Écouter le culte :
Y a-t-il plusieurs Dieu(x) unique(s) ? C’est donc l’une des réflexions qui nous est proposée en marge du 500e anniversaire de la Réforme. Et franchement, je me demande ce qui a traversé l’esprit de ceux qui ont rédigé cette question. Parce que de deux choses l’une : ou bien il n’y en a qu’un de Dieu ; et alors, pas besoin de mettre des –x- et des –s- entre parenthèses à la fin des mots. Ou bien, il y en a plusieurs ; et donc, il n’y a pas de Dieu unique. Ça paraît logique…
Elle est mal fichue cette question. Et j’ai beau la tourner dans tous les sens, ça ne fait pas tilt sauf, sauf, si ses rédacteurs ont en tête une autre question : le Dieu des chrétiens est-il le même que celui des juifs, des musulmans, voire d’autres religions encore ? N’y aurait-il qu’un seul Dieu, mais des hommes qui le prient et le comprennent différemment ? Là, on pourrait la trouver intéressante, cette question. En tout cas pour un débat entre théologiens. Dieu, Yahvé, Allah, Vishnu, Tor et j’en passe, est-ce le même ou pas ? Pour un débat, pourquoi pas ? Mais le problème, c’est que personne ne peut y répondre à cette question. Il faudrait, pour cela, être à la place de Dieu, ou mieux, être au-dessus de lui. Donc, au final, même en la reformulant, cette question de « plusieurs dieux uniques » reste bizarre. J’ai même envie de dire qu’elle est non pertinente.
Elle est non pertinente parce que la question n’est pas de savoir s’il y a un seul Dieu pour tous les humains, de tous les temps, de toutes les traditions, de toutes les cultures... De toute façon, on ne peut pas savoir. La question fondamentale, c’est celle de la coexistence entre les hommes et leur Dieu.
Quels liens les hommes tissent-ils avec leur Dieu ? Quels liens est-ce que vous tissez avec Dieu ? Et comment est-ce que votre relation à Dieu influence votre relation aux autres ?
Il est là, l’enjeu de toute foi, de toute croyance, de toute religion. Comment la relation qui m’unit à Dieu imprègne-t-elle mon quotidien ? Qu’est-ce qu’elle me donne à faire concrètement ? Comment est-ce qu’elle m’invite à regarder la vie et les gens autour de moi ?
Le regard sur les autres… en plus quand ils ne pensent pas comme nous… jamais simple, mais franchement pas évident, quand on est monothéiste, qu’on n’a qu’un seul Dieu comme les juifs, les chrétiens ou les musulmans. Parce que, vous le savez bien, le monothéisme a toujours été tenté par l’exclusion ; celle des autres dieux, celle du Dieu des autres, celle de ceux qui pensent et prient autrement.
Quels liens tissez-vous avec Dieu ? Comment cette relation au Tout-Autre impacte-t-elle votre relation aux autres ? Voilà la question à se poser.
Le Dieu que je confesse a un jour pris visage d’homme. Il a quitté ses hauts lieux. Il a osé un face-à-face avec l’humanité. Paradoxalement, et c’est bouleversant, grâce à son incarnation ; grâce à Jésus, grâce à sa vie, à ses paroles, à ses actes, je sais aujourd’hui que chacun de nos visages rayonne d’un éclat divin. Il y a un zeste de Dieu au cœur de toutes celles et ceux qui le confessent. Oui, je le crois, Dieu est en chacun de nous. Alors, il est peut-être bien unique. Mais quelle diversité ! Dit autrement, le Dieu que je confesse est unique, mais il n’est pas uniforme.
Je peux vous dire comment je sens sa présence, à quel moment je me suis sentie portée bien plus que je n’ai porté ma vie. Mais je ne peux pas enfermer Dieu dans mes mots. Ce serait de l’idolâtrie. Et ça, il déteste. Notez, je suis bien sa fille. Moi aussi, je déteste quand on m’enferme dans des mots ou des catégories : femme, blanche, chrétienne, pasteure… et alors… mais encore ?
Nos identités ne se définissent pas de manière unique mais complexe. Parce que Dieu, à l’image duquel nous sommes, est lui-même complexe. Je peux le décrire mais pas le circonscrire. Dieu est hors catégorie. Ou plus précisément, il est au-delà de toutes catégories. D’ailleurs, même les auteurs de la Bible ne se sont pas mis d’accord sur un seul nom, sur une seule manière de décrire ses actions ou son être profond.
Il est créateur de toutes choses et horizon de nos vies comme le dit Paul.
Il est Père, Fils, Esprit.
On l’appelle Dieu, Seigneur, Eternel, Roi des rois, Seigneur des armées.
Souvenez-vous, les juifs n’ont pas le droit de prononcer son nom.
Les musulmans, eux, disent qu’il a 99 noms, précisément pour éviter de l’enfermer dans le langage humain.
Quant aux chrétiens, ils confessent un Dieu qui s’est incarné en Jésus-Christ. Lui dont nous avons réentendu cette parole : « Je suis le chemin et la vérité et la vie ».
Pour les chrétiens, le chemin, la vérité et la vie ne sont donc pas des dogmes, ni même des mots. Le chemin, la vérité et la vie sont une personne que nous sommes invités à suivre. Une personne avec laquelle nous pouvons entrer en relation pour découvrir Dieu et oser un regard renouvelé sur les autres.
Voilà qui devrait nous permettre d’aborder les dialogues interreligieux de manière libre et ouverte. Sans céder à la tentation de dénier à qui que ce soit le droit de croire en un Dieu autre. Parce que ça, c’est du totalitarisme religieux. Et ses adeptes de toute provenance, alors même qu’ils prétendent vouloir dialoguer avec d’autres, n’ont en réalité qu’un seul but : convaincre, convertir. Le dialogue est alors réduit à une mascarade terriblement proche d’un monologue intrusif et potentiellement violent.
Or, ce qui nous met en mouvement vers les autres, ce sont bien nos différences. Et, avec elles, la reconnaissance que nulle religion ne peut prétendre à elle seule tout détenir de Dieu puisque, par définition, Dieu est plus grand que ce que l’on peut en dire ou en penser.
Dieu nous échappe, à tous. Cette réalité-là d’un écart magistral entre un Dieu absolu et la connaissance que nous en avons qui n’est jamais absolue est commune au judaïsme, au christianisme et à l’islam. Nous partageons ensemble cette conviction qu’il est interdit d’enfermer Dieu dans la connaissance humaine.
Saurons-nous accepter que cela nous lie bien plus que nous ne voulons l’admettre ?
Saurons-nous reconnaître que cette incapacité commune à détenir Dieu et à tout savoir de lui nous unit bien au-delà de ce qui nous différencie ?
Je veux le croire.
Je veux le croire parce que mon Dieu, comme celui des autres, m’encourage à me dessaisir du désir narcissique d’être seul dans la vérité et à m’ouvrir à la part de vérité qui est en l’autre.
Je veux le croire parce que le Dieu que je confesse m’enseigne que la peur des autres est mortifère. Il n’a de cesse de m’envoyer auprès d’eux.
Le Dieu que je confesse m’assure encore que j’ai du poids à ses yeux. Non parce que je le mérite, mais parce que sa toute-puissance est une toute-puissance de l’amour.
Tel est le Dieu auquel je me risque à croire, au nom duquel j’ose un témoignage dans le monde, et par rapport auquel je suis prête à entrer en dialogue avec d’autres.
Et vous ?