Comme à Cana, Jésus fait irruption dans nos vies

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Dimanche passé la prédication portait sur le signe céleste divin accompagnant les mages lors de leur marche à l’étoile. Dans le récit d’aujourd’hui, de céleste le signe devient terrestre et se donne à voir lors d’une fête, à même la terre colorée et la vie joyeuse des hommes. L’événement se passe au dernier jour de la semaine inaugurale de Jésus selon Saint-Jean. Souvenons-nous.
Le premier jour, Jean-Baptiste est interrogé par les envoyés du Grand-Prêtre au bord du Jourdain. Le lendemain il désigne Jésus comme l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde et atteste avoir vu l’Esprit-Saint descendre sur lui comme une colombe. Le troisième jour Jésus rencontre ses premiers disciples. Le quatrième en Galilée il appelle Nathanaël qui l’attend sous le figuier. Trois jours plus tard, nous sommes à Cana, où Jésus va opérer son premier signe et couronner son œuvre de recréation. Nous sommes juste avant la Pâque. Des noces ont lieu à Cana où Jésus se rend avec ses premiers disciples. Les noces en Israël duraient sept jours, comme le rappelle le livre deutérocanonique de Tobie : « et les noces de Tobie furent célébrées dans la joie, sept jours durant et beaucoup de cadeaux lui furent offerts. ».

Si les noces durent sept jours, c’est l’occasion pour les époux et les convives de boire toutes les réserves de vin. Par l’idée des noces est évoquée celle d’une joie intense, durable, une surabondance. Comme l’écrira Pascal dans sa nuit de feu, non pas le Dieu des philosophes et des savants, mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le Dieu d’Israël n’est pas seulement celui qui est ou qui donne la vie au monde, simple moteur immobile ou grand architecte de l’univers. Il est ce Dieu qui se donne en abondance pour la joie de son peuple, qui déborde de son être et vient combler sa création.
Si les noces sont événement de plénitude, d’abondance, elles sont ici en même temps d’une grande simplicité. Elles n’ont peut-être pas le faste d’une richissime famille de Jérusalem. Cana était petite bourgade de Galilée, sans grande importance. Jésus opère son premier miracle, signe des temps messianiques qui viennent, en un lieu banal et discret. De la même façon dans nos vies, Dieu passe et se donne à nous, bien des fois, non pas tant d’une façon extraordinaire, mais de manière simple et discrète. Dieu se sert de la quotidienneté de notre vie au sein de laquelle pourtant il travaille et nous transforme, y insufflant le souffle et le dynamisme de la vie nouvelle qu’il veut pour nous. Pour Dieu il n’y a pas de petites choses. Jésus lui-même nous le rappelle : C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai.

A ces noces Marie est présente. Jean nous la décrit toujours comme la mère de Jésus. Elle est annoncée avant lui parce qu’elle va être au cœur de l’événement des noces, par son rôle de médiatrice. Elle est appelée « la mère de Jésus » parce qu’elle est toute relative à son Fils, et parce qu’en Orient dans l’Antiquité, appeler une femme en la nommant « mère de son fils » est une façon d’honorer sa maternité. Jésus est aussi présent et fait honneur à la joie des mariés. L’évangile nous dit son irruption et les questions que son apparition fait surgir.
Il est, dès le commencement, cet homme mystérieux autour duquel les hommes se pressent. Il se passe quelque chose. Pour Jean, au travers de toutes ses rencontres, Jésus fait office de révélateur : l’enjeu de cette rencontre avec lui se déroule dans la clarté nécessaire. Avec lui la neutralité n’est plus possible. C’est bien de mettre sa foi en lui dont il s’agit. Croire ou ne pas croire, voici l’enjeu.
Alors qu’il vient de nous présenter Marie et Jésus à Cana, l’évangéliste nous introduit au drame qui se prépare. Ils n’ont plus de vin. Que Marie confie à Jésus ce manque peut s’expliquer par la présence des femmes en cuisine. La remarque de Marie dit aussi la qualité de son regard. La délicatesse de son cœur. Marie a ce regard de disciple qui sait voir juste. Marie est pleinement donnée aux autres dans l’amour.
Dans la Bible les noces et le vin ont grande charge symbolique. L’une et l’autre sont signe de l’union, de l’alliance désirée entre Dieu et son peuple. Le vin est symbole de fête, de joie et d’alliance. Le vin est en lien avec la restauration de l’alliance entre Dieu et Israël. Ainsi Amos dit qu’il y aura abondance de vin quand cette alliance sera rétablie. Ainsi Osée annonce-t-il qu’au moment de cette restauration la qualité du vin surpassera celle des vins du Liban. Ainsi Esaïe annonce-t-il que le vin des noces à venir avec Dieu, sera gratuit, donné en abondance à tous ceux qui le souhaitent. Découvrir qu’il n’y a plus de vin pour la noce, c’est mettre en lumière la stérilité de l’alliance, montrer que la crise est au sommet entre Dieu et son peuple.

