Écouter le culte :
Nous lisons le récit de la Passion de Jésus dans l’Évangile de Luc au chapitre 22, versets 52 à 62.
Quel jeu de regards dans ce texte ! On entend les dialogues :
« Mais oui, tu sais, c’est lui… »
« Ah, je l’ai déjà vu celui-là, il me dit quelque chose. »
« Eh toi, tu ne serais pas celui-ci ou celui-là ? Ta tête me dit quelque chose ! »
C’est un réel besoin de classer, de mettre dans des cases, de comprendre. Il n’est pas agréable de rester sur une vague impression. Dès qu’une idée nous effleure, germe dans notre tête, nous avons envie de lui donner corps. Alors nous cherchons, nous questionnons, jusqu’à ce que tout soit de nouveau bien en place, de nouveau tout à sa place. C’est sûrement légitime, bien que trop souvent vain.
Et si je me retrouve de l’autre côté ? Si c’est moi l’objet de cette quête d’ordre ? Si je ne peux pas me dérober, rester incognito ? On me dit : « Mais oui, c’est bien toi que j’ai vu de loin l’autre jour au coin de la rue. » Ou bien : « C’est bien ce que tu as dit, je n’ai pas rêvé ! »
Il va falloir accepter la confrontation, assumer sa responsabilité, prendre le temps de s’expliquer. Qu’il est alors tentant de filer à l’anglaise, de nier tout en bloc, de dire :
« Mais mon pauvre, il est temps que tu changes de lunettes, ce n’était pas moi ! »
« Moi ? J’ai dit ça ? Ce n’est pas du tout ce que je pense, écoute mieux la prochaine fois ! »
Peut-on condamner Pierre ? Il ne se résout pas à fuir alors que son maître a été arrêté. Il prend un risque certain à traîner dans les parages. Se faire à son tour attraper ou bien passer entre les gouttes, c’est pour lui une question de vie ou de mort. Alors de petits arrangements avec la vérité méritent bien un peu de compréhension de notre part.
Mais Pierre imaginait-il un instant croiser le regard de Jésus ? Qu’y avait-il dans ce regard posé sur lui ?
Et vous, sentez-vous ce regard posé sur vous ? Le regard d’un Dieu d’amour à l’infinie tendresse. Cela fait quoi d’être regardé ainsi alors qu’on vient de mentir, même un tout petit peu, sans grandes conséquences, et en plus à des personnes inconnues.
Et si tu te mettais à la place de Pierre, juste quelques instants…
Jésus est arrêté et accusé. En quelques allers-retours, il comparaît devant les chefs religieux et politiques. Rapidement, son sort est scellé (Luc 22, 63 à 23, 25).
Sur le chemin qui le conduit à la croix, Jésus fait une rencontre. Nous poursuivons la lecture de l’Évangile de Luc (Luc 23, 26 à 32).
Un certain Simon de Cyrène est désigné pour porter la croix de Jésus. Ce n’est pas anodin que les Évangiles aient retenu son nom. Jésus était-il trop faible physiquement ? Lui qui en a déjà tant traversé, pourquoi se laisse-t-il aider sur ce coup-là ? Jésus ne proteste pas. Il laisse Simon porter sa croix. Quelle leçon d’humilité. Lui notre Seigneur, le Fils de Dieu, il accepte l’aide d’un homme pris au hasard sur le bord du chemin, réquisitionné par les bourreaux.
Ce n’est pas facile de porter le poteau d’une croix. Fiché en terre, il doit supporter le poids d’un homme. C’est lourd, massif, encombrant. Pas un mot n’est échangé entre Simon de Cyrène et Jésus. La tendresse est mise en acte, est mise en geste. Simon offre son soutien, Jésus le reçoit. Quelle proximité, quelle intimité sur ce bout de chemin parcouru ensemble, en silence.
L’un va mourir, l’autre n’y peut rien, il est impuissant. Mais il fait ce qu’il peut, il accompagne, il prend une toute petite part du poids sur ses épaules. Jésus lui a certainement été reconnaissant.
Quant aux femmes, elles se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Là, il intervient : elles sont dans l’erreur. Si Jésus accepte un soutien de Simon, il ne veut pas être considéré comme une victime. Vous le savez, chaque fois que l’on se considère comme une victime et que l’on ne sort pas de ce statut, on subit. On perd notre liberté, notre capacité de choisir.
Jésus n’est pas une victime. Il se donne librement.
Méditons un instant : savons-nous être celle ou celui qui est prêt à soutenir, à offrir une présence sur le chemin de la douleur et de la souffrance, acceptant de simplement être là, dans l’impuissance sinon d’une présence, sans rien ne pouvoir éviter, ni changer ?
Et toi qui souffres, as-tu à tes côtés un Simon de Cyrène prêt à te donner un peu d’aide ? Ou te sens-tu seul, isolé, abandonné ? Dans tous les cas, sens-tu, malgré tout, la présence de Jésus, lui qui a parcouru le chemin avant toi ? Nous croyons que maintenant, il te rejoint.
Luc 23, 33 à 43 : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Jésus est crucifié et sa première parole est une prière qu’il adresse au Père. Sa prière est pour eux. Qui est ce «eux» à qui le Père est prié de pardonner ? Ce pronom est une magnifique promesse. Cela peut être n’importe qui et tout le monde. Les amis de Jésus, ses ennemis. Cela peut être toi, cela peut être moi.
Si Jésus fait cette prière à son Père dans cet instant si dramatique, c’est qu’il sait que le Père l’a déjà exaucée. Jésus manifeste l’amour qu’il reçoit du Père, en qui est le pardon.
Le peuple se tient là, debout et contemple Jésus sur la croix. Il entend la prière de Jésus et, en silence, il accueille ces paroles qui le concernent. « Ils ne savent pas ce qu’ils font », dit Jésus.
Peut-on pardonner l’impardonnable, le fait de crucifier le Fils de Dieu ? Dieu seul le peut.
« Père pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Contemplons-le sur la croix. Suis-je prêt à ouvrir mon cœur, à accueillir le pardon du Père, à laisser jaillir une demande, comme l’autre larron ? Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi !
Luc 23, 44 à 49 : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. »
Au Mont des Oliviers déjà, Jésus a prié son Père. Alors que le combat contre la tentation fait rage, le Père est là. Le Père n’épargne pas au Fils la bataille contre la puissance des ténèbres. Le Père soutient le oui de son Fils, un oui librement consenti.
En étant un homme parmi nous, Jésus est venu révéler l’amour qui l’unit au Père, cet amour qui circule entre eux par la puissance de l’Esprit, un amour qui va jusqu’à donner sa vie.
Jésus se relève. Il sort vainqueur de ce combat. Il se relève et c’est le même mot que pour la résurrection. Jésus est prêt à aller jusqu’au bout, il est libre de se donner.
Sur le chemin qui le conduit du Mont des Oliviers à la croix, Jésus pose sur ceux qu’il rencontre un regard qui révèle la tendresse infinie et éternelle du Père. Il pose ce regard sur nous, sur toi, sur moi, aujourd’hui.
Jusque sur la croix, les bras ouverts comme pour embrasser l’humanité toute entière, Jésus meurt en manifestant l’indicible communion d’amour qui vit de toute éternité entre le Père et lui, ce don infini qu’il offre à chacune et chacun, qu’il nous offre à nous, ici et maintenant, qui que nous soyons, où que nous soyons.
Amen