Écouter le culte :
La Suisse d’aujourd’hui parle plusieurs langues. Non seulement les quatre langues nationales mais aussi l’espagnol et le portugais, l’anglais et l’albanais, le malgache et le camerounais, le tamoul et le chinois et j’en passe des très belles. Cette Suisse multilingue est une réalité au milieu de laquelle nous vivons, que ce soit à l’école, dans la rue, dans le bus ou avec des voisins.
Cette réalité n’est pas facile à vivre pour tous. Peut grandir en nous l’impression de ne plus être chez soi. La diversité des cultures et des langues parlées autour de nous est parfois source d’incompréhension et de tensions.
Vous avez entendu l’histoire de la tour de Babel. Elle incarne l’orgueil des hommes qui bâtissent une tour très haute pour rivaliser de puissance avec Dieu. Il suscite alors des langues différentes parmi eux. La construction de la Tour se trouve stoppée non par manque de matériaux, mais par l’incapacité d’hommes de langues différentes à communiquer et à travailler ensemble.
Alors je pose la question : La Suisse d’aujourd’hui, avec toutes ses langues, est-elle une tour de Babel en devenir, est-elle destinée à connaître la confusion ?
La question mérite d’être posée. Et c’est bien de se la poser à Pentecôte.
Ce jour-là, comme à Babel, Dieu met des langues différentes dans la bouche des hommes. Mais cette fois son but n’est pas de semer la confusion. A la Pentecôte, le but est tout autre : il s’agit de rassembler les hommes autour de Jésus Christ, mort et ressuscité, Sauveur du monde.
Bien sûr, plusieurs de ceux qui entendent les croyants parler de Jésus en des langues étranges pensent qu’ils sont ivres. L’apôtre Pierre comprend ce qui est en train de se jouer et l’explique : « Pour nous les premiers croyants, Dieu ne parlait qu’hébreu et ne s’adressait qu’au seul peuple d’Israël. Mais non, Dieu parle la langue de chacun, quelle que soit son origine, sa culture, sa religion. »
En donnant aux croyants de parler toutes ces langues, l’Esprit Saint suscite une Eglise tournée vers les autres et vers le monde.
L’Esprit de Pentecôte crée des ponts pour que les hommes puissent se parler et s’écouter, comprendre l’autre et s’intéresser à ce qu’il vit.
Il donne aussi aux croyants la conviction que l’Evangile est une Bonne nouvelle dont la valeur est universelle, source de liberté et de réconciliation.
L’Esprit de Pentecôte pousse à partager ce que l’on a et ce que l’on vit, ce que l’on croit et ce que l’on espère. Il invite les croyants à témoigner de leur foi sans se laisser arrêter par les frontières des langues ou des cultures. Très vite ces frontières nous font croire que l’autre est trop différent pour s’intéresser à ce que l’on vit et croit.
Depuis la première Pentecôte, l’Esprit a toujours été à l’œuvre. Mais nous ne l’avons pas toujours accueilli. Trop souvent l’Eglise et les croyants se sont repliés sur eux-mêmes, perdant le sens du service et du témoignage.
Alors, à la question de tout à l’heure, je réponds oui. Si aujourd’hui et dans les années à venir, nous n’accueillons pas l’Esprit de Pentecôte de façon renouvelée, notre pays pourrait devenir une tour de Babel, un lieu de tensions et d’incompréhension mutuelle.
Pour éviter cela, il faut se poser la question : Pourquoi est-ce difficile de vivre notre vie chrétienne à la façon de Pentecôte, de façon ouverte et tournée vers les autres ? Pourquoi est-ce compliqué de témoigner de ce que nous croyons, de ce qui fortifie notre confiance ou nous console ?
Dans notre culture, la foi apparaît à beaucoup comme quelque chose de privé, que l’on partage tout au plus avec ses tout proches. Il y a quelques années, en parlant avec un homme, j’ai découvert qu’il lisait sa bible tous les jours. Mais il m’a dit que j’étais le seul à le savoir, que même sa femme ne le savait pas. Cet homme de bien trouvait dans la Parole de Dieu une nourriture quotidienne, mais il ne parlait à personne de ce qui le nourrissait. Il avait fait de sa foi quelque chose de secret.