L’intervention de Marie doit se lire dans cette lumière. Sa parole est participation mystérieuse à l’œuvre du salut opérée par son Fils. Son intervention n’est pas demande directe d’un miracle, car Jésus n’a pas encore opéré de signe. Sa parole – ils n’ont plus de vin- , c’est plutôt le constat désolé d’une femme d’Israël qui découvre que la joie des noces va se tarir. Elle témoigne de sa délicatesse et laisse entendre, tout au plus, qu’elle suggère à Jésus de faire quelque chose. Marie fait sa demande, non pas par une question directe, mais par une affirmation, ce qui est chez Jean la forme respectueuse de la demande. Souvenez-vous de Lazare et de la formule pleine de délicatesse par laquelle Marthe et Marie demandent à Jésus d’intervenir : Seigneur, celui que tu aimes est malade (…).
La réponse de Jésus à Marie a fait couler beaucoup d’encre. Littéralement, quoi à toi et à moi ? Cette réponse dit une mise à distance, une divergence de points de vue. Saint Augustin en fait une lecture théologique insistant sur la divinité de Jésus, comme si Jésus disait à sa mère ; le pouvoir d’opérer le miracle, je ne le tiens pas de toi, toi qui n’as pas engendré ma divinité. Par sa réponse Jésus dit la priorité de la volonté du Père sur tous les liens terrestres qui l’animent. Le mot femme qu’il adresse n’est pas dépréciatif, mais repose sur l’idée culturellement admise en son temps de ne pas signifier les liens de parenté ouvertement en public. Sa réponse évoque son heure non encore venue – cette heure qui dit l’accomplissement de sa mission – dit aussi la pleine liberté de Jésus face aux événements. C’est lui qui conduit sa vie, dans l’intimité du Père : « ma vie nul ne me la prend, c’est moi qui la donne de moi-même ».
Marie aurait pu se décourager, se démobiliser. Elle va entrer dans l’attitude qui la caractérisera toute sa vie et que l’on découvre déjà à l’Annonciation, celle du consentement au mystère. Faites tout ce qu’il vous dira ! Qu’il en soit fait selon ta volonté ! Cela fait écho à de nombreux passages de l’Ancien Testament. Quand le pays d’Egypte souffre de la faim et que les gens viennent réclamer à manger, Pharaon leur dit : allez à Joseph et faites ce qu’il vous dira.
Au moment de l’alliance, le peuple d’Israël répond à Moïse : tout ce qu’a dit le Seigneur, nous le ferons. Jésus est le nouveau Joseph qui donne à boire au peuple en manque et le fait passer de la pénurie à la surabondance, le médiateur décisif de la nouvelle alliance destinant l’humanité à l’abondance et à la joie.
Faites tout ce qu’il vous dira. Marie nous fait comprendre que pour être disciple de Jésus, il faut entrer dans sa volonté. Il faut être capable d’accueillir cette volonté déroutante et y consentir parce que la conviction qui nous habite est que Dieu veut notre bien et qu’il ne fera rien contre nous. Marie nous enseigne qu’il nous faut passer de notre volonté propre à celle de Dieu, il faut que s’opère en nos vies une transformation.
Jésus va opérer son premier signe et transformer l’eau, signe de la pénitence, de la purification, en vin, signe du mariage et de la joie. Les six jarres de pierre peuvent avoir signification symbolique et renvoyer aux six jours de la création. Si le signe de la transformation de l’eau en vin est miraculeux, un autre élément est particulièrement étonnant. Nous sommes au cœur d’une noce et les mariés ne sont pas vraiment mentionnés. La mariée est totalement absente de l’histoire, ce qui est un comble, et le marié est évoqué comme en passant, en un comportement négligent peu glorieux ; « Tu as gardé le bon vin pour la fin, contrairement aux habitudes ! »
La fine pointe des noces de Cana n’est pas tant le miracle opéré par Jésus que ce qu’il signifie de l’accomplissement des Ecritures et de l’identité de Jésus lui-même. Si les deux premiers versets introduisent tous les personnages et leurs relations réciproques – le marié, le maître du repas, les serviteurs, les disciples, la mère de Jésus – tous ces personnages sont présentés soit en référence directe à Jésus : sa mère, ses disciples, ses frères, soit dans un rôle uniquement fonctionnel : les serviteurs, le maître du repas, le marié. Toute l’histoire met constamment Jésus au centre. Les disciples sont là, témoins admiratifs et réceptifs de tout ce qu’il fait: Jésus manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. Ce passage met véritablement Jésus au centre, lui qui transforme l’eau en vin délicieux.
Le véritable époux c’est lui. La véritable épouse c’est l’humanité tout entière bénéficiaire des promesses de Dieu. En Jésus Dieu vient épouser l’humanité et lui donner sa vie. Transformant l’eau en vin délicieux, Jésus est le véritable époux entrant dans la chambre nuptiale du monde, s’unissant à tout homme, lui donnant bonheur et joie. Nous sommes au cœur de la révélation selon Jean. Notre communion avec Jésus s’enracine dans une sorte de mariage, de contrat d’alliance, fête joyeuse appelée à durer .
La qualité exceptionnelle de ce vin dit que la fête messianique est engagée. Que désormais, le vin ne saurait plus manquer. « Ont-ils tout bu ? » s’interrogeait un Père de l’Eglise ? Et de répondre : « non, car de ce vin nous buvons et boirons encore !». L’excès dans le don – sept cent litres d’eau changés en vin – nous dit que les temps messianiques s’accomplissent en Jésus.

