Que reste-t-il de la vie ? On a des rêves, on veut réussir, devenir quelqu'un. On lutte pour y arriver. On obtient peut-être le poste convoité. On a une famille, une maison, des richesses. Mais au final, que reste-t-il de tout cela ? Qu’est-ce qu’on a vraiment accompli ? Franchement, il est difficile de répondre à cette question. Car certaines actions semblent inutiles, ratées même et ont une valeur inestimable. D’autres, au contraire, qui paraissent de grandes réussites, ne laissent aucune trace.
Laissez-moi illustrer ce propos par deux exemples. Lorsque Saint Augustin est mort en 430, son œuvre s’est écroulée. Grâce à lui, l’Afrique du Nord était devenue chrétienne, alors qu’il n’y avait qu’une poignée de croyants quand il avait commencé. Il avait également combattu avec succès des sectes et des hérésies, qui menaçaient gravement l’Eglise. Peu de gens avant lui avaient eu un tel rayonnement. Mais au moment de sa mort, les Vandales envahissaient l’Afrique. Ces barbares particulièrement odieux appartenaient à une secte appelée l’arianisme, qu’ils imposaient partout où ils passaient. Saint Augustin a ainsi vu les Africains, qu’il avait aimés, à qui il avait transmis l’Evangile, pour qui il avait consacré sa vie, se faire exterminer ou devenir ariens sous la menace et la torture. Ce qu’il avait créé, au cours de son existence, semblait un échec total.
Seulement, si Saint Augustin avait vécu mille ans de plus, il se serait aperçu que son influence était encore plus considérable que ce qu’il aurait pu imaginer. Grâce à lui, le christianisme allait se développer et se consolider durant tout le Moyen Age pour s’étendre peu à peu au monde entier.
Mon second exemple va dans le sens opposé. Combien de chefs d’état désirent demeurer dans la mémoire de la postérité pour toujours ? Et on a l’impression qu’ils y arrivent. Les journaux ne parlent que d’eux. Chaque jour, la télévision et la radio les mettent en vedette. On dirait que le monde ne peut pas tourner sans eux. Pourtant, quelques années plus tard, on les a complètement oubliés. Ils ont surfé un moment sur la vague de la célébrité, mais celle-ci passée, ils ne laissent aucune trace.
Ce second exemple ne se limite, d'ailleurs, pas aux chefs d’état. Combien de sportifs paraissent magiques, ont parfois la réputation d’être les meilleurs de tous les temps dans leur discipline et leur souvenir se perd, quelques années à peine après leur retraite ? Combien d’auteurs ont un succès immense ? On est sûr qu’on ne les oubliera jamais, mais on n’a pas besoin d’attendre longtemps pour qu’on ne parle plus d’eux.
Alors, posons-nous la question pour nous maintenant : Que restera-t-il de notre vie ? Si cette interrogation paraît sans réponse, voire angoissante, la bible, cependant, nous autorise à tabler sur trois certitudes.
Premièrement, la plus petite action, même entachée d’erreurs et d’imperfections, a des chances de se révéler utile. Permettez-moi de vous raconter un conte indien. Un porteur d'eau avait deux grands pots accrochés aux deux extrémités d'une perche qu'il tenait sur ses épaules. L'un des pots était en bon état et permettait de ramener la totalité de l'eau du ruisseau à la maison du maître. L'autre avait une fêlure et arrivait seulement à moitié plein. Pendant deux ans, chaque jour, le porteur d'eau a donc ramené un pot rempli et l'autre à demi vide. Bien sûr, le premier pot était fier de ses dons, parfait pour le but pour lequel il avait été créé. Mais le pot fendu avait honte de son imperfection : il se sentait misérable parce qu'il pouvait accomplir seulement une partie de sa tâche. Après deux ans de ce qu'il ressentait comme un amer échec, il parla au porteur d'eau près du ruisseau.
- J'ai honte de moi-même: je veux m'excuser.
- Pourquoi, demanda le porteur, de quoi as-tu honte ?
- Je n'ai été capable, durant ces deux dernières années, que de transporter la moitié de ma charge parce que cette fêlure me fait perdre de l'eau, lorsque nous retournons à la maison de ton maître. A cause de mon imperfection, tu dois faire davantage de voyages : tu n'es pas pleinement récompensé de tes efforts, dit le pot fêlé.
Le porteur d'eau était désolé pour le vieux pot fendu. Il lui répondit :
- Puisque nous sommes sur le chemin du retour, je veux que tu fasses attention aux jolies fleurs que tu verras à côté de toi. En effet, comme ils montaient sur la colline, le vieux pot craquelé remarqua que le soleil réchauffait de belles fleurs au bord de la route. Cela le réjouit. Mais à l'arrivée, il était tout malheureux car il avait de nouveau perdu la moitié de sa charge. Il s'excusa encore auprès du porteur d'eau pour son échec. Ce dernier lui dit:
- As-tu remarqué qu'il y avait des fleurs seulement du côté où tu passes et non du côté où se trouve l'autre pot ? Je sais depuis toujours que tu as ce défaut : je l'ai tourné en avantage. J'ai planté des graines uniquement là où tu passes. Chaque jour lorsque nous revenons du ruisseau, tu les arroses. Pendant deux ans, j'ai pu ainsi cueillir de jolies fleurs pour décorer la table de mon maître. Sans toi, avec tes imperfections, je n’aurais jamais pu apporter cette beauté dans sa maison.
