Le beau gosse, le pauvre gosse et l’enfant sage

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Depuis l’École du dimanche, pour ceux qui parmi nous l’ont fréquentée, nous connaissons cette parabole de l’évangile de Luc au chapitre 15, celle qu’on appelait parfois la Parabole du Fils Prodigue ou du Fils Perdu ou la Parabole des 2 fils. Il nous faut passer un moment à méditer ce texte afin de tenter d’en comprendre la grande richesse.
Or donc, il y a 2 fils, et je pense qu’il pourrait y avoir 2 filles – c’est absolument la même situation, simplement la configuration de la Palestine du début de notre ère met plus facilement en scène 2 fils que 2 filles ! Le plus jeune veut sa part d’héritage. Le père ne fait pas d’histoire, il la lui donne. Le plus jeune est épris de liberté, c’est un beau gosse, il vend sa part, réalise son bien et s’en va. Et apparemment, il s’en va très loin. Or là il arrive ce qu’on pouvait prévoir : il dépense son argent, il le claque avec des petites femmes et de belles bagnoles et le beau gosse connaît le sort de tous les beaux gosses qui ne sont pas très avisés : il se ruine en moins de temps qu’il ne faut pour le dire…
C’est une expérience universelle qui nous est décrite là et c’est malheureusement celle du fils le plus jeune. La suite est évidemment dramatique : il n’a plus le sou, il a tout paumé, il lui reste encore sa force de travail qu’il lui permet juste d’obtenir l’emploi sans doute le plus vil pour un fils d’Israël : garder les cochons ! Et même avec cet emploi plus que subalterne il ne trouve pas son compte puisqu’on lui refuse jusqu’à la nourriture des cochons – et il faut vraiment avoir faim pour avoir envie de manger ce que mangent les cochons ! Bref, les affaires vont de plus en plus mal pour ce beau gosse et il est bien obligé un beau jour, pour ne pas y laisser sa peau, de faire un retour sur lui-même et de se dire : « Il doit bien y avoir quelque chose au monde qui me permette de me tirer d’affaire ! Il y a sans doute quand même une vie pour moi qui soit autre que ma vie actuelle qui frise constamment la faim et la fin, c’est-à-dire la mort. » Il fait ce retour sur lui-même et se dit, vous l’avez entendu : « J’ai mal agi. » Il se culpabilise : « j’ai mal agi contre mon père, je n’aurais pas dû demander mon héritage. Je vais rentrer, je vais tâcher de demander un poste d’ouvrier chez mon père, parce que mon père qui est un personnage juste leur donne à manger à satiété. Peut-être sera-t-il d’accord de m’engager et comme ça, je pourrai survivre.» Ce n’est pas rien, le cheminement accompli par notre beau gosse. Il était gonflé, il était parti de chez lui en conquérant. Il s’était dit : « Je vais faire beaucoup mieux que mon père, je vais me lancer dans les affaires. » Et vous connaissez le résultat.
Il revient donc vers chez lui ; il s’approche, honteux, il se sent coupable. Il est franchement mal à l’aise et tourne dans sa petite tête le discours qu’il va tenir à son père pour tâcher d’obtenir au moins une pitance, au moins une botte de paille dans une grange pour pouvoir dormir à l’abri. Bref, on imagine sans peine qu’il a les tripes nouées à l’idée de comparaître devant son père.
Et voilà ce qui aurait dû se passer. En recevant son garçon, le père aurait dû lui dire : « Ah, mon garçon, tu as enfin compris. Maintenant je suis occupé, je ne peux te voir, mais tu monteras dans mon bureau à la fin de la journée et on s’expliquera. » Le père aurait dû faire une enquête, le mettre à l’épreuve, lui dire : « Écoute, mon vieux, tu as eu ta part, maintenant je n’ai plus rien pour toi, mais enfin, les liens du sang étant ce qu’ils sont, je vais te donner quelque chose. Cependant, je ne sais pas si je vais te prendre définitivement à mon service. Pour l’instant, je te mets à l’épreuve. Voilà, tu peux disposer, tu sais où sont les outils, tu sais où sont les champs. Va bosser et que je n’entende pas parler de toi. Après ce qui s’est passé, tu n’as qu’à filer doux. » Voilà ce qui aurait pu se passer. Voilà ce que le père aurait dû dire !
