Quels sont les poèmes qui remettent debout aujourd’hui sur un chemin d’espérance ?

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Écouter le culte :

A…B…C…D…E…F…G…H…I…J…K…L…M…N…O…P…Q…R…S…T…U…V…W…X…Y…Z
Ces lettres, je les dépose devant toi, comme ce vieillard qui avait oublié les mots de sa prière. Et comme lui, ô Dieu, j’invoque ton Esprit.
Par ton Souffle de vie, choisis des lettres et crée des mots qui deviennent prière dans mon cœur et sur mes lèvres.
Par ton Souffle de vie, choisis des lettres et crée des mots qui fassent écho aux mots de la Bible offerts à notre méditation.
Par ton Souffle de vie, choisis des lettres et crée des mots qui ouvrent à ton mystère et conduisent sur le chemin ouvert par Jésus de Nazareth.
Pour la gloire de ton nom. Amen.

A…B…C…D…E…F…G…H…I…J…K…L…M…N…O…P…Q…R…S…T…U…V…W…X…Y…Z
Encore une fois, je convoque toutes les lettres. J’en ai besoin pour tisser des mots qui évoquent une souffrance et des mots qui suggèrent une espérance.

De A jusqu’à Z. Dans la langue d’écriture des évangiles, la première lettre s’appelle alpha et la dernière omega. « Je suis l’Alpha et l’Omega, le commencement et la fin » : parole du Christ présent avant nos premiers mots et qui demeurera au-delà de nos derniers mots.

De A jusqu’à Z. Dans cet éventail de lettres, les mots de culte sont prononcés en deux langues européennes :
- allemand, pour les mots chantés par des femmes et des hommes interprétant une cantate du répertoire européen ;
- français, pour les mots prononcés par trois hommes à la peau claire et âgés entre 55 et 60 ans.

Choix contestable de se contenter de paroles d’hommes pour faire mémoire de souffrances subies par des enfants, des femmes et des hommes dans la région des Grands Lacs en Afrique centrale.
Choix contestable de se contenter de langues européennes pour dire une communion avec des enfants, des femmes et des hommes dont la langue de vie n’est pas liée à ces langues pour eux étrangères.
Choix contestables, je le reconnais. Je continue pourtant, conscient de parler devant Celui qu’on nomme Dieu-Imana, Vivant avant nos premiers mots et qui demeurera au-delà de nos derniers mots.
Imana : ces lettres, on les retrouve souvent dans les noms portés par des gens dont le kinyarwanda est la langue de vie : Hakizimana-Dieu restaure la vie, Nyirahavugimana-Dieu a la parole ultime.

Le nom d’une personne évoque ce mystère de l’invisible qui nous porte avant notre premier souffle et nous portera encore au-delà de notre dernier souffle.

Oui, la vie est un don de Dieu et les humains n’en ont pas la maîtrise. Depuis des siècles, au Rwanda comme ailleurs en Afrique, des noms disent cela. Ils indiquent les chemins à parcourir : chemin de vie et de joie, Hakizimana-Dieu restaure la vie… chemins d’embûches et de questions accompagnés par Nyirahavugimana-Dieu a la parole ultime…

A propos de cette langue kinyarwanda ou du kirundi très proche, voici encore un élément lié à l’histoire. Les frontières géographiques du Rwanda et du Burundi ont été figées à la fin d’un siècle que nous appelons 19ème en Europe.
A cette époque déjà, les populations parlant kinyarwanda ou kirundi vivaient dans un territoire beaucoup plus vaste que celui désormais figé par des traits sur une carte, régions frontalières situées aujourd’hui au Congo, en Tanzanie et en Ouganda.

Quand on fixe ainsi des frontières, il y a de part et d’autre de ces frontières des gens qui parlent la même langue, qui partagent les mêmes convictions et entretiennent des liens familiaux. Quand on fixe ainsi des frontières, il y a aussi désormais des gens du dedans et des gens du dehors. Ce fait d’être du dedans ou du dehors n’est pas le résultat d’un choix mais d’une contrainte. On devine ce que cela peut engendrer de replis identitaires ou d’ouverture au dialogue, de protection de frontières, de volonté de retour ou d’expulsion, selon les conditions socio-économiques.

