Écouter le culte :
Chers Frères et Soeurs en Christ,
De temps en temps, je vais en Afrique. La dernière fois, c’était en novembre 2014, un voyage au Zimbabwe. À Harare, dans la capitale du pays, j’ai fait un séminaire avec d’autres pasteurs et des étudiants en théologie.
Nous venions tous de différentes dénominations chrétiennes pour travailler sur des textes bibliques. Il y avait parmi nous des méthodistes, des presbytériennes, des catholiques, des réformés, et aussi quelques membres des églises pentecôtistes - très charismatiques.
Au début, notre échange a été plutôt une confrontation par rapport à nos positions théologiques, nos approches bibliques divergentes. Les différences, ainsi que les antagonismes, étaient nets, renforcés encore par le fait que c’était une rencontre interculturelle et que des sensibilités africaines et européennes entraient en jeu.
Puis, un changement s’est produit, peut-être parce que nous commencions à parler de nos expériences personnelles par rapport aux textes bibliques et à leur impact dans notre vie. Nous échangions sur nos expériences positives, mais aussi sur les difficiles. Nous parlions de notre conviction, de notre foi, mais aussi de nos questions, de nos doutes. Nous étions touchés par le témoignage des uns et des autres, nous nous écoutions…
Je me souviens qu’une atmosphère très particulière s’est alors créée. C’était comme si un espace s’était ouvert parmi nous - autour de nous -, un espace dans lequel chacune/ chacun avait sa place, tout en restant différent. C’était un moment où on était devenu une unité, non pas par une opinion commune, mais parce qu’on se reconnaissait mutuellement dans un même espace de vie.
L’espace qui s’était créé, là parmi nous, je le ressentais comme un espace sacré, un espace de Dieu, un espace d’amour, dans lequel une nouvelle qualité de rencontre devenait possible.
Cette expérience d’un espace qui s’ouvre - à la rencontre, à la vie - m’a fait penser à un récit biblique dans lequel un phénomène semblable se produit, d’une façon encore beaucoup plus existentielle. C’est le récit de Pâques que nous venons d’entendre (Jean 20, 1-2 et 11-18). C’est l’histoire d’un tombeau, d’un espace fermé, bloqué, qui - par une étonnante transformation - devient tombeau vide, tombeau ouvert, espace libre pour une nouvelle qualité de rencontre.
Récapitulons l’histoire : quand, le matin de Pâques, Marie de Magdala va au tombeau, c’est l’espace de sa propre vie qui s’est complètement fermé. Elle n’a plus de perspective, elle est habitée par le désespoir ; aller voir le tombeau de Jésus… c’est comme aller voir dans un miroir ce qu’est devenue sa propre réalité.
Mais Marie trouve le tombeau ouvert ! Vide ! Un espace inattendu s’est créé, qui d’abord - il faut le dire - la jette encore plus dans le désarroi. Elle croit avoir perdu son Jésus « mort », son corps qui est resté son seul vis-à-vis.
Marie se penche, en pleurant, vers le tombeau vide - un trou noir encore pour elle - et c’est là que l’espace du tombeau commence à se transformer pour elle. Il s’ouvre. Il devient espace de dialogue. Des anges se mettent à lui parler en lui posant des questions. Marie peut dire ce qu’elle a sur le coeur. Le tombeau, l’espace sombre commence à s’illuminer.
Marie trouve alors la force, la liberté intérieure de se retourner, de se détourner de l’espace fermé de la mort, pour se tourner vers un espace ouvert à nouveau à la vie. Elle cherche encore le corps de celui qu’elle a perdu. Croyant que c’est le jardinier, elle ne reconnaît pas la personne vivante qui vient à sa rencontre, mais quand le ressuscité l’appelle par son nom : Marie ! Elle se rend compte : “l’autre“, celui qui est vivant - tout en étant d’abord un étranger - est en face d’elle ! Un espace nouveau de rencontre, d’amour s’ouvre autour d’elle.
Et encore une fois, l’espace s’agrandit autour de Marie. Elle est envoyée par le ressuscité pour aller vers les autres, pour leur dire ce qu’elle a vécu, pour dire : nous sommes tous dans l’espace de Dieu, du Dieu vivant ! La mort ne nous enferme pas. Celui qui est vivant nous attend pour nous rencontrer à nouveau.