Certaines imperfections, certaines faiblesses, certains échecs même servent la cause de Dieu dans ce monde. Contrairement à ce qu’on pense souvent, il n’y a pas que nos réussites qui soient productives. Notre Seigneur se sert de tout ce que nous avons pour faire avancer son royaume d’éternité.
Ne vous est-il jamais arrivé de vous dire : « Oui, je me rappelle, mon père a connu une période sombre, dans ces années. Il a perdu son travail. Il a eu toutes sortes de difficultés. C’était très dur et, enfant, je le méprisais un peu parce que nous avions moins que les autres. J’avais honte d’avoir un père comme ça. Mais aujourd’hui, quand je repense à cela, à la manière dont il a fait face à ses épreuves, ça me donne une force pour affronter ma propre vie. »
Dieu nous connaît. Il voit, au-delà de notre horizon. Il discerne comment nous contribuons à son plan de vie et d’amour. Il sait que les périodes vides et creuses ont parfois leur sens.
La deuxième certitude que la Bible nous indique est qu’il y aura toujours un résultat, lorsque nous entrons dans le plan de notre Seigneur. Nous ne savons pas lequel. Nous ignorons ce qui servira ou ce qui ne servira pas. Mais nous pouvons être certains que des fruits verront le jour.
Nous nous trouvons un peu dans la situation de ces paysans qui sèment des graines en automne. Beaucoup d’entre elles sont mangées par les oiseaux, certaines pourrissent, mais en fin de compte, chaque année, les champs sont couverts de blé.
Dans le texte lu auparavant, l’Ecclésiaste dit : « Tu ne sais pas quelle partie de ton travail réussira ou si tu tireras profit de toute ton activité. » Remarquez bien que, dans cette affirmation, il n’existe que deux possibilités : soit une partie de notre œuvre réussit, soit la totalité. La troisième possibilité, celle où rien ne réussirait, n’existe pas. A l’avance, on ne sait pas ce qui restera de notre vie. Mais en agissant dans l’esprit du Christ, on peut être persuadé de trouver un jour la moisson de ce qu’on aura semé.
La troisième certitude est, au fond, la conséquence des deux premières. L’Ecclésiaste la résume ainsi : « C’est pourquoi sème ton grain dès le matin et jusqu’au soir n’arrête pas de travailler.» En d’autres mots, deviens une pierre vivante du Royaume de Dieu, en participant à sa construction tant que tu en as la possibilité. De cette manière, ton œuvre s’inscrira dans l’éternité.
N’est-ce pas un peu simpliste ? Quand on pense qu’on perdra peut-être un jour la raison ou qu’une maladie pernicieuse nous privera de notre dignité, le conseil de l’Ecclésiaste ne paraît-il pas dérisoire face à ces questions préoccupantes ? Quand on constate le caractère éphémère de nos succès et la vanité de ce pour quoi on s’agite, quand on voit que les heures de gloire et les gestes généreux sont largement contrebalancés par le temps perdu, les mauvaises décisions, les actions qui gâchent notre existence et celles des autres, n’est-ce pas se voiler la face que de penser que cela n’affectera en rien l’immense moisson qui nous attend, pourvu qu’on agisse pour Dieu jusqu’au bout ? Comment la profonde relativité des choses disparaîtrait par magie, en quelque sorte, du simple fait que notre foi reste active et vivante ?
« Sème ton grain dès le matin et jusqu’au soir n’arrête pas de travailler. » En vérité, je pense qu’on a affaire ici à l’une des réflexions les plus intenses de la bible. Car voyez-vous, la foi qui nous accompagne transforme cette terre en Royaume de Dieu, lorsqu’elle ne se laisse pas terrasser par les problèmes ni affadir par les années. Ce courage d’avoir gardé ses convictions chrétiennes malgré un entourage hostile, cette sagesse d’avoir pris du temps pour sa foi, alors qu’on était dans le tourbillon des activités, cet amour qu’on a étendu gratuitement à des êtres moins favorisés, cette espérance à laquelle on s’accroche, bien qu’on vieillisse et qu’on se retrouve de plus en plus seul. Oui, l’ensemble de ces graines semées, d’un bout à l’autre de notre vie, signale une moisson qui s’étend au-delà du temps.
Lorsque, avec l’aide de Dieu, on se dresse sans faiblir contre le mal et la misère, on agit un peu comme le paysan, qui laboure consciencieusement ses champs en automne, pour avoir du blé, l’été suivant. Sur le moment, il ne voit pas de résultat, mais son travail annonce une renaissance. Notre amour pour le Seigneur et pour notre prochain prépare un renouveau, qui resplendira autant par ce qu’il sera en lui-même que par le sens qu’il donnera à nos actions passées.
« Dès le matin et jusqu’au soir n’arrête pas de travailler. » Sois une pierre vivante du Royaume de Dieu. Qu’importent les aléas de ton parcours, tes défaites ou tes échecs. Tu es né sous une bonne étoile : celle du pardon et de l’amour divins. Le Seigneur ne te demande qu’une chose : demeure sous cette étoile jusqu’à la fin. Continue l’histoire du Christ en l’éclairant chaque jour de la lumière qu’il t’accorde. Alors oui, ce que tu fais est la semence d’une immense moisson, que tu retrouveras dans l’éternité. Amen !