A propos d’une Terre promise quelque part au Moyen-Orient, la tradition biblique s’est construite sur de telles tensions entre gens du dedans et gens du dehors. Temps de l’Exode… temps de l’Exil… le croyant se souvient : « Mon père était un araméen errant… » . Peuple des croyants « étrangers et voyageurs sur la terre ». En tant que chrétiens, nous sommes héritiers de gens de l’exil, de gens du dehors, de gens de passage. D’ailleurs, à l’origine, le mot paroisse désigne un lieu d’accueil pour des gens de passage.
Travailler les récits bibliques de l’Exode ou du retour d’exil est un défi passionnant dans la région des Grands Lacs, tant ces récits sont proches d’une actualité de tensions et de souffrances, de rencontres et d’espérance.

Mes mots se rapprochent du Rwanda, et je commence à percevoir votre question : jusqu'où ira-t-il dans son évocation des événements qui, depuis trop longtemps, déchirent les gens de cette région ? Que dire ? si ce n’est qu’aucune souffrance n’est justifiable lorsqu’elle est imposée à des humains par d’autres humains. Les cris des gens qui souffrent ont la même intensité, quelle que soit l’origine des coups subis.
Mais je refuse de penser qu’une souffrance puisse être atténuée par des explications cherchant à montrer des symétries politiques de planifications génocidaires. Je n’irai pas plus loin sur cette question, mais je perçois les tensions qu’elle provoque, en moi comme en vous. Je veux maintenant souligner ce que nous vivons en ce lieu.
Nous célébrons un culte selon la tradition réformée. Nos mots s’inscrivent dans le registre de la prédication et de l’intercession :
- prédication qui nous confronte à une Parole venue d’ailleurs que de nous-mêmes.
- intercession où nous remettrons à Dieu des gens de toute la terre habitée, avec leurs souffrances et leur espérance d’aujourd’hui, en Centrafrique, en Syrie, au Liban, en Egypte, au Mexique, au Chili, au Congo, au Rwanda, en France, en Suisse…
Confrontation à une Parole : il est temps que nos mots soient mis en résonance avec les mots de l’apôtre Paul lorsqu’ils allaient ébranler les Corinthiens dans leurs convictions trop absolues.

Lecture de 1 Corinthiens 1,18-25

Le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu. Car il est écrit : « Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. »

Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde ? En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.

Les Juifs demandent des miracles et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

« Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. » Parole du Seigneur.
« Les Juifs demandent des miracles, les Grecs recherchent la sagesse… » : deux phrases pour évoquer les aspirations humaines les plus élevées :
- une confiance en Dieu aussi grande que possible ;
- un travail intellectuel de haute exigence.
Et voici une parole qui remet tout en question. Parole de la croix, folie pour les uns, scandale pour les autres. Dieu ne se donne pas à connaître là où nous l’attendons. Dieu ne se donne pas à connaître dans nos aspirations les plus élevées. Dieu se donne à connaître dans un messie crucifié. Folie, scandale.

Faut-il alors renoncer à nos aspirations humaines les plus élevées ? renoncer à toute spiritualité de la confiance ? renoncer au travail intellectuel de haute exigence ? Non ! La Bible n’aurait jamais été écrite si Dieu se contentait de détruire toute sagesse et d’anéantir toute intelligence.
Il ne s’agit pas de renoncer à nos aspirations. Il s’agit d’en montrer les limites. Dieu nous conteste le droit d’avoir totalement raison. Voilà ce que j’entends dans les mots de l’apôtre Paul. Que ce soit dans notre expérience spirituelle la plus nourrissante ou dans notre recherche intellectuelle la plus exigeante, aucune certitude absolue ne nous est permise.
Et pourtant, nous voulons si souvent avoir le dernier mot. Convaincre jusqu’au bout, tel est notre objectif. Mais nous n’apprécions pas que les autres aient le même objectif que nous. Si quelqu’un veut nous emmener jusqu’au bout de sa conviction, nous disons qu’avec lui le dialogue n’est plus possible : « Cet homme est trop carré, trop entier pour qu’on puisse discuter avec lui ! »
« Trop entier » voilà ce qu’il nous arrive de dire de quelqu’un. Et bien sûr, c’est l’autre qui est « trop entier ».
Or, dans la tradition biblique, particulièrement dans les mots de Paul lus ce matin, j’entends ceci : nous devenons de plus en plus vivants lorsque nous renonçons à l’illusion de vouloir être entiers. C’est un messie crucifié que nous avons à prêcher. Défi exigeant. Folie, scandale.

