« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »

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Écouter le culte :

« Ne vous faites pas des trésors sur la terre, mais faites-vous des trésors dans le ciel. » Voilà ce à quoi nous invite Jésus dans l’évangile de Matthieu. Mais alors, c’est facile, finalement, de suivre l’évangile ; il suffit de changer de banque ! On peut se contenter de placer ses biens dans la banque céleste plutôt que dans une banque terrestre, alors on ne s’inquiétera plus du rapport de ses capitaux terrestres, mais de ses intérêts de ses placements célestes. Et peut-être bien que ces placements-là sont moins assujettis aux aléas de la bourse et du prix du pétrole. Ça nous enlèverait un peu de stress.

Mais vous avouerez qu’il est tout de même un petit peu difficile de croire que Jésus veut nous inciter à boursicoter. Cela dit, ce mouvement n’est peut-être pas si loin de nos réactions, louables au demeurant, de par exemple faire un don à l'Église, même si on n’a aucun autre lien avec elle. Pour avoir fait un geste, on ne sait jamais, ça ne peut pas faire de mal et ça peut peut-être servir un jour. Ou bien, lorsque l’on donne à une association de protection de l’environnement, sans modifier pour autant son propre comportement quotidien.

Si on pouvait ainsi placer ses billes au ciel, pour assurer l’avenir, sans se soucier de la cohérence de notre vie présente, ce serait finalement assez simple et bien pratique. Seulement voilà, ce qui intéresse Dieu n’est pas tant, ou en tout cas pas seulement ce qui se passe dans notre porte-monnaie que ce qui se passe dans notre cœur. Et ça, Jésus nous le montre en disant : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »

Alors, jusque-là, vous me direz, c’est pas un scoop. Mais la question que nous avons eu envie de nous poser avec vous ce matin est la suivante : qu’est-ce que le cœur pour nous aujourd’hui ? Finalement, cet organe vital de notre corps a donné son nom à quelque chose d’assez indéfinissable et qui, pourtant, me semble-t-il, occupe beaucoup nos esprits contemporains. De l’élu du cœur de l’une ou l’autre vedette du moment, aux peines de cœur d’un prince ou d’une princesse : les magazines remplissent leurs pages – et cela fait vendre. Oui, les histoires de cœur font vendre aujourd’hui. Ça veut dire que ces mouvements du cœur sont très importants pour nous, mais comment les définir ?

Le premier mot associé au mot cœur, me semble-t-il, est le mot sentiment. Le cœur est le siège des sentiments selon le dictionnaire que j’ai consulté ; c’est-à-dire, le lieu de ce qui, par définition, est incontrôlable, impossible à maîtriser. Les sentiments, vous le savez, sont capables de nous envahir, de nous submerger, de nous faire oublier toute forme de rationalité, de logique, de réflexion. Et chacun d’entre vous, j’en suis sure, a à l’esprit le souvenir d’un sentiment d’une telle intensité, que des années plus tard, il peut à nouveau apparaître en vous de la même façon, il peut à nouveau faire battre votre cœur plus vite. Et c’est là que notre esprit cartésien vient mettre le « holà ! » et nous dire : les sentiments c’est bien joli, ça nous fait du bien, mais ça peut aussi nous conduire aux pires excès, voire à de graves erreurs. Rien ne fait plus mal que les peines de cœur. Cela aussi, nous l’avons tous vécu. Alors, halte là ! Il faut laisser la logique, la raison, la réflexion guider nos vies – c’est beaucoup moins risqué.

Même si les mouvements du cœur sont les plus forts, les plus intenses, la sagesse nous conduit plutôt à laisser parler la tête, la réflexion, peut-être pour limiter les désillusions. Nous sommes en fait assez forts, je trouve, pour cloisonner les différents aspects de notre vie. Nous pensons facilement, avec Pascal, que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Et c’est bien ce qui nous inquiète. Il vaut donc beaucoup mieux séparer cœur et raison une fois pour toutes.

Mais, il me vient à l’esprit une autre question : la tête a sa place, a en elle la raison. La tête loge la raison, le cœur loge les sentiments. Mais alors, dites-moi, la foi, on la met où ? Nulle part, me diront certains. Ça évite de se poser trop de questions. Mais à vous, si je vous demande comme ça, spontanément, la foi, vous la visualisez dans quelle partie de votre corps ? Vous répondez quoi ? Bonne question, me direz-vous. Pas dans la tête – la foi n’est pas de l’ordre de la raison. Dans le cœur ? Peut-être, mais foi et sentiments sont tout de même souvent assez divergents. Dans les tripes peut-être ? Dans l’âme diront peut-être certains. En tout cas, je pense que vous serez d’accord avec moi, c’est pas si facile de répondre à cette question. Alors, est-ce parce que nous ne savons pas où la loger que nous renonçons si facilement à la foi ? N’est-ce pas aussi une tentation d’isoler la foi dans un coin reculé et sombre de notre corps pour qu’elle ne vienne pas contaminer ou bousculer nos décisions et nos sentiments ?

L’étape suivante consiste à se demander si la Bible isole de la même façon que nous raison et sentiments, et à se demander où la Bible loge-t-elle la foi. Dans quel organe du corps humain ?
Nos trois textes bibliques du jour parlent du cœur – c’est pour cela que nous les avons choisis. Et ils se complètent pour nous faire découvrir que dans la Bible, le cœur n’est pas seulement le lieu des sentiments.

