Écouter le culte :
Il est où l’ascenseur que Jésus a pris ?
Lorsque ma petite fille m’a posé cette question j’ai mis du temps à comprendre qu’elle me parlait de l’Ascension. Alors comment lui expliquer ? Je me suis souvenu des images de mon enfance où l’on voyait, en haut, un Jésus un peu vaporeux sur un petit nuage et, en bas, les disciples, béats et stupéfaits. Dans les images de l’histoire de l’église c’est encore la même chose : Jésus en haut, disciples en bas, un sorte de gouffre vertical qui les sépare.
Déjà à l’époque où Luc écrit son évangile, il y avait plein d’histoires et de légendes de grandes figures comme Romulus le co-fondateur de Rome, Moïse, le chef charismatique des hébreux, Henoch, le septième patriarche depuis Adam, ou Esaïe, premier d’entre les prophètes, qui sont montées plus ou moins triomphalement aux cieux, c’est à dire symboliquement, le domaine divin.
L’Ascension de Jésus n’a donc rien d’exceptionnel aux yeux des lecteurs de l’évangéliste. Par contre une différence a du leur sauter aux yeux : celui qui est élevé ici à ce rang, ce Jésus, ne ressemble en rien aux grandes figures auréolées de gloire et de magnificence, puisqu’il porte les stigmates de la torture et de la mise à mort la plus honteuse et la plus abjecte qui soit.
Pour l’Eglise cette fête marque les quarante jours qui séparent Pâques de cet adieu un peu mystérieux qu’on appelle l’Ascension. Quarante, comme les jours de la tentation au désert, comme les jours et les nuits de pluie lors du déluge, comme les années de l’Exode, comme les années du règne de David, comme les jours et les nuits de la marche d’Elie …
Dans la Bible, le nombre 40 c’est le nombre de l'attente, de la préparation et de l'épreuve. Il est associé à la maturité, la naissance et la vie. Souvent ce chiffre 40 indique un nouveau chapitre de l'histoire de Dieu avec nous.
Attente … préparation … épreuve … à l’Ascension une page se tourne. Désormais il faut marcher seul, sans lui. Désormais il faut se repérer, orienter ses pas, faire ses choix, oser sa vie avec la seule assurance d’une parole, d’une promesse : Je serai avec vous jusqu’à la fin des temps. Je serai avec vous …
Oui mais où, et comment savoir, comment en avoir la certitude, sûre à cent pourcent ? C’était déjà la question de Thomas, le disciple qui nous ressemble tant, et c’est encore nôtre quête aujourd’hui.
Mais imaginez seulement un instant ce qui se serait passé si le ressuscité était resté parmi nous, ne serait pas monté auprès de Dieu… Nous serions alors réduits au rôle de partisans et d’adorateurs béats, des marionnettes sans liberté, privés de choix et absents dans la quête de Dieu et de soi.
Voilà pourquoi à l’ascension Dieu nous fait cadeau d’une absence … en ce sens que c’est une libération de la personne de Jésus au profit de son œuvre, sa parole et sa vie …
Les messagers de Dieu l’ont bien fait comprendre aux disciples. Qu’est- ce que vous avez à regarder en haut … ?
Pour aller à la rencontre des autres ce n’est pas là haut que ça se passe, mais ici en bas, sur notre terre. Merci messieurs les messagers en blanc de nous avoir rappelé cela.
Et alors, curieusement, là où on pourrait s’attendre à des regrets ou du désarroi une chose étonne : pour les disciples, ce départ, cette privation d’une preuve évidente, n’a apparemment rien de triste ou de désolant; au contraire ! Ils sont remplis d’une grande joie.
Qu’est- ce que nous avons à regarder en haut … ?
Comme pour les disciples, cette question se pose aussi à nous. C’est autour de nous et en nous qu’il faut chercher le visage du ressuscité. A l’Ascension les portes s’ouvrent désormais tout grand au monde pour une quête de Dieu dans le quotidien de nos vies.
Pour aller à la rencontre des autres ce n’est pas là haut que ça se passe, mais ici en bas, sur notre terre.
Et dans ce brouhaha, dans ce monde qui parfois nous assaille, il nous est donné, il nous est possible, de marcher comme Elie, avec tout notre fardeau et nos peines, nos attentes déçus et nos envies d’en finir. Marcher comme Elie et affronter le désert et l’épreuve, le vent, le feu et le tremblement de terre qui secouent et balafrent nos existences. Marcher comme Elie en rencontrer sur ce chemin un messager, un ami, un ange avec une galette cuite et un pot d'eau, pour nous encourager, nous remettre en route.
Marcher comme Elie et découvrir, saisir, recevoir l’immense présence dans le bruit d’un souffle léger, le rire d’un enfant, l’envol d’un oiseau, le blé qui mûrit.
C’est autour de nous et en nous qu’il faut chercher les signes de la bienveillance de Dieu.
En nous rendant capable de générosité et de compassion le créateur a écrit les plus belles lignes de notre vie.
En nous dotant du pouvoir d’aimer il donne sens à notre existence. En inscrivant au plus profond de nous le désir de créer et l’émotion du bonheur, il nous ouvre à l’accomplissement.
C’est autour de nous et en nous qu’il faut chercher les moments de grâce de l’Esprit apaisant et confiant, cette intime conviction d’être aimé de Dieu sans commune mesure.
C’est ça l’Ascension : désormais il faut chercher autour de nous et en nous. Jésus est monté au ciel. Oui mais pas n’importe quel ciel !
Jésus « monte auprès de Dieu » dit l’évangile. Et c’est donc le ciel de Dieu. Pas le ciel des avions et des fusées, pas le ciel des nuages et des éclairs de tonnerre, pas le ciel des oiseaux et des feuilles qui volent au vent.
Parlant de sa maman qui venait de décéder quelques semaines plus tôt, un enfant m’a dit «maintenant elle est au ciel de Dieu».
Et lorsque je lui ai demandé comment c’était ce « ciel de Dieu », il m’a répondu (avec l’air de dire que j’étais un peu bête de poser cette question) : « Il y a tellement de lumière, qu’on y voit plus que ça ».
Amen