Au-delà donc d’une simple question de quantité ou de qualité, Jésus semble tout simplement demander à ses amis de « passer à l’acte ». Mais voici, en plus de savoir comment bien passer à l’acte, nous nous retrouvons face à un autre problème.
En effet, je crois que nous oscillons entre deux extrêmes : l’immobilisme et l’activisme. L’immobilisme. Un essayiste parlait de « paralysie analytique » pour désigner cet état intérieur où nous passons notre temps à peser le pourquoi du comment, à nous demander s’il faut y aller ou ne pas y aller. Immobilisme de l’hésitation. Et pour justifier cet immobilisme, nous sommes très doués : « A quoi bon ? Cela ne sert à rien ; de toute façon, ça ne changera pas grand-chose » sont des paroles qui germent souvent sur nos lèvres et qui nous permettent de rester au point où nous en sommes.
Il faut dire que la société dans laquelle nous vivons n’arrange pas les choses. Nous nous croyons pressés et stressés alors qu’en réalité tout est fait pour nous endormir. En effet, dans une société où tout est fait pour assurer productivité et efficacité grâce à un monde de machines, on aboutit à cette conséquence étonnante : celle de rendre l’homme paresseux et presque inutile. Un homme secouru dans ses moindres gestes. Nous avons un fort penchant à laisser aux machines le soin de mémoriser pour nous, d’enregistrer pour nous, de parler pour nous. Cela va du carnet d’adresses avec numéros de téléphone et adresses électroniques à la gestion de bibliographies, textes, rendez-vous d’affaires, comptes et planning. Notre voix, enregistrée une fois pour toutes – ou, mieux, une voix synthétique – répond pour nous. Nous ouvrons les portes à distance et zappons de loin avec indifférence. Il n’en faut pas beaucoup plus pour que nous tombions dans une sorte de nonchalance sommeillante. Dans cet univers, l’être humain semble être de trop. Il semble un ajout posé là par hasard et qui pourrait tout aussi bien ne pas exister. Ce que les machines font parfaitement, en effet, il le fait, lui, l’homme, gauchement, avec hésitations et erreurs, comme s’il imitait imparfaitement un modèle.
À l’opposé de l’immobilisme et de la nonchalance, nous trouvons l’activisme : il y a tout de même des gens actifs en ce monde ! Et bien nous serions tentés de croire que l’activisme, l’action à outrance, vaut mieux que l’immobilisme. Pourquoi pas ? Cependant, il arrive que l’activisme ou l’action ne serve à compenser qu’une certaine peur ou anxiété : la peur de la panne. Auparavant, je parlais de cet univers de machines et de technologie dans lequel nous vivons et au sein duquel il ne doit pas y avoir de vide, de trou, de faille. Peur de la panne. À qui feindrait de s’en étonner, rappelons la panique de l’utilisateur quand l’ordinateur ne marche plus, du téléspectateur quand sa télévision s’arrête, ou de l’usager quand son téléphone, fixe ou portable, tombe en panne. Le manque devient criant – et même angoissant. La panne est une souffrance. La crainte de la panne, un cauchemar.
Alors, on se plonge dans l’activisme. Je lisais dernièrement un article sur la société japonaise où tout un chacun, dès son enfance, doit prendre l’habitude de toujours répondre : « Vous savez, je suis très occupé ». Même quand il n’a rien à faire. Être très occupé, ou le croire, n’est-ce pas conjurer cette peur du vide, de l’arrêt, de la panne, de la mort ?

Vous devinez bien que lorsque Jésus tente de faire comprendre à ses amis que la foi, ce n’est pas d’abord une question de quantité ou de qualité mais avant tout de mise en action, il nous invite ni à l’immobilisme qui nous évite de mouiller notre chemise, ni non plus à cette forme d’activisme ou de « suroccupation » qui masque bien souvent nos peurs diffuses.
« Just do it ! » Pardonnez-moi cette expression anglaise à la RSR mais expression qui est devenu un slogan et qu’on pourrait rendre en français : « Vas-y ! Fais-le ! ». Mot d’ordre qui revient souvent dans la Bible : Sois fort et agis ! C’est ici la réponse que Jésus donne à ses disciples qui désirent une augmentation de foi : n’attends pas que ta foi grandisse ou sois de plus pur alliage que celle de ton prochain. Sois fort et agis. Au point où tu en es, triste ou heureux, dans la situation où tu trouves, facile ou difficile, sois fort et agis !
Notre évangile donne un exemple particulier d’action remplie de force : celui du pardon. Juste avant la demande d’augmentation de foi des disciples, Jésus parle d’augmentation, mais dans le domaine du pardon : toujours pardonner à mon prochain dès qu’il y a repentir. Et ce n’est pas pour rien que Jésus va prendre l’image du sycomore qui n’est pas sans rappeler le sycomore duquel Jésus fait descendre Zachée le mal-aimé pour nous apprendre que le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui est perdu. On peut ainsi dire, de manière générale, que la foi en Christ induit un type spécifique d’action éloignée à la fois de l’immobilisme et de l’activisme mondain : en tant que croyant, la foi nous appelle à chercher et sauver ce qui semble perdu. À l’image de Jésus qui vient nous chercher et nous sauver lorsque nous sommes perdus.

Sois fort et agis : cela me fait penser à l’histoire de ce groupe d’ouvriers français astreints au travail obligatoire dans une usine d’armement durant la Seconde Guerre mondiale. Ils décidèrent de saboter discrètement le détonateur de chaque bombe qui était censée, bien sûr, exploser à chaque impact au sol et tuer. Sans doute sur le sol anglais, à Londres. Grâce à un tout petit changement introduit dans le détonateur, les bombes qui arrivaient au sol n’explosaient jamais. Au bout d’un certain moment et témoin étonné de plusieurs largages infructueux sur son sol de bombes ennemies, le gouvernement britannique de Sa Majesté décida d’examiner ces bombes étonnamment inoffensives. En cherchant, ils découvrirent, dans chaque bombe arrivée au sol, un petit bout de papier sur lequel étaient inscrits ces quelques mots rédigés hâtivement et placés par ces ouvriers dans chaque bombe : « Nous faisons du mieux que nous pouvons, avec nos moyens, là où nous sommes et à chaque fois que cela est possible ». Les Britanniques portèrent ces bouts de papier au Général de Gaulle qui esquissa un large sourire. Un jour, on apprit que le stratagème de ces ouvriers avait été découvert et ils furent exécutés. Les Britanniques informèrent le Général du sort de ces petits ouvriers anonymes au sein de la grande tourmente. De Gaulle, paraît-il, ordonna à ses officiers de se lever et de se mettre au garde-à-vous en signe de respect.
Agir du mieux que nous le pouvons ; avec les moyens qui sont les nôtres, là où nous nous trouvons et à chaque fois que l’occasion favorable se présente, c’est-à-dire, bien plus souvent que nous le croyons, je crois que c’est un peu cela, la foi. Avec l’espérance et la certitude, même au prix de grandes épreuves, de la victoire ultime en Christ.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Joël Bertrand
Musique
Choeur de paroisse, direction Anne-Françoise Pape; Francine Chapatte, flûte