Chers frères et sœurs, il est bien sûr difficile, même impossible, d’exprimer avec des paroles cette transformation pascale d’un tombeau - espace fermé par la mort - en espace ouvert - possibilité d’une nouvelle rencontre. D’autant plus qu’il s’agit d’une vérité double: c’est un événement extérieur que la Bible décrit, c’est en même temps une expérience intérieure que Marie vit, dans son cheminement de deuil et de retour à la vie. Mais ce que nous pouvons retenir, c’est qu’au cœur même de notre foi chrétienne, dans les récits de Pâques, nous trouvons une histoire d’espace fermé qui s’ouvre. Ce moment fondateur de notre foi, entièrement centré sur le Christ, est aussi un moment d’ouverture vers celui ou celle qui vient à notre rencontre, dans un espace nouveau de vie.
Ceci peut se traduire dans nos réalités toutes quotidiennes. Vivre dans la réalité de Pâques peut vouloir dire : ne pas s’enfermer sur soi-même, ne pas fermer l’espace autour de nous, mais croire, donner place à la présence de l’autre dans un espace donné par Dieu.
Essayons d’adopter cette attitude pascale, notamment quand nous sommes désespérés ou quand nous avons des divergences, des conflits avec l’autre, quand la situation est bloquée : imaginer qu’il y a un espace donné par Dieu qui s’ouvre à moi, mais aussi à l’autre, un espace d’amour, qui nous entoure et nous permet de nouvelles possibilités de rencontre.
À ma petite échelle, j’ai vécu un tel moment d’ouverture dans ce séminaire au Zimbabwe dont je parlais au début. Un espace d’amour s’était créé autour de nous. Nos relations en étaient transformées.
Cette notion de l’espace qui s’ouvre a aussi des implications tout à fait concrètes.
Je prends un exemple d’actualité ; j’entends souvent dire ces derniers temps : « Nous devons, en tant que chrétiens, faire bloc face à l’Islam ». Autrement dit : « Nous devons fermer les espaces. Nous affirmer nous-mêmes et repousser au maximum les autres dans l’invisibilité ». Mais l’événement pascal nous dit plutôt : « Allez, en tant que chrétiens, à la rencontre de l’autre. Ouvrez, partagez les espaces qui vous sont donnés par Dieu. »
Il y a quelques jours, j’ai lu dans le journal qu’à l’Université de Fribourg, à la faculté de théologie, on est en train d’ouvrir un centre pour la formation des Imams qui vivent en Suisse. Ce centre sera aussi un lieu de dialogue entre la théologie musulmane et la théologie chrétienne. L’initiative est fortement controversée par certaines tendances politiques - encore plus depuis les événements de Paris. On parle d’islamisation de l’université.
À nous alors de discerner quelle attitude face à ce projet traduit une attitude pascale…
On trouve aussi des exemples concrets concernant les espaces - les ouvrir ou les fermer ? - à l’intérieur de nos communautés chrétiennes.
Dans notre ville de Zurich, nous avons depuis quelques années un centre pour les églises migrantes. C’est bien. Les églises réformées de la ville ont donné une place, un espace à ces nouvelles communautés. L’emplacement est situé dans la périphérie de la ville. Pourrions-nous aussi imaginer qu’un espace s’ouvre pour ces communautés au centre, par exemple dans une des grandes églises historiques, prestigieuses – qui par ailleurs ont parfois du mal à se remplir ?
Ouvrir les espaces. Au fond, nous avons un seul espace commun qui nous est donné, à tous les êtres humains, à toutes les créatures : c’est notre terre. Là aussi, la question se pose : savons-nous ouvrir, partager, préserver cet espace pour nous et les autres, ou prenons-nous le maximum pour nous et notre génération ?
Je termine avec une anecdote qui transpose la question d’espace - fermé à certains ou ouvert à tous ? - encore à un autre niveau : Une femme médecin, chrétienne, qui s’appelle Ruth Pfau, a longtemps travaillé au Pakistan parmi des gens musulmans. Un jour, un vieux monsieur vient dans son hôpital. Il y reste longtemps. Un attachement se crée entre les deux. Quand le vieux monsieur sent qu’il va mourir, il supplie la doctoresse de se convertir et de devenir musulmane. « Mais pourquoi ? » demande-t-elle, « on est pourtant déjà de bons amis ». « Mais on ne sera pas dans le même paradis », dit le monsieur, « et c’est bien dommage. » Ruth Pfau, la doctoresse, lui répond : « Mais vous ne pensez pas qu’au ciel au moins nous serons tous dans un même lieu et espace ? L’espace d’amour, de Dieu. J’en suis certaine, nous allons nous y rencontrer ! »
Amen.