Le peintre Vincent van Gogh, a longtemps eu très à cœur d’annoncer l’Evangile. « On peut avoir un feu ardent dans l’âme a-t-il dit, et cependant personne ne vient s’y réchauffer. Les passants ne voient qu’un ruban de fumée s’échappant de la cheminée et ils passent leur chemin. »
L’Esprit de Pentecôte vient nous aider à ouvrir la porte de nos vies aux passants. Il nous conduit à vivre notre foi de façon ouverte, à oser en parler avec liberté, dans le quotidien. Il ne s’agit pas d’en parler en faisant la leçon aux autres, mais comme des témoins qui partagent ce qu’ils vivent et ce qu’ils espèrent à cause de Jésus-Christ.
L’Esprit Saint qui a fait descendre des langues de feu sur les croyants, nous est donné pour libérer notre parole à propos de Dieu et de son œuvre dans le monde. Et pour parler de façon crédible de ce qu’il fait dans le monde, il me faut dire ce qu’il fait dans ma vie. Je salue ici la façon extraordinairement ouverte dont les parents de Marie que nous pleurons témoignent de ce qu’ils vivent. Merci à Antoine mon cher collègue pasteur et à sa femme Evelyne pour leur témoignage de foi si simple et si vrai. Je vois l’Esprit Saint à l’œuvre dans leur vie puisque c’est lui qui permet de témoigner dans un langage qui puisse être reçu par les autres.
J’insiste pour dire ici que pour que notre témoignage soit reçu, il faut éviter de faire la leçon aux autres. Que le Seigneur me pardonne si parfois j’ai été un donneur de leçon plus qu’un témoin ou un frère qui partage ce qu’il croit. Mais que le Seigneur me pardonne aussi les fois où j’ai gardé pour moi l’amour et la grâce de Dieu qui pourtant me font vivre, qui parfois me console et m’aide à me relever.
Bien sûr, on ne peut aider les autres à se poser les questions fondamentales de la vie, les questions de la foi que si on a fait ce chemin pour soi-même. L’Esprit nous est donné pour nous accompagner dans nos questions, nos doutes et nous conduire sur le chemin de la foi. Mais il nous est donné aussi comme interprète entre nous et ceux avec qui on pourrait partager notre cheminement, partager le Christ qui est chemin, vérité et vie. Alors, que l’Esprit Saint nous aide à saisir les préoccupations des gens autour de nous, à prendre en compte leurs espérances, à parler leur langage. C’est ça le miracle de la Pentecôte.
Bien sûr, il y a des fois où le témoignage ne passe pas. On a tous rencontré des gens qui témoignaient de leur foi avec une insistance gênante ou qui n’avaient aucun sens de l’écoute. Mais n’avons pas aussi et surtout rencontré des chrétiens qui ne témoignaient pas de l’espérance qui les habitait ?
Si vous vous sentez vraiment emprunté pour entrer dans cette dimension du témoignage, je vous fais une suggestion : Essayez de le vivre avec des gens qui ont grandi ailleurs qu’en Suisse. Vous découvrirez qu’ils sont souvent plus disposés que les Suisses de souche, à parler de la place de Dieu dans leur vie, de ce qu’ils croient et de ce qu’ils ne croient pas. Parmi ceux qui immigrent en Suisse, beaucoup sont chrétiens et seront heureux de se découvrir proches de vous par la foi. D’autres sont musulmans ou hindous, mais assez naturellement ouverts à parler de Dieu et de leurs convictions. Ces échanges sont importants, et je suis convaincu que le frein principal à ceux-ci ne se trouve pas chez les autres, mais dans ma réserve à moi.
Je me suis retrouvé récemment sur un pas de porte, prêt à frapper à la porte pour visiter une famille musulmane qui venait de vivre un drame. Mais je ne savais pas comment j’allais être reçu dans cette famille que je ne connaissais pas. Il y avait plein de chaussures éparpillées devant la porte. Qu’est-ce qu’un pasteur allait faire chez eux? Alors j’ai fait demi-tour, je suis ressorti de l’immeuble. Pour finalement me ressaisir, aller acheter des fleurs pour avoir quelque chose auquel m’accrocher, remonter, frapper à la porte de cette famille, et y être très bien accueilli. J’ai pu partager leur peine et leur désarroi dans le drame qu’ils vivaient. Je leur ai dit l’amour de Dieu notre Père et ils ont été heureux que je prie pour eux. Qu’est-ce qui m’a empêché de renoncer à cette visite ? Je crois que c’est l’Esprit Saint.
A plusieurs reprises, j’ai constaté que les gens sont touchés quand on leur propose d’appeler la bénédiction de Dieu sur eux. Parfois ils disent non. Ce n’est pas un souci. Cela ne doit pas nous empêcher de vivre ouvertement notre foi en un Dieu qui s’adresse à chacun, qui va chercher la 100ème brebis.
