Écouter le culte :
La une de l’actualité, ces jours, c’est incontestablement la mort d’Oussama Ben Laden, le chef charismatique d’Al-Qaïda. Mais que s’est-il donc passé cette nuit-là dans la région d’Islamabad ? En fait, on n’en sait rien. Tout au plus, avons-nous quelques témoignages faisant état d’un ballet d’hélicoptères au dessus de la ville et de quelques détonations. Mais, c’est un peu maigre comme preuves. Tout ce que nous savons, c’est ce que les Américains ont bien voulu nous annoncer : Oussama Ben Laden a été tué et son corps a été immergé quelque part en mer. Un point, c’est tout.
Ceci explique que tous les amateurs d’X-Files et autres Dan Brown s’en donnent actuellement à cœur joie sur Internet, en dénonçant moult complots, conspirations et dissimulations de la vérité. Or nous allons certainement devoir nous contenter du peu d’information dont nous disposons. Et, mes amis, au risque de vous choquer quelque peu, l’Évangile fonctionne sur un même ressort dramatique.
En effet, le surlendemain d’un tristement célèbre Vendredi Saint, que s’est-il donc véritablement passé cette nuit-là près de la colline de Golgotha ? Si l’événement avait eu lieu de nos jours et qu’une caméra de surveillance ait pu filmer le tombeau entre le samedi soir et le dimanche matin, une des grandes énigmes de l’Histoire serait enfin résolue ! Mais seulement voilà : c’était il y a deux mille ans et il n’y avait pas de caméra ; il n’y avait même pas de témoins directs. Que s’est-il donc véritablement passé cette nuit-là près de la colline de Golgotha ? En fait, on n’en sait rien. Quelque chose s’est produit dont nous ignorons tous les détails. Mais ce quelque chose a eu un tel impact qu’il a été raconté, mis par écrit, prêché hier comme aujourd’hui in vivo et sur les ondes de la radio.
Et qu’est-ce que le récit de Marc nous apprend ? Le tombeau est vide. Un point, c’est tout. Et Jésus est annoncé comme ressuscité. Un point, c’est tout. L’Évangile ne nous décrit pas la Résurrection du Christ, mais il nous l’annonce. Le Nouveau Testament ne nous dit pas comment cela s’est passé. Par contre, il nous parle d’hommes et de femmes dont la vie a été transformée par cette annonce. Et c’est ce qui fait toute la différence et aussi toute la puissance de cet événement. La Résurrection du Christ a eu une résonance telle qu’on en parle encore aujourd’hui. Cet événement a eu un impact tellement puissant, que certains, à l’instar de Jean Sébastien Bach, ont mis tout leur talent pour témoigner de ce que cette Résurrection a fait dans leur vie et pour poursuivre son annonce de par le monde.
Cette annonce peut utiliser plusieurs vecteurs de communication. Dans notre tradition protestante, on a privilégié la parole, l’enseignement, la prédication. Mais il existe d’autres vecteurs faisant appel parfois à d’autres sens comme les icônes orthodoxes, véritables leçons de catéchisme. Bach, lui, du fait du don qu’il a reçu, choisit la musique.
La musique est dans les sociétés primitives ou anciennes un moyen de communication avec Dieu, très souvent accompagnée de la danse. La musique émane du fond de l’homme, elle exprime sa joie ou sa douleur dans une communauté d’expression qui la rend compréhensible et accessible par tous. C’est peut-être l’art le plus ancien. Le chant est ainsi la voix de l’homme dans son élan vers Dieu, mais, on peut le penser aussi, par un juste retour des choses, inspiré par Dieu et divin par essence. Ne parle-t-on pas, par exemple, du « divin Mozart » ? Et qui d’entre nous n’a pas, dans le cours de sa vie, essuyé une larme à l’écoute d’une pièce qui l’a ému au plus profond de lui-même ?
L’œuvre de Bach est l’exemple même d’une musique fondamentalement sacrée. L’ardeur de la foi qui l’inspire d’un bout à l’autre de sa vie anime la quasi-totalité de son œuvre. Bach écrira lui-même : « La musique ? Une harmonie agréable célébrant Dieu et les plaisirs permis de l’âme. Le but de la musique devrait n’être que la gloire de Dieu et le délassement des âmes. Si l’on ne tient pas compte de cela, il ne s’agit plus de musique, mais de nasillements et beuglements diaboliques. »
La cantate qui accompagne notre culte ce matin est une œuvre de jeunesse. Quand Bach la compose, il n’a que 22 ans. Il vient juste de se marier. Mais sa foi ne date pas d’hier. Dès son adolescence, Bach est passionné à la fois par la musique et par la théologie. Il a, pour ainsi dire, dévoré tous les écrits de Luther. Il s’inscrit lui-même dans le prolongement du grand Réformateur. Ici, dans notre cantate, cela s’observe tout particulièrement, puisque Bach reprend et illustre un texte même de Luther.
Toute sa vie, depuis l'œuvre du jeune homme de 20 ans jusqu'à sa Messe en si mineur, Bach va tenir un livre de bord de l'âme. Il tenait à ce journal intime chuchotant à Dieu, criant parfois vers Dieu, et voulant pathétiquement convaincre l'auditeur de cette bonne nouvelle que nous avons entendue : Christ lag in Todesbanden, für unsre Sünd gegeben ; er ist wieder erstanden und hat uns bracht das Leben. Christ gisait dans les liens de la mort, offert pour nos péchés ; il est ressuscité et nous a apporté la vie.