Par sa grâce qui prend vie en nous, Jésus fait de l’eau de nos tristesses, de nos errances, le vin qui donne la joie. Il entre dans la chambre nuptiale – l’intériorité, le fond de nos cœurs – pour nous donner la force et la joie du royaume. La croissance de sa vie en nous est pour nous consentement continuel à sa volonté !
Etre disciple c’est unir sa volonté à celle de Jésus. Non pas tant lutter avec sa volonté propre, que consentir toujours un peu plus à la sienne: Faites tout ce qu’il vous dira ! Que ferons-nous pour que comme Marie, notre vie soit consentement à la volonté du Fils ? Que ferons-nous pour honorer la vie du Fils en mettant la nôtre au diapason de la sienne ? Au seuil de l’année nouvelle, c’est la seule question qui importe. Alors seulement, par sa vie enracinée en nous, il pourra faire de l’eau de nos fatigues, de l’eau de nos tristesses, de nos errances, le vin délicieux qu’il veut pour nous et qui nous donne joie, constance et force.
Que son Esprit puisse trouve un accueil chaleureux dans nos vies, au plus profond de nos cœurs, tout au long de l’an nouveau.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Claudine Crapetto
Orgue
Myriam Clerc
Musique
Guy-Baptiste Jaccottet, flûte à bec