Nos caractères sont plus ou moins intro ou extravertis et Dieu sait cela. Pour quelqu’un d’introverti, échanger à ce propos est difficile. Témoigner de Jésus Christ demande effectivement de sortir un peu de soi-même. Mais personne ne devrait simplement renoncer à ce qui permet de goûter à des relations profondes et d’atteindre une certaine communion.
Chers frères et soeurs, il nous faut oser aller au contact de l’autre et parler de choses profondes. L’Esprit de la Pentecôte nous appelle à privilégier le partage et l’échange plutôt qu’une position de retrait, de repli sur soi et ce que l’on croit.
Dans notre paroisse de la Vallée de Joux, des gens d’une dizaine de langues maternelles différentes nous stimulent dans ce sens. Ils participent au culte ou à la vie d’un groupe de maison. Leurs langues maternelles vont de l’anglais au chinois, en passant par le hollandais, le portugais du Brésil, le malgache, l’angolais, le camerounais et parfois l’iranien ou le kosovar. C’est la Suisse d’aujourd’hui, il faut aussi que ce soit l’Eglise d’aujourd’hui. Je me réjouis que des gens qui ont grandi ailleurs puissent intégrer nos communautés paroissiales. Intégrer, signifie « se joindre à », mais ça signifie aussi « compléter », « rendre entier ». Merci à vous qui vivez en Suisse sans y être nés de compléter l’Eglise d’ici. Sans vous nous ne sommes pas au complet, le corps du Christ n’est pas entier.
Avec vous, nous développons notre liberté à partager ce qui est de la foi.
C’est donc un grand privilège que d’appartenir ensemble à l’Eglise universelle, de partager l’écoute de Dieu par la lecture de la bible, de partager le corps et le sang du Christ. Quand on peut vivre cela, c’est magnifique, on est à des kilomètres de la Tour de Babel.
En plus des immigrés qui rejoignent les paroisses d’ici, il y a de nombreuses communautés en Suisse romande qui célèbrent le Christ dans d’autres langues que le français. Je me réjouis de ce que ces églises témoignent de l’amour de Dieu auprès de leurs compatriotes. S’il y a une telle église dans votre quartier, allez la visiter un dimanche matin, même si vous n’en comprenez pas la langue. La fête de Pentecôte nous rappelle avec force qu’il ne faut pas que l’on s’ignore mais que l’on se parle. Il ne faut pas que l’on reste à distance les uns des autres, mais que l’on privilégie la rencontre, et cette communion que permet la foi partagée.
Mais peut-être qu’une question tourne en vous depuis un moment. Ce que je vous appelle à faire, n’est-ce pas le travail des pasteurs ?
Deux mots reviennent plusieurs fois dans le récit de la Pentecôte : le mot « tous » revient six fois et le mot « chacun » trois fois. Le texte nous dit : « Les croyants se trouvèrent tous remplis du Saint Esprit et une langue pareille à une flamme de feu vint se poser sur chacun d’eux. » Cette langue ne vient pas se poser sur certains seulement ou sur les seuls apôtres comme on pourrait le penser, mais sur tous. Parce que Dieu veut libérer le témoignage de tous les croyants, en tirant profit de nos langues et de nos cultures différentes, des familles et des milieux différents dans lesquels nous évoluons. Dieu veut que le Christ soit offert à chacun.
Dernière petite chose : à côté des aventures des apôtres, je lis aussi celles d’Astérix. Comme vous sûrement, j’aime cet irréductible village qui garde son identité et ne veut pas se fondre dans la masse de l’empire romain. Comment se terminent ces histoires ? Elles se terminent invariablement sur un festin. Dans Astérix chez les Helvètes, quelqu’un est invité à ce festin pour la première fois. Qui ? Vous avez une idée ? Je suis désolé pour notre organiste, ce n’est pas le barde Assurancetourix ; il est ficelé et bâillonné comme il se doit pour éviter qu’il ne joue et chante. Pour la première fois des aventures d’Astérix, un romain, un étranger par excellence, est invité au festin.
Puissions-nous en prendre de la graine. Chrétiens, nous avons un festin avec la
Sainte Cène, invitons les gens autour de nous à ce banquet du Christ, vivons notre foi de façon ouverte, parlons de ce que nous croyons. Nous contribuerons ainsi dans notre mesure à la venue du Royaume de Dieu, mais aussi à ce que la Suisse soit plus proche de la première Pentecôte que de la tour de Babel.
Amen