Or voici en réalité ce que fait le père !
Quand il a vu dans le lointain du chemin, à près de 200 ou 300 mètres, ce garçon, ce beau gosse qui était devenu un pauvre gosse, il s’est écrié : « Mais c’est lui, c’est lui ! » Il s’est précipité vers lui, il l’a pris dans ses bras et on peut imaginer qu’il lui a dit au lieu de « Mon garçon ! », « Chéri ! tu es là !» Il l’a pressé contre lui. Le pauvre gosse voulait faire son discours parce qu’il se sentait sincèrement culpabilisé de ce qu’il avait fait à son père. Mais il n’en a pas le temps, le père le serrant dans ses bras, contre sa poitrine, donne des ordres : « Allez chercher la robe, la belle robe ! Donnez-moi un anneau, donnez-moi des sandales. Je vais l’habiller, je vais lui mettre cet anneau au doigt, ces sandales aux pieds » car bien sûr le pauvre gosse était pieds nus. Or ces trois éléments, cette robe, cette bague, ces souliers, ce sont par excellence dans la Palestine du début de notre ère ce que l’on donne aux hôtes de marque. On les rafraîchit par un bon vêtement, on leur met une bague au doigt, une chevalière, pour leur montrer tout le prix qu’on attache à leur personne et on leur met des chaussures aux pieds pour éviter qu’ils ne s’écorchent sur les chemins ou dans les champs. Ces 3 éléments sont le signe que ce fils, ce pauvre gosse, se voit restituer de manière absolument magnifique une place dans la maison, une belle place, une bonne place !
Il y a quelque chose de tout à fait saisissant dans cet accueil qui n’est pas celui auquel on se serait attendu. Il y a quelque chose d’étonnant dans cet accueil tout fait de générosité. Pas un instant le père se dit : « ah ! il m’a maltraité, il va voir ce qu’il va voir ! ». Non, au contraire, sa joie, c’est de voir le pauvre gosse à nouveau chez lui ; sa joie, c’est de lui faire du bien. Aussi complète-t-il ses ordres en ajoutant : « Tuez le veau gras, on va faire la fête. Celui qui était perdu est revenu, il est là ! On se réjouit ».
Je trouve cet accueil extraordinaire, c’est l’accueil que Dieu nous réserve, bien entendu ! Puisque Jésus parle en paraboles pour que nous comprenions mieux qui est Dieu, ce père qui nous étreint, c’est Dieu évidemment, et comment agit-il avec nous ? En nous donnant tout et en nous le donnant dans la joie. Car, voyez-vous, à plus d’une reprise dans le texte de la parabole, on insiste sur le fait qu’il s’agit d’une fête. Nous n’avons nullement affaire à un Dieu qui serait le grand barbu sévère. Mais Dieu, c’est le Père qui ouvre ses bras, qui nous étreint, qui ne nous laisse même pas le temps de lui dire toute notre culpabilité. Il la connaît, il la connaît très bien. Il sait si bien que nous en souffrons. Ça ne l’intéresse pas ! Ce qu’il veut, c’est nous combler, c’est nous remettre sur pieds, c’est nous soigner, c’est nous nourrir, c’est nous fêter, et ce qui l’enchante, c’est que nous soyons dans la joie, c’est que nous reconnaissions cette joie qui est la sienne puisqu’il nous a retrouvés. Il y a une atmosphère de symphonie joyeuse dans cette partie de la parabole. Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que Dieu ne demande pas de compte. Il n’a pas provoqué, même après la fête, un petit entretien avec son pauvre gosse redevenu son fils. Il n’a pas eu un petit entretien pour lui dire : « écoute, maintenant mettons les choses au point ; j’ai passé une fois l’éponge, mais ne recommence pas ». Non ça n’était pas nécessaire. Le Père savait exactement ce qui s’était passé. Il en avait lui-même assez souffert pour son pauvre gosse. Désormais seule la grâce comptait, pas les explications.