Souvent, nous nous sentons menacés dans notre intégrité, physique, spirituelle, familiale, culturelle ou nationale. Nous cédons alors à la tentation de nous protéger sous la carapace d’un fort sentiment d’appartenance. Nous marquons ainsi la frontière entre ce qui du dehors nous menace et ce qui du dedans nous rassure.

Qu’elle soit liée à une famille, à un clan, à une nation ou à une religion, une "appartenance-carapace" se construit en opposition aux "appartenances-carapaces" d’autres familles, clans, nations ou religions.
De plus, une appartenance-carapace insinue l’idée que toute identité se construit sur un seul modèle. A ce modèle unique, Dieu dit NON. Le messie a été crucifié par des modèles soi-disant uniques. Il a été tué par des mots.

Notre condition humaine n’est pas celle du mollusque qui a besoin d’une carapace. Elle est celle du vertébré, appelé à se tenir debout, même lorsqu’il a été mis à terre de la manière la plus abominable. Nous ne sommes pas invités à croire à un Dieu-carapace qui nous protégerait de toute agression extérieure. Nous prêchons un messie crucifié, celui qui – tout au bout de la mort – a été remis debout.

C’est donc à notre colonne vertébrale que nous avons à réfléchir, non à notre carapace.
Lorsque nous sommes debout, structurés par une colonne vertébrale et des muscles, notre part la plus sensible, c’est celle qui nous relie aux autres :
- notre peau qui ressent des caresses ou des coups ;
- nos yeux qui voient la diversité de l’humanité et les atrocités dont elle peut être capable ;
- nos oreilles qui entendent les langues et musiques du monde, aussi bien que des cris de détresse ;
- notre nez qui sent des odeurs de vie ou de mort ;
- notre palais qui déguste des mets doux ou épicés, mais aussi parfois des aliments fades ou écœurants.

Notre condition humaine ne s’exprime pas au travers de discours idéologiques qui veulent tout maîtriser de A jusqu’à Z. Notre condition humaine s’exprime au travers de poèmes, où toutes les lettres sont convoquées pour suggérer que nous n’arrivons pas à tout dire. Tel ce poème biblique d’un homme torturé. En exprimant sa souffrance jusqu’au bout, il retrouve peu à peu des mots qui évoquent une espérance :

Lamentations 3,1ss

Je suis l’homme qui a connu la misère sous les coups furieux du Seigneur. Il m’a poussé devant lui, il m’a fait marcher non dans la lumière mais dans le noir.
C’est sur moi seul qu’il continue à porter la main tous les jours. Il m’a fait dépérir de la tête aux pieds, il m’a brisé les os. Il a dressé devant moi comme un mur d’amertume et de peine. Il m’a relégué dans l’obscurité comme les morts du passé.
J’ai beau crier au secours, il fait obstacle à ma prière. Il m’a rendu la vie impossible, il m’a paralysé et laissé sans voix. Il a tendu son arc et m’a pris pour cible.
Il m’a privé d’une vie paisible, j’ai oublié ce qu’est le bonheur. Je lui dis : je n’ai plus d’avenir, je n’attends plus rien du Seigneur.
C’est un amer poison pour moi de penser à ma misère et à mon déracinement. Je n’en peux rien oublier et je reste accablé.
Mais voici ce que je veux me rappeler, voici ma raison d’espérer : les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées. Il n’est pas au bout de son amour.

« Dieu m’a fait dépérir de la tête aux pieds…Il m’a privé d’une vie paisible… il a dressé devant moi un mur d’amertume et de peine… »
Ecrits en hébreu et lus en français, ces mots peuvent être criés en yiddish, en arabe, en arménien, en kinyarwanda, en quelle langue encore ?
Criés par un homme torturé, ces mots peuvent être criés par une femme violée, par un enfant jeté sur un tas de cadavres, par une personne atteinte d’un cancer, par quelle victime encore ?

Violence des mots. Mais non des actes. Le poète ose évoquer Dieu comme celui qui rend la vie impossible à ses enfants. Forger des mots qui suggèrent une souffrance indicible, c’est un signe de dignité humaine.