Ce sont d’abord les versets de la lettre aux Éphésiens qui vont nous aider à avancer. Ce beau passage nous dit ceci : « Que Dieu, par son Esprit, fortifie en vous l’homme intérieur. » Voilà encore quelque chose – l’homme intérieur. De quoi s’agit-il ? Il n’est pas possible dans cette notion d’homme intérieur d’isoler une partie de notre vie ou une partie de notre corps. Bizarre…

Mais la suite explicite cette notion d’homme intérieur. « Que Dieu fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi. » Alors, l’homme intérieur serait-il synonyme de cœur ? Ou l’homme intérieur serait-il la manière de désigner le lieu de résidence de la foi en nous ? Quoi qu’il en soit, si on arrête la lecture ici, finalement, c’est assez simple. L’homme intérieur, cœur, foi, sont tous encore de l’ordre du subjectif irrationnel qui n’a rien à voir avec la raison, donc l’essentiel de notre vision des choses est préservé. Nous pouvons encore dormir sur nos deux oreilles.

Mais le texte continue : « Enracinés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre et vous aurez ainsi la force de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. » Alors là, franchement, tout est mélangé. En une phrase, on trouve les mots amour – le sentiment par excellence. On trouve la force de comprendre – et là on part du côté de la raison et de la tête. Et puis, bouquet final, l’amour qui surpasse toute connaissance. Franchement là, il y a de quoi se perdre dans notre corps à force de faire des allers et retours entre notre cœur, l’homme intérieur qu’on ne sait même pas où mettre, et notre tête !

L’Esprit de Dieu, en fortifiant notre homme intérieur, nous donne la force de comprendre, il fait habiter le Christ en nos cœurs, et il nous fait connaître l’amour du Christ. Il n’y a plus moyen de faire de séparation entre connaître, aimer et comprendre. Il n’y a plus moyen. C’est bien la preuve que la Bible ne met pas les mêmes frontières que nous.

Pour la Bible, ou en tout cas pour l’auteur de cette lettre aux Éphésiens, la connaissance, la foi, la compréhension, les sentiments – tout cela est logé au même endroit. Tout cela constituerait cet homme intérieur logé dans notre cœur. Alors certes, ça fait un peu beaucoup de monde pour ce petit organe, et puis surtout, comment mettre tout ce petit monde d’accord. Comment ne pas devoir choisir entre ce que me disent mes sentiments, ma raison et ma foi ? Parce que s’il faut à chaque fois faire un colloque interdisciplinaire avant de faire ou de dire quelque chose, vous êtes d’accord que ça va pas être possible.

Mais, il faut croire que d’autres se sont rendus compte bien avant nous de cette difficulté. Car dans le Psaume 86 déjà, texte encore bien plus ancien que la lettre aux Éphésiens, on peut lire : « Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom. » Unifie notre cœur : voilà ce qu’effectivement nous pouvons être tentés de demander à Dieu si notre cœur rassemble effectivement tout ce qui habite en nous de sentiments, de raisonnements et de foi.

La Bible situe dans le cœur notre homme intérieur unifié par Dieu. Alors les questions que nous pouvons nous poser sont : Mais qu’est-ce que ça change pour nous ? Cette vision des choses a-t-elle encore quelque chose à nous dire ? Y avons-nous perdu en y renonçant ? Personnellement, je pense que oui. Aujourd’hui, combien d’entre nous ne savent pas très bien quelle place donner à la foi dans leur vie ? La foi n’est-elle pas souvent plus que ce qui permet de s’adresser à Dieu en dernier recours lorsque le médecin et le psy n’ont pas pu nous aider ? En refusant toute implication du spirituel dans la vie laïque de la cité, ne comprenons-nous pas de travers ce que Jésus attend de nous et de notre action dans la société ?

La foi ne devrait pas être confinée dans les temples et dans un recoin non identifié de notre corps. Quant à la logique et à la science qui va avec, que nous pensons aujourd’hui toute puissante, nous voyons bien, si nous sommes un tout petit peu objectifs, qu’elle nous mène à terme à une impasse dans bien des domaines. Combien d’entre nous ne vivent et ne dorment plus que grâce à des médicaments qui ne font que repousser tout au fond de nous nos sentiments, nos rêves et nos angoisses. Et pourquoi notre société nous pousse-t-elle à nous mettre devant notre télé pour vivre les sentiments des autres par procuration plutôt que d’assumer de vivre les nôtres ?

Je n’ai bien sûr la solution à aucun de ces maux de notre société, mais en travaillant ces trois textes bibliques, j’ai ressenti un appel très fort à laisser Dieu unifier mon cœur, à le laisser fortifier en moi l’homme intérieur, parce que je pense que c’est peut-être bien là qu’est notre vrai trésor : dans cet homme intérieur qui permet à la foi, au raisonnement et aux sentiments de dialoguer, de se contredire aussi – pourquoi pas – mais pour s’unifier ensuite. Alors peut-être que nous ne serons plus aussi écartelés entre les différents aspects de notre personne. Oui, c’est peut-être bien là qu’est notre trésor intérieur que la société risque de nous faire perdre.

Alors je vous souhaite ce matin de vous laisser toujours et encore renouveler par l’amour du Christ qui a la force d’unifier votre cœur, afin que vous puissiez vivre dans la paix et dire, du fond de vous-mêmes : « Là où est mon trésor, là aussi est mon cœur. »

Amen.

Pour des raisons techniques, le culte qui devait avoir lieu à la Cathédrale de Lausanne n'a pas pu être diffusé.

Nous vous proposons en lieu et place le culte du 29 janvier 2006, enregistré au Temple d'Onex, avec une prédication de la pasteure Caroline Ingrand-Hoffet.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Hadrien Jourdan
Musique
Jean-Luc Magnenat au violoncelle