Écouter le culte :
Elle glana dans le champ jusqu’au soir et battit ce qu’elle avait glané, il y eut environ un épha d’orge... (Ruth 2,17-23)
Elle pense à un champ et elle l’acquiert ; du fruit de ses mains, elle plante une vigne. Elle ceint ses reins de force, elle affermit ses bras… Donnez-lui du fruit de ses mains, qu’aux portes de la ville, ses œuvres la louent ! (Proverbes 31, 16-17 et 31)
De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, de leurs lances des serpes, une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre et on n’apprendra plus la guerre. (Michée 4, 3-4)
Un homme, une femme se font face, dans cette nature riche en couleurs, en paysages, en fruits - et ici en Valais, ce n’est pas ce qui manque ! Ils sont bien campés sur leurs jambes et donnent une image de sécurité, de plénitude, de joie simple. Hans Erni a voulu représenter les paysans de la plaine et de la montagne.
La femme a entre ses mains le produit de son travail, une belle corbeille de fruits, elle a la tête haute et la fierté de savoir que sa famille sera bien nourrie.
Son foulard noué nous rappelle l’image des femmes des kibboutz.
En face d’elle, son mari sans doute : Booz, qui l’a accueillie dans sa famille.
Il a dans sa main sa faux et le covet (qui contient la pierre à aiguiser. Il faut beau, prend ton covet et ta faux).
Nous avons l’habitude d’associer la faux à l’image de la mort, mais ici, elle est signe de vie, elle coupera le blé et le blé nous donnera le pain, le pain de vie.
Derrière lui, au fond, les montagnes, les glaciers, l’eau si précieuse - et qui devient rare -qui en descendra et fera repartir son cycle : printemps, pluie, fonte des neiges, ruisseaux, rivières, la mer, les nuages, etc.
On pourrait les entendre chanter : « C’est si simple d’aimer », « la Mi-été », « Le chant du sol natal » : Dalcroze, Juste Olivier, l’Abbé Bovet.
Nous avons commencé notre culte avec des mélodies populaires, un texte bien de chez nous, et on peut remercier Hans Erni d’avoir su exprimer d’une manière si précise cette nature qui nous entoure, les fruits, les montagnes, les glaciers, le ruisseau sous les pieds de la jeune femme, la promesse des récoltes abondantes avec la faux, le char qui est prêt à partir pour les foins ou les récoltes.
Les amoureux s’appellent et se retrouvent : l’hiver a passé, le printemps fait remonter la sève dans la nature et on célèbre l’amour et la vie.
Les deux vitraux du couple nous appellent donc à les contempler, mais aussi à chercher leur signification au-delà de la première impression qu’ils nous transmettent.
Pour Hans Erni, la figure du couple est souvent représentée, même à un âge plus avancé, et l’être humain est au centre de cette nature qu’il aime tellement représenter. Mais pour lui, en plus, la nature et sa protection sont des thèmes absolument essentiels : l’amour pour la nature, la responsabilité de l’homme dans sa destruction et pour sa conservation, le cycle de l’eau, indispensable à la vie, cette eau qui nous vient des glaciers.
Au-delà de l’image des vitraux, il nous donc faut arriver à la conscience de voir que pour Hans Erni, il y a un message de solidarité avec tous les paysans de la terre.
Une des premières images qui me vient à l’esprit, quand je repense à l’œuvre de Hans Erni, c’est un tronc d’arbre coupé qui a l’air de crier : arrêtez le massacre !
Il y a bien une trentaine d’années qu’on a commencé à parler de la mort des forêts. Les écologistes étaient vus comme des prophètes de malheur.
Mais on parle aussi depuis longtemps de retrouver nos racines, de redécouvrir le plaisir de jardiner, de consommer des produits de saison, de proximité, de respecter les cycles des saisons.
Dieu a placé l’homme et la femme dans le jardin pour prendre en charge la terre, la cultiver, la rendre habitable, mais très vite il faudra quitter ce Paradis pour une terre qui ne produira que par la force de la sueur et des muscles, et qui sera une terre nourricière, mais au prix d’un travail énorme sans cesse recommencé et toujours menacé par les désastres.
