Caroline Ingrand-Hoffet :
Mais pourquoi ressentons-nous si profondément ce besoin de liberté ? Pourquoi si souvent avons-nous – sans oser nous l’avouer – envie de tout faire éclater autour de nous, pour enfin nous sentir libres ? Pourquoi est-ce si rare de se sentir vraiment libre ?
Notre monde occidental nous fait miroiter toutes sortes de libertés faciles, mais illusoires. Les publicités pour les voitures en sont un magnifique exemple : les voitures y sont toujours luxueuses, seules dans des paysages magnifiques, sur des routes immenses, sur lesquelles elles peuvent rouler à 200km/heure, sur fond de musique enivrante. Mais le fait est que le matin en allant au travail, au volant de votre petite voiture, ce sont bien les embouteillages qui vous empêchent de dépasser le 20km à l’heure. Vous avez alors le temps d’admirer le paysage composé d’affichages publicitaires anarchiques ornant des murs gris. Et ce sont encore les pubs qui envahissent votre univers sonore, lorsque vous tentez de vous échapper en allumant la radio.
Et là c’est clair, tout seul dans votre véhicule, vous avez envie de hurler : « On se fiche de moi ! Je ne suis pas libre ! » C’est vrai, beaucoup de choses dans notre environnement semblent faites pour restreindre nos libertés : nous sommes de plus en plus surveillés par les caméras et enregistrements en tout genre. Nos moindres faits et gestes sont analysés et participent à produire des statistiques qui influencent ensuite nos choix !
Lorsque notre société nous réduit à des pourcentages et à des codes-barres, n’est-il pas légitime de revendiquer une liberté qu’on semble nous avoir volée ? Qu’en est-il de notre individualité, de notre richesse intérieure, de notre personne, de notre autonomie, de notre créativité ?
Noël qui approche est un autre exemple de circonstances où l’on peut légitimement avoir l’impression de ne plus être libres de rien ! Quelle part de liberté nous reste-t-il entre la consommation effrénée pour les cadeaux et les repas de fêtes, le sourire de rigueur en toutes circonstances, les fêtes de famille obligatoires, j’en passe et des meilleurs.
Nous sommes tous pris dans ce cercle vicieux : plus on nous vend de la liberté, moins on en a l’impression d’en avoir. Et plus on en réclame, plus la société brade de la poudre aux yeux pour nous donner une illusion temporaire de liberté. Mais il y a aussi ces libertés dont la vie, les événements nous ont privés sans nous demander notre avis : la maladie, la fin de vie, le poids d’un deuil, la vieillesse, la perte d’autonomie, un handicap. Contre ces libertés perdues, nous ne pouvons rien ! Pour faire face, nous avons un réflexe de survie : nous luttons pour gagner ce que nous n’avons jamais eu, pour retrouver ce que nous avons perdu ou pour ne pas laisser partir ce qui va nous être enlevé. Mais cela ne fait que raviver les fantômes des libertés perdues et ne les ramène jamais.
L’Évangile nous invite, quelle que soit la nature de notre liberté perdue, à élargir notre réflexion et à ouvrir notre cœur. C’est difficile, cela peut paraître illusoire, peut-être même impossible. Mais Dieu nous invite à découvrir qu’il y a autre chose à chercher et à recevoir que ces libertés qu’on veut bien nous vendre. L’Évangile nous ouvre à autre chose qu’à la quête désespérée d’une liberté bel et bien perdue. Il nous invite à chercher ailleurs la source à laquelle nous pourrons étancher notre réelle et légitime soif de liberté.
N’est-ce pas notre liberté intérieure qui est vitale ? Notre objectif à tous, n’est-il pas de nous libérer en profondeur de nos carcans, de ne plus laisser peser sur nous ce que nous subissons ? Et si ce n’était pas d’une liberté de plus dont nous avions besoin, mais plutôt d’une véritable libération ?
Eh bien, c’est précisément de cela que l’apôtre Paul nous parle. Il ne nous vend pas une liberté factice de plus. Il ne nous fait pas miroiter les retrouvailles avec une liberté perdue. Il nous rappelle simplement, mais avec force, que le Christ nous offre une libération profonde, réelle et durable.
Et Paul s’inscrit ainsi dans la suite de l’ensemble de la Bible qui parle bien plus volontiers de libération que de liberté. Lorsque Paul parle de liberté aux Galates, il ne s’agit donc pas d’une valeur qui fait vendre ou d’un droit à revendiquer. Il s’agit d’un don qui nous est fait lorsque nous plaçons notre confiance en Jésus-Christ.
C’est Dieu qui nous offre la libération. Pour nous libérer définitivement, Dieu a, le premier, exercé sa liberté en choisissant de prendre la forme d’un nouveau-né. Il nous est donc proposé d’entrer dans un mouvement de libération qui a débuté avec la naissance de Jésus. C’est bien ce que fait Marie. Elle se soumet dans un premier temps, oui. Mais par là, elle permet à la libération offerte à l’humanité de voir le jour, à travers l’enfant qu’elle va porter. On pourrait dire qu’avec Marie, commence le mouvement de libération que nous sommes invités à rejoindre, particulièrement en cette période de l’Avent.