Bach aimait passionnément écrire des cantates. Et là, dans cette forme, il a pu tout dire, tout exprimer, tout expérimenter aussi. Et avec la matière de la voix et des instruments, il a pu réaliser une alchimie tendue vers le ciel. Mais c’est une alchimie dans laquelle Bach tenait à nous inviter, à nous prendre avec lui. Sa musique a pour objectif de passer les barrières de l’intelligence pour parler à l’âme.
Si je peux m’exprimer ainsi, Bach mange Dieu dans sa musique et nous transmet l'essentiel : la parole des textes bibliques que Bach veut humblement servir et propager. Le pouvoir de la musique devient alors cantique et possibilité de toucher au divin, ce que Bach recherche.
La musique de Bach devient alors le support d’un double mouvement : celui de Dieu vers nous et celui du fidèle vers son Dieu. La musique de Bach suscite édification et remise en question, consolation et louange, encouragement et intercession. La musique de Bach est l’annonce de la Parole, seule source d’espérance et de vie. Bach lui-même l’écrira : « Celui qui prendra appui sur la Parole, n'aura rien à craindre de la mort. »
Pour nous aujourd’hui et pour vous, chers auditeurs, la Parole nous dit que le tombeau est vide, que Jésus est ressuscité, que Jésus n’est pas forcément là où on croyait le trouver. Les femmes viennent au tombeau honorer un mort et elle s’entendent dire que Jésus est vivant et qu’il les attend en Galilée. Nous sommes donc invités à partir en quête, à rechercher le Christ. Le Christ ressuscité ne se donne pas à honorer. Le Christ ressuscité est à rechercher et à rencontrer au hasard de nos routes. Qu’est-ce que cela peut bien signifier pour nous aujourd’hui ? Serions-nous en Eglise, comme les femmes de l’Evangile, en train d’honorer un mort ? Peut-être bien que oui.
Nous croyons que le rôle de l’Eglise devrait être de combler notre besoin de Dieu, qu’elle devrait enseigner petits et grands, qu’elle devrait offrir des temps et des moments où les fidèles peuvent découvrir la Parole de Dieu. Et nous le faisons. Mais plus fondamentalement, le rôle de l’Eglise devrait être tout d’abord de creuser en chacun le besoin de Dieu, de susciter le désir, d’ouvrir à l’espérance, afin d’être à même d’accueillir la grâce, quand elle se présente inopinément à nous. Et Bach, au travers de sa musique, excelle dans cet art. Il ne nous décrit pas Dieu, mais il élève notre âme, qui soudain a soif de Dieu. Et Dieu alors peut enfin répondre.
J’aimerais illustrer cette pensée. Je me rappelle, quand j’étais enfant, les mois qui précédaient Noël. Nous recevions par la Poste les catalogues de jouets. Je me souviens de tous les rêves, de toute l’attente qui me transportait, qui me faisait vibrer en espérant recevoir tel ou tel jouet, en particulier des Lego Star Wars. Je n’avais encore jamais vu un seul des films de George Lucas, mais je m’imaginais aux commandes du Faucon Millénium ou à bord d’un croiseur impérial. Ce furent des instants tout simplement magiques qui ont bercé mon enfance, nourri mon imagination et forgé la personne que je suis aujourd’hui. Et si par chance, la Noël m’apportait le jouet tant espéré, alors j’étais l’enfant le plus heureux du monde.
Je n’ai gardé aucun jouet de mon enfance, aucun Lego. J’ai par contre gardé le souvenir ému de cette attente, de ce désir, de cette espérance. Et cette attente, ce désir, cette espérance est paradoxalement plus importante que tous les cadeaux de Noël. Et aujourd’hui encore, j’aime voir le regard de mes propres enfants, lorsqu’ils parcourent les pages d’un catalogue de jouets négligemment laissé sur la table du salon.
La foi n’est pas la perpétuation du souvenir d’un défunt, de sa vie, de son histoire, de ses faits et gestes. Mais la foi est une espérance, un désir, une recherche qui me met en mouvement, qui fait tendre toute mon attention vers un but lointain, qui donne un sens, une direction à mon quotidien.
La Résurrection n’est pas une démonstration. La Résurrection n’est pas une preuve. Si tel était le cas, elle ne satisferait que la raison. La Résurrection est avant tout un tombeau vide, qui ouvre à toutes les perspectives, à toutes les possibilités, à toutes les rencontres. Et c’est ce que l’Eglise devrait enseigner. Le Christ nous attend en chacune de nos Galilée ; il veut nous surprendre au détour de nos chemins ; il veut nous retrouver dans nos pérégrinations.
Notre seule responsabilité, c’est de cultiver en nous le désir et l’attente de Dieu pour mieux l’accueillir lorsque Dieu marchera à nos côtés. Il faut donc nous mettre en route. Osons l’inconnu, la surprise, le dépaysement. Soyons en recherche permanente du Christ, comme si nous ne l’avions jamais rencontré, comme si nous devions le découvrir encore et toujours. Désirons le Christ, non pas comme un corps auquel nous voulons rendre un pieux hommage, mais comme une personne bien vivante avec laquelle nous pouvons, nous voulons être en relation ; mieux encore, comme un amant ou une amante que nous désirons séduire. Levons-nous, mettons-nous en marche, ayons faim et soif du Christ ressuscité.
Et comment vous donner envie du Christ ressuscité, si ce n’est par le témoignage ? Ecoutez donc cette musique sacrée, car elle nous raconte en substance la rencontre entre Bach et son Seigneur vivant encore aujourd’hui. Bach signait chacune de ses œuvres par les initiales : SDG. J’aimerais les reprendre aujourd’hui à mon compte en disant avec Bach : « Soli Deo Gloria ! À Dieu seul la gloire ! »
Amen.