Écouter le culte :
La fidélité une vertu toujours recherchée
Chers amis et amies présents dans cette chapelle de Champex, chers auditeurs et auditrices, fidèles du culte et de la messe radio. Ce matin j’aimerais vous parler de fidélité, un thème apparemment désuet, souvent réduit à la fidélité conjugale, mais certainement beaucoup plus important pour nos sociétés qu’il n’y parait au premier abord.
Même si vous êtes fidèles au culte radio – ce qui ne peut que réjouir notre équipe radio – force est de constater que sous nos latitudes la fidélité comme injonction n’a plus trop la cote au panthéon des valeurs. Rester fidèle à son église ou rester fidèle à son conjoint, ce ne sont pas des messages que l’on entend, parce que la fidélité elle-même est délaissée. Comme le résume un écrivain et journaliste français : « La fidélité, c’est de la mauvaise colle, une invention pour faire croire que les deux parties tiennent debout ensemble ».
Pour autant, la fidélité comme attente effective au cœur des liens n’a pas disparu du paysage. Les études sociologiques nous montrent que la fidélité à la famille reste très forte, comme la fidélité à certains cercles d’amis. Et que dire du besoin de fidélité des humains exprimé dans l’attachement aux animaux domestiques, fidèles compagnons.
À bien y réfléchir, cette pérennité de la fidélité renvoie à un besoin de continuité, non pas comme une fin en soi, mais comme une structure, un cadre convenu permettant l’échange, la vie, parfois simplement la survie. Dans la tradition biblique cette pérennité de la fidélité c’est l’alliance que Dieu noue avec son peuple. Un terme dont le sens moral et religieux s’est estompé mais dont la force et la nécessité renaît avec la nécessité d’une alliance avec la nature.
Mais aujourd’hui, la fidélité, c’est d’abord la fidélité du consommateur. On ne compte plus les programmes de fidélisation, les cartes cumulus, les avantages de toutes sortes. Prenez votre porte-monnaie et regardez combien vous en avez et combien de fois vous les utilisez. Prenez votre téléphone portable, votre montre connectée ou votre ordinateur, vous verrez combien la fidélisation est présente.
Il fut un temps où les religions se livraient une furieuse bataille pour trouver puis garder des fidèles. Aujourd’hui ce sont les groupes commerciaux, les entreprises qui mènent le bal. Que ne ferait-on pas pour inciter nos enfants à ouvrir leur premier compte en banque, leur première carte de débit et faire d’eux des clients à long terme.
Avec les réseaux sociaux, cette logique de la fidélisation commerciale montre son horizon suprême : la captivité. On ne va plus voir ailleurs, puisque toute notre énergie est absorbée par cette relation toute puissante. C’est sans doute un des objectifs ultimes du monde numérique : ne plus pouvoir sortir d’une relation numérique, car elle est devenue tellement essentielle qu’il serait trop compliqué d’en sortir.
Dans ce cas, comme dans d’autres, la fidélité cache un véritable aveuglement. Une fidélité servile en quelque sorte, dont le monde religieux a souvent eu l’apanage jusqu’à coloniser le mot : « vous êtes des fidèles ». Certes, mais ni serviles ni otages. Aujourd’hui, le consumérisme à la sauce digitale reprend le flambeau et va le pousser à son paroxysme.
Le cœur de la fidélité : un programme
Comment aborder cette vertu de fidélité ?
Il est un mot, souvent passé inaperçu, qui donne une clé : le programme. Quand vous acceptez de donner votre carte de consommateur, pour que son code-barres soit scanné à la caisse, vous pensez simplement que vous en tirerez certains avantages. Vous savez qu’il s’agit ici de la participation à un programme, mais le temps court domine ici sur le temps long. En fait, vous êtes au cœur d’un puissant programme à long terme, qui va non seulement vous offrir quelques menus avantages de consommation (pour capter au mieux vos sous) mais aussi tirer votre portrait, pour en faire des usages que vous ne maîtrisez aucunement et qui ne sont ni toujours loyaux… ni même légaux.
Tout est donc affaire de programme. À quel programme la vertu de fidélité est-elle articulée ? Quelles sont les conditions générales de participation, ces fameux textes juridiques que nous ne lisons pas ? Aujourd’hui, dans le monde numérique, vous avez aussi ces fameux « cookies » pour entrer sur un site internet, des cookies que vous devez accepter au non, ce qui est une tentative de vous responsabiliser un peu plus.
À propos de programmes de fidélisation, les églises en connaissent plusieurs. Le plus sensible est le mariage. Dans ce cas, la fidélité est explicitement mentionnée comme une composante. Tous les couples vous diront que cette vertu est effectivement importante, mais absolument insuffisante si elle n’est pas ajustée à une vision plus profonde et de réelles ressources relationnelles.