Le mythe du Paradis perdu nous habite et nous rêvons sans cesse d’y retourner ou d’en retrouver des bribes : lorsque des catalogues de vacances proposent des lunes de miel sur des plages vierges au bord des océans limpides, ou bien dans des stations de montagnes à la neige immaculée.
La nature est bien présente dans la Bible, dans les Psaumes, par exemple le 65, 10-14 : « tu t’occupes de la terre et lui donnes l’abondance, tu la combles de richesses, le canal de Dieu est plein d’eau ; tu prépares le blé (…) Tu couronnes l’année de biens (...) »
Bien que l’être humain ait été « chassé » de ce Paradis, il ne reste pas sans la protection de Dieu, qui s’occupe de lui et lui donne à manger et à boire, de génération en génération.
Le judaïsme a de nombreuses bénédictions à prononcer au cours de la journée sur les aliments qui seront pris : les fruits, le vin, le pain, car il sait à quel point il est difficile de le produire. Le livre de Ruth commence justement lors d’un épisode de famine (fréquent à l’époque) qui oblige une famille à quitter son pays pour se réfugier dans un autre, et lorsque la famine se termine, il faut tout recommencer dans le pays d’origine, qui n’a pas de structure d’accueil pour les « revenants » qui doivent s’ingénier à trouver leur pitance.
Par sa ténacité, Ruth se fait remarquer des serviteurs de Booz, qui lui disent leur admiration pour cette jeune femme veuve qui a sa belle-mère à sa charge et cherche à gagner à manger pour les deux. Ruth rentre donc avec des gerbes en plus et finira par épouser Booz, et elle, l’étrangère, deviendra l’ancêtre de David et figure en bonne place dans la généalogie de Jésus dans l’évangile de Matthieu.
Mais cette femme peut aussi être celle des Proverbes, une femme exemplaire, active, qui travaille dans sa maison et au-dehors, voit un champ, le cultive, reçoit le produit de son travail, est félicitée par son mari et ses fils.
Là aussi, on peut mentionner les nombreuses campagnes de solidarité avec des femmes paysannes d’Afrique, d’Amérique du Sud, de l’Asie, qui reçoivent des microcrédits, car ainsi elles deviennent responsables de leurs familles et peuvent produire pour que leurs enfants aient accès à l’éducation, à la santé, puissent avoir un avenir meilleur pour eux et leur pays. Pourquoi des microcrédits pour les femmes ? Parce qu’elles, elles les remboursent, tandis que trop souvent leurs maris les dépensent en boissons et restent à ne rien faire.
Il y a aujourd’hui sur cette terre des millions de paysans sans terre, il y a aussi des terrains immenses sans personne pour les cultiver. Il y a des mouvements indigènes qui revendiquent la protection de la terre, la terre mère, Pacha Mama, Gaia, il y a partout dans le monde des milliers de coopérants qui travaillent pour enseigner comment produire sans nuire.
Comme chrétiens, on nous sollicite souvent pour appuyer des projets de vie, de culture, de solidarité très loin de chez nous, mais en fait on découvre grâce à ces projets que là où on arrête de consommer des produits qui viennent de l’injustice, de la pollution, d’un nouveau mode d’esclavage, on contribue à rompre une fatalité, celle de la misère, de la déforestation, de l’épuisement des sols cultivés de manière trop intensive.
Comme chrétiens du XXIe siècle, nous sommes appelés une fois de plus à prendre conscience de notre propre responsabilité dans et pour la création que nous voulons laisser à nos enfants et petits-enfants.
Il n’y a pas de « planète B » pour le moment, et dans ces vitraux il faut aussi nous voir nous-mêmes et nous poser la question de notre engagement pour un monde plus juste.
Et nous finissons avec cet espoir du prophète Michée qui annonce que les épées seront transformées en faux, que chacun et chacune pourra habiter en paix sous sa vigne et son figuier.
Alors, quand on parle du Valais et de sa grande richesse agricole, n’oublions pas qu’il est au milieu de l’Europe, et que plus ses jeunes paysans et agriculteurs seront formés, plus il y aura une conscience de préservation et d’exploitation juste de notre environnement.
Amen.