Écouter le culte :
Il faut reprendre le récit que nous avons lu. Jésus sort d’Israël et se rend en territoire étranger, en Phénicie, le Liban actuel ; les distances ne sont pas bien grandes, quelques dizaines de kilomètres. Il chemine avec ses disciples, lorsque surgit une femme, habitante de la région, une étrangère. Elle est dans tous ses états, comme une mère peut l’être lorsque son enfant va mal et qu’elle n’arrive pas à le soigner.
Elle a entendu parler de Jésus, car sa réputation l’a précédé : on sait qu’il s’occupe des pauvres, des malades, des sans-grade, on sait qu’il prend le temps d’écouter les gens, qu’il les regarde avec amitié, on sait qu’il prend en compte leurs souffrances, qu’il est pour la justice, on sait qu’il guérit. « Alors pourquoi ne ferait-il pas quelque chose pour ma fille ? Je crois, je suis sûre qu’il en a les moyens. » Elle apostrophe Jésus, elle lui crie : « Fais quelque chose pour ma fille. » Quoi de plus bouleversant qu’une femme voulant sauver ses petits ?
Or Il se tait. Lui, si attentif à la misère et au désarroi des gens, il se tait. Elle continue à crier. Ses disciples en ont assez : elle leur casse les oreilles. Fais-la taire ! Jésus n’obtempère pas, mais à eux, il parle et il leur explique pourquoi il ne répond pas à la femme : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues du peuple d’Israël », c’est-à-dire « ma mission, mon job, c’est de m’occuper de tous ceux qui dans mon peuple, le peuple d’Israël, le peuple de Dieu, ne vont pas bien, que leurs maux soient physiques ou spirituels. Or cette brave femme n’en fait pas partie, elle est étrangère, elle n’adore pas le Dieu qui m’a envoyé. »
Et pourtant la femme continue de supplier : « Aie pitié de moi ! aide-moi ! fais quelque chose pour ma fille ! » Jésus se tourne vers elle et lui explique, de manière imagée, ce qu’il vient de dire à son équipe : « Il n’est pas bien de prendre la nourriture des enfants pour la jeter aux petits chiens », autrement dit, il n’est pas bien de donner à d’autres – les étrangers païens – ce qui est prévu pour remettre en bonne santé les enfants de mon peuple.
Mais la femme est insubmersible. Elle n’accepte pas cette réponse. Non, elle continue à croire que ce Jésus détient la solution de son problème : la survie de sa fille. Elle a de la mordache, elle se met à genoux et réplique : « D’accord, tu es venu pour soigner ton peuple, je l’admets, mais toi, de ton côté, admets qu’on n’empêche pas les petits chiens de manger les miettes qui tombent de la table. Laisse-moi bénéficier de ces miettes ; il en restera quand même assez sur la table pour nourrir tous ceux pour lesquels tu es venu. Donne-moi les miettes de ton amour. »
Jésus est remué par ce dialogue pathétique. Il admire la force de cette mère, étrangère, païenne, qui ne connaît rien de son Père, du Dieu qu’il a mission de représenter parmi les humains : « Oh ! Que ta foi est grande ! Il te sera fait selon ce que tu désires ». Et sa fille fut guérie à ce moment même.
Que d’enseignements à tirer de cette grande histoire ! D’abord, bien entendu, que la mission de Jésus est certes destinée au peuple juif, mais pas exclusivement à lui : lorsque Jésus mourra sur une croix, sa mort aura une portée universelle et lorsqu’il sortira du tombeau au matin de Pâques, sa vie ressuscitée est destinée à chacune et chacun d’entre nous.
Ensuite, il y a beaucoup à tirer pour nous de la ténacité de cette femme : au départ, elle était pleine de foi dans ce qu’on lui avait dit de Jésus, mais voilà qu’il apparaît tout différent, comme s’il voulait tromper la confiance qu’elle a en lui. « Est-ce là cet homme si bon, si amical ? Sont-ce là les bonnes paroles que j’ai entendu dire de lui et auxquelles j’ai cru ?
Il se conduit comme s’il était mon ennemi, comme s’il ne voulait pas de moi ; il pourrait au moins dire un mot, me dire : « Je ne veux rien faire pour toi.» Mais il se tait, comme un caillou. » Alors que fait notre femme ? Elle ne s’occupe pas des façons désagréables et dures de Jésus ; elle ne se laisse pas tromper, elle ne se fâche pas ; elle continue à croire dur et ferme au bien qu’elle a entendu dire de lui ; elle ne renonce pas.
C’est ainsi que nous devons faire quand nous sommes dans la détresse ou dans le doute. Nous devons apprendre à nous tenir fermement aux promesses d’amour et de soutien contenues dans la Parole de Dieu, même si Dieu semble se comporter vis-à-vis de nous tout autrement.
Cette femme ne renonce pas ; envers et contre tout, elle s’en tient à la Parole, même si cette Parole représentée par Jésus semble vouloir lui déchirer le cœur ; elle ne se décourage pas d’une réponse si dure ; elle continue à croire que la bonté du Christ est cachée sous ce silence et elle ne veut pas accepter que le Christ ne puisse pas s’intéresser à elle, lui venir en aide, lui faire grâce, comme dit la Bible.
Elle reconnaît qu’elle n’est pas grande chose, « un petit chien », mais elle ne désire rien de plus qu’un petit chien. Voilà ce qui s’appelle demeurer ferme. C’est pourquoi Jésus la relève et lui accorde ce qu’elle demande. Même si le Christ s’est d’abord montré dur, elle a toujours su qu’il ne pouvait lui dire non.
Quand nous sommes plongés dans la détresse et qu’il nous semble que Dieu ne nous entend pas ou plus, ne laissons pas notre cœur croire que Dieu nous dit non ; ne le laissons pas se représenter le Christ comme sans pitié. Ce n’est pas vrai. Il faut aller au-delà, nous détourner de ce sentiment de rejet et saisir le oui secret et profond que Dieu nous murmure au-delà du silence.
Il faut imiter cette petite femme, prendre Dieu à ses propres paroles et dire comme Luther : « Oui Seigneur, c’est vrai, je ne mérite pas que tu me tendes la main, que tu me tires de la détresse, mais tu as pourtant promis ton secours aux désespérés ; ce n’est pas pour les bien portants que tu as envoyé le Christ parmi nous, mais pour les éclopés de la vie et moi j’en fais partie de ces éclopés ; je sais et je crois que tu ne peux me lâcher, car, tu l’as dit, j’ai du prix à tes yeux, je compte pour toi. »
En se taisant Jésus n’a pas voulu briser la confiance de cette femme, mais plutôt la renforcer. Calvin a cette jolie image : le Christ n’a pas voulu éteindre sa foi, mais au contraire l’enflammer davantage. En songeant à cette femme, ne perdons jamais courage. Si quelquefois Dieu semble se dérober et tarde à nous répondre, sachons que tout ce que le Christ a dit, tout ce qu’il a fait, montre que Dieu a pris parti pour nous, qu’il ne nous lâchera jamais.
Voyez-vous, quand tout semble bouché dans nos vies, Dieu lui-même nous aide dans la détresse à avoir cette ténacité et ce courage et même quand notre cœur croit entendre non, Dieu nous dit toujours oui. N’en doutons jamais. La réponse vient toujours, pas forcément comme nous voudrions et quand nous voudrions, mais toujours pour notre bien, pour nous remettre debout. Dieu fait grâce, disaient les réformateurs, il a toujours quelque chose sur sa table pour nous. Amen !