De la parole aux actes

image

Écouter le culte :

Il y a un an, quasiment jour pour jour, le pape François était en pleine visite en Terre Sainte. Le point culminant de son périple était son souhait de visiter le Cénacle de Jérusalem et d’y célébrer une messe. Cette demande, acceptée par le gouvernement israélien, avait déclenché la fureur de quelques Juifs orthodoxes qui avaient juré d’empêcher cela à tout prix. Le gouvernement israélien avait alors déployé de grands moyens pour que cette visite papale se déroule au mieux.

Qu’est-ce que le Cénacle ? Le Cénacle est un édifice qui se trouve sur l’actuel Mont Sion et qui, selon une tradition du 4e siècle, aurait été le lieu où Jésus a partagé son dernier repas avec ses disciples le soir précédant sa crucifixion. Vous savez, la fameuse chambre haute où Jésus a instauré la Sainte Cène. Le Cénacle est aussi le lieu où il serait réapparu le dimanche de Pâques aux disciples réunis. Ce serait encore le lieu où l’Esprit Saint est descendu sur les disciples le jour de la Pentecôte.

Le Cénacle est donc un lieu très important pour la tradition chrétienne, mais un lieu désaffecté depuis 6 siècles et où il est interdit d’y célébrer tout acte religieux. Pourquoi ? Parce que qui dit chambre haute, dit forcément aussi chambre basse. Et effectivement, le Cénacle comporte une chambre basse. Il s’agit d’une importante synagogue en activité. Et dans cette synagogue se trouve, chose pas très courante, un tombeau, un gros cénotaphe en pierre, recouvert d’un drap brodé de cette phrase : David melekh Israel Hai vekayam, qu’on peut traduire ainsi : David, roi d’Israël, est vivant et éternel. Dans la tradition juive, l’esprit de David est toujours en vie et il est appelé à se relever au grand jour du Messie.

Le Cénacle et le tombeau de David sont donc actuellement étroitement associés. Était-ce déjà le cas à l’époque des Apôtres ? Peut-être ou peut-être pas. Mais personnellement, je serais assez enclin à croire qu’au détour de l’an 30, quelque part à Jérusalem, ces deux lieux devaient se trouver dans une certaine proximité géographique.

Dans notre passage, nous avons entendu le discours de Pierre à la Pentecôte. La Pentecôte, c’est le jour anniversaire du don de la Loi au mont Sinaï. Ce jour-là, le vent, le feu, le bruit avaient secoué la montagne. D’après le livre de l’Exode, les Hébreux avaient littéralement vu la voix de Dieu exprimer l’Alliance par le don des 10 commandements. Cette voix, selon la tradition juive, s’était fait entendre aussi à toutes les nations qui sont sur cette terre, chacune selon sa propre langue. Mais, selon la tradition juive encore, la Pentecôte est aussi le jour anniversaire de la mort du roi David. Et nous voilà revenus à notre roi.

Alors, imaginons un instant. Imaginons les disciples réunis dans leur chambre haute, dans le jeûne et la prière. Imaginons que le miracle du mont Sinaï se renouvelle à Jérusalem. Imaginons le souffle puissant balayant la pièce où sont réunis les Apôtres et quelques femmes. Imaginons la voix de Dieu qui se fait voir à nouveau sous la forme de langues de feu. Imaginons le bruit assourdissant qui résonne et se fait entendre tout alentour. Imaginons aussi les Juifs, venus des quatre coins du monde connu d’alors, lever la tête en se demandant au monde ce qui est en train de se passer. Imaginons-les délaisser un instant leur pèlerinage sur la tombe du grand roi d’Israël pour accourir vers la source de tout ce raffut. Imaginons-les faire irruption dans la chambre haute et entendre les Apôtres parler chacun dans leur langue maternelle. Ce que nous imaginons là n’est certainement pas très éloigné de ce que le livre des Actes nous rapporte.

À partir de là, réécoutons cette toute première prédication apostolique. Je paraphrase : « Mes frères, mes sœurs, en ce jour particulier, vous honorez la mémoire du plus grand de nos rois, le roi David. Vous pensez que son esprit est vivant et pourtant vous priez sur sa tombe. Lorsque David a écrit, prophétiquement, que son corps ne sera pas abandonné dans le monde des morts, que Dieu ne laissera pas son ami fidèle pourrir dans la tombe, il ne parlait manifestement pas de lui. Non, que cela soit très clair : David est mort et enterré, et ce depuis plus de 1000 ans. Alors de qui David parlait-il dans son psaume ? David annonçait la venue d’un de ses descendants, de son fils, Jésus de Nazareth.

Cet homme-là, vous en avez entendu parler. Il a accompli des choses incroyables, témoignant par là que Dieu était avec lui. Mais ce Jésus a été livré, selon un plan voulu par Dieu. Jésus a accepté sa mission et il a été supprimé en étant cloué sur une croix. Son corps a été mis en terre dans un tombeau. Mais nous en sommes tous témoins : la mort n’a pas pu le retenir ; Jésus s’est relevé d’entre les morts. Il est revenu à la vie. Il est vivant et est désormais éternel. Il y a 10 jours, Dieu l’a fait monter pour qu’il siège à sa droite, conformément à une autre prophétie du roi David qui ne pouvait s’appliquer à lui-même : « Le Seigneur dit à mon Seigneur, viens siéger à ma droite, je vais mettre tes ennemis sous tes pieds ».