Mais attention, ce mouvement de libération ne va pas annuler nos manques de liberté. Il ne va pas faire disparaître comme par magie ce qui limite nos libertés. Non, c’est pour nous permettre de vivre avec toutes nos contraintes que la libération nous est offerte. Entrer dans ce mouvement libérateur initié par Jésus-Christ, c’est accepter de vivre avec ce qui nous entrave, mais c’est décider de placer notre énergie de manière positive dans ce qui nous rend intérieurement et profondément libres, malgré ce qui nous arrive. C’est ne plus s’épuiser en luttant contre des réalités qui viennent immanquablement à bout de notre liberté. C’est accepter que certaines de nos luttes désespérées pour défendre ou retrouver nos libertés nous éloignent de fait de l’essentiel et nous font perdre une énergie précieuse.
Il n’est donc pas question aujourd’hui de vous vendre une Xe poudre de liberté, mais de vous inviter, qui que vous soyez, où que vous soyez, quelle que soit la liberté à laquelle vous aspirez profondément, à entendre le message libérateur de l’Évangile et à laisser l’Esprit de Dieu souffler en vous un vent de libération.
Nadine Manson :
« C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude » (Galates 5). Sœurs et frères en Christ, jamais il ne nous a été dit que vivre dans ce monde, avec les choses du monde, serait une tâche aisée. « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. », nous dit Paul. C’est l’amour de Dieu exprimé par le Christ qui nous libère, qui nous extrait de nos esclavages comme il a fait sortir le peuple esclave hors d’Égypte. C’est un amour qui nous extrait de toutes formes de contrainte ou de soumission; c’est un amour qui sauve et qui rassasie toute faim, qui étanche toute soif et qui assouvit tout désir. C’est un amour qui nous sauve, qui nous offre la pleine liberté de vivre.
Aimés tels que nous le sommes par Dieu en Christ, nous devons être des personnes courageuses et apaisées en cet amour. Nous devons être des témoins de cette plénitude, de ce triomphe, de cet épanouissement offerts par Dieu en Christ. Car, nous dit l’apôtre Paul, le Christ nous a libérés.
Dès lors, deux tâches principales nous incombent : celle d’être libre à l’égard de tout et de tous, et celle d’offrir aux autres le goût de cette liberté. Première tâche, notre liberté en Christ. Oui, nous sommes libres en Christ.
Sœurs et frères, celui qui n’est pas repu et qui en veut toujours plus, plus d’argent, plus de pouvoir, plus de popularité, plus de gloire et de célébrité, celui qui veut toujours plus n’est pas libre du monde. Il dépend du monde, il est esclave du monde.
Celui dont les désirs ne sont pas assouvis et rassasiés, celui qui veut toujours plus, a toujours faim et cette faim permanente, c’est celle-là qui motive beaucoup d’êtres humains. Mais en réalité, cette motivation ne les fait pas avancer, elle les enchaîne, elle les rend esclaves du monde.
« C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. », nous dit Paul. Nous n’avons plus à nous laisser mener par aucune faim, aucune soif, ni aucun désir du monde. Notre seul guide, notre seule porte vers la liberté, c’est Christ qui nourrit et assouvit chaque jour par notre résurrection toutes nos faims et toutes nos soifs primordiales.
Et seconde tâche, nous devons offrir cette liberté aux autres. Nos contemporains sont conduits par leur propre faim : désir d’avancement dans leur travail, besoin de réussite exceptionnelle, envie de plaire et d’être aimé, volonté de se sentir unique et irremplaçable, mais aussi refus de vieillir, refus de faiblir.
Sœurs et frères, vous et moi nous côtoyons ces affamés tous les jours dans notre histoire la plus personnelle, mais aussi dans notre travail et dans nos relations. Des proches, des amis, des collègues qui sont conduits par autre chose que la liberté en Christ, c’est notre quotidien, c’est notre vie banale et ordinaire.
Nous sommes et serons jusqu’au dernier jour de notre vie sur terre confrontés à cette réalité. Nous devons offrir à tous la possibilité de liberté qu’est Christ. Comment ? « Frères, vous avez été appelés à la liberté, seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte de vivre selon la chair ; mais rendez-vous, par la charité, serviteurs les uns des autres. Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, dans celle-ci : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates 5).
En suivant ce commandement d’amour de Dieu : aime ton prochain comme toi-même. Vivons pleinement, puisqu’en Christ nous sommes repus et libérés. Notre liberté d’exister tels que nous sommes et sans nous soucier de notre valeur aux yeux du monde, cette liberté témoignera de la force de notre liberté en Christ.
Dans ce désordre de bruits, dans cette violence de guerre qu’est le monde, notre liberté en Christ nous offre une place sereine et sûre. Dans cette multitude de sentiments et d’émotions que constitue la vie, notre liberté en Christ offre, à nous et aux autres, un appui fidèle et un refuge véritable.
La force du chrétien, c’est Jésus qui nous donne la vie en abondance, c’est le Christ qui nous ouvre la porte de la vie, qui nous fait accéder à l’amour, à la joie, au salut et à l’assurance de la grâce.
C’est pourquoi, sœurs et frères, comportons-nous comme des êtres libres, par notre désintérêt pour cette course effrénée à la reconnaissance dans le monde, par notre désintérêt pour les vaines libertés du monde. Offrons à tous le spectacle de notre confiance en Dieu. Car Christ est là dans nos vies et nous offre la liberté ultime afin que jamais nous ne manquions de rien, et que toujours nous vivions dans l’abondance.
Amen !