Que dire, lorsque la guerre et l’oppression frappent non seulement des dirigeants responsables, mais aussi des gens qui n’y peuvent pas grand chose ? Comment parler de Dieu dans une telle situation ? Se taire est aussi intolérable que vouloir expliquer. C’est donc aux artistes d’exprimer la condition humaine et le mystère de Dieu.
Quand Dieu lui-même semble bafouer la dignité des humains, le poète biblique travaille une parole où se tissent à la fois le désarroi le plus profond et la recherche d’une espérance qui nous relève.

Le livre biblique des Lamentations est constitué de 5 poèmes. Chacune des 22 strophes de ces cinq poèmes commence par une des 22 lettres de l’alphabet hébreu. Le poète a convoqué toutes les lettres, prises et reprises pour évoquer le chemin parcouru et reconnaître son incapacité à tout en dire.

Désarroi le plus profond. Révolte contre Dieu. Puis, tout au bout de ce chemin, lorsqu’il n’y a plus que le silence du désespoir, des mots naissent sur ses lèvres : « Les bontés du Seigneur ne sont pas épuisées. Il n’est pas au bout de son amour ! »
Langage doucereux de la version française. En hébreu, il est dit que l’utérus de Dieu se renouvelle chaque matin, ou mieux encore « les utérus de Dieu se renouvellent chaque matin ». Vous mes sœurs, vous comprenez ces mots mieux que moi : Dieu est une mère qui veut nous voir vivre debout.

Compagnes et compagnons de vie et de foi, le Rwanda sera à la une des médias ces prochaines semaines. Nous risquons de subir trop d’images violentes et trop d’explications sentencieuses.
Merci de résister aux discours idéologiques qui prétendent tout savoir, de A jusqu’à Z. Ces discours enferment dans des carapaces des personnes dont l’existence ne sera plus jamais entière. Souvenons-nous que le messie a été crucifié par des discours. Vivre, c’est renoncer à l’illusion de vouloir être entiers, c’est renoncer aux mots qui tuent.
Merci d’être attentifs aux artistes : leurs poèmes, leurs musiques, leurs dessins ou leurs photographies n’ont pas la prétention de tout dire, ils ouvrent des espaces de silence et de dialogue.

Partager nos récits de souffrance peut nous remettre sur le chemin de la confiance. Dieu est une mère qui veut nous voir vivre debout.

Amen.

Culte célébré à l’occasion et en mémoire du génocide des Tutsis au Rwanda.

Ce temps de culte sera aussi l’occasion de se situer face à toutes les menaces d’extermination qui planent sur la Centrafrique, le Congo et la Syrie, entre autres.

Au Rwanda il y a 20 ans, en Syrie aujourd’hui, ailleurs encore, hier, aujourd’hui et peut-être demain, des hommes et des femmes sont mis à terre par la violence d’autres humains. Événements lointains qui peuvent devenir très proches lorsque l'on est touché dans son histoire personnelle et que l'on trébuche à son tour sur le chemin de la vie. Moments où l'on a envie de crier avec d’autres les mots du Psalmiste : « Pour mon pain, pour mon breuvage, j’ai des larmes plein les yeux. A plaisir chacun m’outrage, me disant : ″Où est ton Dieu ?″ » (Psaume 42).
Dans ces lieux lointains ou proches, des hommes et des femmes se remettent – ou sont remis ! – debout : comment ? pourquoi ? pour quoi ?
« Comment ? » c’est aussi le premier mot du livre biblique des Lamentations : 5 poèmes qui vont jusqu’au bout dans l’expression de la souffrance, dans l’attente que renaisse une espérance…
Quels sont les poèmes qui remettent debout aujourd’hui sur un chemin d'espérance ?Le pasteur Jacques Küng a été invité à préparer la prédication de ce culte, car il fait partie des gens qui ont vécu une longue histoire avec le Rwanda. Avec sa femme Hélène, pasteure, et leurs enfants, ils y ont vécu de 1980 à 1986, puis de 1995 à 1996. C'est là qu'ils ont tous deux reçus la consécration pastorale; c'était en 1982 au sein de l’Église presbytérienne au Rwanda ; Ils ont participé à la formation théologique de pasteurs, avant et après le génocide de 1994. Et souvent, à propos de la situation de ce pays – comme de celle d’autres pays -, le pasteur Jacques Küng affirme: "Je comprends de mieux en mieux pourquoi je comprends de moins en moins…"

Détails

Avec la participation de
André Joly
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique
Choeur de la Cathédrale, sous la direction de Jean-Louis Dos Ghali