Tout le peuple d’Israël doit donc le savoir de façon très sûre : ce Jésus que vous avez cloué sur une croix, Dieu l’a fait Seigneur et Messie. Et aujourd’hui, Jésus le Messie a répandu sur nous son Esprit, conformément à d’autres prophéties, afin que toute personne qui fera appel au Seigneur Jésus soit sauvée de ses fautes. »

Et Pierre de poursuivre sa prédication longtemps. Je l’imagine aisément annoncer que la mort de Jésus n’était pas un accident, mais le plan que Dieu avait prévu pour se rapprocher de l’humanité. Je l’imagine annonçant que le sang qui a coulé à la croix est l’ultime et suffisant sacrifice qui a été permis pour que tous les manquements, les désobéissances et fautes soient définitivement couverts et cachés au regard de Dieu. Je l’imagine annonçant que Jésus a considéré comme siennes toutes les rébellions, trahisons, forfaitures et les a détruites par sa mort. Je l’imagine annonçant que le sang de Jésus éloigne la puissance de la mort qui ne peut désormais que passer au-dessus de tous ceux qui se réfugieront derrière les linteaux ensanglantés de la croix.

Et cette prédication a produit son effet. Si l’on en croit l’auteur du livre des Actes, près de 3000 personnes se sont identifiées à la mort et à la résurrection de Jésus en se faisant baptiser. Mais avant cela, elles ont pris conscience qu’elles étaient victimes de toutes les formes de mal et de mort possibles, et non seulement victimes, mais également auteures. Cette prise de conscience et ce besoin de trouver une échappatoire valable ont été au cœur de la toute première prédication apostolique.

Qu’est-ce que cette histoire peut nous dire pour nous aujourd’hui ? À mon avis deux choses. La première, c’est que Pierre a eu la sagesse, le discernement, l’intuition nécessaires pour parler à tous ces Juifs. Il n’a pas pris une chaise pour se hisser dessus dans la cour du Temple et annoncer la mort et la résurrection de Jésus. Non, il est parti de la préoccupation de ces hommes et de ces femmes. Celle-ci était tournée ce jour-là autour de la figure du roi David ; alors il s’est servi de ce point d’ancrage comme d’une porte pour annoncer efficacement l’Évangile.

Aujourd’hui, même dans ce monde de plus en plus sécularisé, les préoccupations spirituelles demeurent fortes. On continue de se questionner sur le sens de la vie, sur le bien, sur le mal, sur le juste et le faux, sur les différentes spiritualités, sur la vie après la vie. Ce texte des Actes nous invite à être attentifs à ces préoccupations et à partir de ce point précis pour annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. C’est le principe fondamental de tout travail missionnaire ou d’évangélisation.

Ce point est spécialement d’actualité pour nous réformés romands. En effet, dans de nombreux cantons ou régions, l’Église réformée a plus que fait partie du paysage. Mais aujourd’hui, cette présence ne va plus de soi. On peut compter sur des initiatives cantonales, régionales ou paroissiales pour faire œuvre d’évangélisation, mais rien, écoutez-moi bien, rien ne remplacera jamais nos propres démarches personnelles. C’est vers nos voisins, nos collègues de travail, nos camarades d’études que peuvent, que doivent se déployer nos annonces de l’Évangile. Soyons donc à l’écoute de ce que nos proches nous partagent, de leurs préoccupations spirituelles. Et bannissons la peur de déranger et notre timidité. Car nous sommes tous des Pierre en puissance.

Le second enseignement pour nous, c’est qu’une véritable prédication évangélique ne peut, ne doit pas faire l’impasse de l’annonce de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Une mort réelle. Une résurrection réelle. Tout cela conforme à un plan de Dieu dans le but de nous arracher aux ténèbres dans lesquelles nous sommes si souvent englués. Une prédication qui invite à prendre conscience de notre besoin viscéral d’être sauvés parce que par nous-mêmes, nous n’y arriverons pas. Une prédication qui va, qui doit amener à des changements de vie observables.

Dans la bouche de Pierre, il n’y a aucun discours lénifiant ou qui brosse ses auditeurs dans le sens du poil. Il dépeint une double réalité : un Dieu qui se veut proche des êtres humains et des êtres humains perdus, cause et aboutissement de cet acte fou qu’est la croix de Golgotha.

C’est là, je crois, que se trouve la clef de l’évangélisation. Et cette clef est remise entre nos mains, aujourd’hui, pour un monde qui en a toujours désespérément besoin. L’auteur du livre des Actes nous invite à entrer à la suite d’un Pierre, mais aussi d’un Philippe, d’un Étienne, d’un Paul, et de tant d’autres. Il nous invite à annoncer une Parole puissante et efficace qui changera des vies. Sommes-nous prêts à relever ce défi ?

Amen.

Premier épisode de la série « Passage à l’Acte », proposé par la paroisse d'Estavayer-le-lac et de la Broye fribourgeoise.
Le discours de l'apôtre Pierre à la Pentecôte fait un lien fort entre la figure du roi David et Jésus le Messie. Ce lien n'est pas fortuit. Il est lié au jour et au lieu où se déroule ce discours.

Détails

Avec la participation de
Josiane Javet et Walter Tramaux
Orgue
Musique
Chorale d'enfants, sous la direction de Innocent Himbaza, Marylène Maillard, piano, Daniel Scherbuin, basse et Pascal Evard, batterie