Mais l’histoire ne s’achève pas là. Il y a l’autre fils. Voyez-vous, j’ai de la compréhension pour cet autre fils et, pourquoi ne pas le dire, j’ai de la tendresse pour lui. Parce que Dieu lui-même a de la tendresse pour le bon garçon. L’autre fils, c’est celui qui est resté avec son père, qui a bossé, c’est un garçon sage, un bon garçon. Il a fait tout ce qu’on lui demandait, il a toujours obéi à son père. Il s’est appliqué. Cet autre fils, ce fils aîné, il nous ressemble beaucoup car parmi nous ou parmi celles et ceux qui nous écoutent, il n’y en a sans doute pas beaucoup qui ont été des beaux gosses et se sont mal conduits, mais il y en a certainement beaucoup qui ont été bons garçons, bonnes filles, qui ont voulu leur vie durant obéir, obéir à leur vocation, obéir à ce que Dieu demandait. Et tout à coup, ils ont un haut-le-cœur en se disant : « moi qui ai fait tout ce qu’il fallait faire, qui ai été bon garçon, bonne fille, je constate que l’on a tué le veau gras pour se réjouir du retour de ce garçon qui s’est franchement mal conduit, qui est un gros jouisseur, un flambeur. Je sens une injustice ; il y a quelque chose qui ne fonctionne pas là. Je ne suis pas d’accord, je suis fâché ! »
La réponse de Dieu est superbe ! Il nous dit : « écoute, mon garçon, mon bon garçon. Tu ne t’es pas rendu compte que tout ce qui est à moi, est à toi ! Tu me dis que je ne t’ai pas même donné un petit chevreau pour aller faire la fête avec tes amis. Mais pourquoi ne l’as-tu pas pris ? Il était à toi, ce petit chevreau ! » Cette grâce énorme que Dieu déverse sur ceux qui viennent à lui parce qu’ils sont mal, parce qu’ils se sentent pécheurs, coupables, cette grâce énorme, elle est également à la disposition des bons garçons, des bonnes filles. Il suffit de l’utiliser, de la prendre, de se l’appliquer ; il suffit d’aller puiser, nous qui sommes bons garçons et bonnes filles, dans cette grâce immense que Dieu offre aux grands pécheurs.
Il faut faire ce geste, et le père sera ravi. Il n’y mettra aucune objection car cette grâce nous est aussi destinée, bons garçons, bonnes filles. Le Père, le Père céleste, est plus qu’assez riche pour donner tout ce qu’il faut à celui qui revient, le pauvre gosse, comme à tous ceux qui ne sont pas partis, qui cheminent paisiblement, qui font bien leur travail. Il a autant de veaux gras qu’il en faut pour chacun et chacune d’entre nous, enfants sages ou pauvres gosses. Toute la grâce de Dieu est à disposition pour les uns comme pour les autres !
Vous le savez fort bien, dans nos vies, nous avons des moments où nous nous sentons tellement mal, tellement pauvres gosses, que nous avons grand besoin d’être pris dans les bras de Dieu qui nous dit : « Chéri(e) ! » Et puis il y a des moments où nous sommes bon garçon ou bonne fille et dans ces moments-là, il faut aussi aller vers Dieu, ce Dieu qui juge que nous cheminons bien, ce Dieu dont nous avons peut-être le sentiment qu’il ne s’occupe pas assez de nous, à cause des soucis qui lui causent les pauvres gosses. Il faut aller vers lui et lui dire : « Embrasse-moi, moi aussi, qui suis bon garçon, bonne fille ». Et Dieu nous embrassera et nous donnera un veau gras, une bonne robe, un bel anneau, de bonnes sandales, car tout ce qui est à lui est aussi à nous !
Symphonie en l’honneur de la Grâce que cette parabole, chant qui marque le triomphe de la Grâce d’un Dieu qui est vraiment le Dieu de la grâce, qui ouvre vraiment ses bras, qui souhaite que nous nous y précipitions, qui s’avance vers nous pour que nous voyons ses bras ouverts, son sourire glorieux, sa joie de nous voir revenir à lui et lui dire en toute confiance : « Père, père de toutes les grâces ».

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Florence Kraft
Musique
Ensemble vocal de Terre Sainte, dir. Florence Kraft