Mais le programme de fidélisation le plus fameux et le plus central en christianisme se nomme le baptême. La force de ce programme, c’est que la fidélité en son centre n’est pas d’abord celle du baptisé, mais celle de Dieu. Pour autant, le baptême est un programme en perte de vitesse dans nos pays sécularisés, dans certains cas c’est même un programme rejeté. Je pense ici à ceux qui souhaitent sortir des églises et se voir effacer des registres de baptême. Une forme de droit au retrait, qui n’est pas sans analogie avec la possibilité… et la difficulté de se retirer de Facebook ou d’autres réseaux sociaux.
Fidélité à soi… devant un Autre que soi : la parabole des Talents
Le sens de la vertu de fidélité se situe en amont des rites religieux. Le rappeur français Adb al Malik le dit à partir de sa culture de croyant de tradition musulmane : « La foi n’est pas seulement religieuse. La foi est surtout une fidélité à soi-même. »
Le mot fidélité a la même racine que le mot foi, parce qu’il y va de la vérité de ce que nous sommes, ce qu’illustre la magnifique histoire de Ruth. Ruth est fidèle à elle-même, ce qui la conduit à être fidèle à la tradition juive de la belle-mère.
Il y a une forme de fidélité de soi à soi, essentielle, qui inclut les bagages religieux explicites et les dépasse en même temps. Une forme de cohérence profonde de l’être. « On n'appartient qu'à soi-même et c'est à soi-même qu'on doit la fidélité la plus importante », écrit Robert Blondin dans Le bonheur possible. Et le prêtre français Jean Monbourquette de prolonger en invitant à passer de cette estime de soi... à l’estime du Soi.
Dans une perspective croyante, appartenir à soi-même c’est appartenir à un Autre que soi, qui fait advenir ce Soi comme intériorité habitée.
Voilà dix minutes que je m’adresse à vous et je n’ai pas encore mentionné le texte de l’Évangile qui inspire mon message : la parabole des Talents. C’est l’un des très rares texte où le qualificatif de fidèle se trouve dans la bouche du Christ : « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai, viens te réjouir avec ton maître. »
De quelle fidélité est-il question ici ? Les exégètes se questionnent : ces talents concernent-ils surtout les œuvres de la foi ou est-ce plus large ? Autrement dit, pour certains, les Talents, c’est la Parole de Dieu et ne pas la garder pour soi ; c’est la transmettre à d’autres. Pour d’autres, les Talents, ce sont des dons naturels dont la providence nous a gracieusement équipés. J’aime bien la position de Calvin pour qui la parabole concerne les deux. D’ailleurs peut-on si facilement les distinguer, les compartimenter ?
D’une certaine manière, la langue française a choisi son camp, celui de Calvin. Que signifie le mot talent en français : c’est un don religieux ou c’est un don en général ? Ce mot français vient directement du texte biblique. La puissance de suggestion de cette parabole est phénoménale. Si je vous dis, chère Madame, cher Monsieur, cher collègue, mon fils, ma fille… tu as du talent et des talents, je fais allusion aux talents de parabole du même nom. C’est de là que vient le mot. Le talent, c’est une unité monétaire, celle à laquelle l’Évangile fait référence. Un talent c’est une grande somme, une fortune pour l’époque, environ 6’000 francs or. Chaque ouvrier en reçoit au moins un. C’est dire que la perspective de l’Évangile est admirable, s’agissant du regard qu’elle porte sur l’humain. C’est magnifique ! Nous avons tous des talents !
La fidélité : un chemin global
Comment cette parabole de l’Evangile fait-elle pour positionner la question de la fidélité de manière aussi positive, dynamique, universelle, et non moraliste ?
Trois remarques :
1. D’abord, l’Évangile du Royaume, n’est pas un message tout d’intériorité, d’évanescence spirituelle. Il est question d’ouvriers, de petits et de grands calculs, de délais, d’échéances, de bénéfices de placements, de rigueur patronale, de bons et de mauvais gestionnaires. Ce n’est pas un hasard si les protestants droits et besogneux que nous sommes, aimons cette parabole. Il y a là une logique économique : nous sommes des êtres responsables de ce que nous recevons, d’un capital à faire fructifier. La fidélité a une dimension de gestion.
2. Ensuite cette logique économique est insérée dans un joyau éthique. Être responsable d’un capital à acquérir, oui, mais un capital qui ne s’acquiert qu’en étant dépensé. La logique économique (et par conséquent l’éthique économique) de cette parabole de l’Évangile de Matthieu, c’est l’augmentation globale de la confiance entre le maître et son ouvrier (et pas personnelle du bénéfice). Elle se place dans un horizon éminemment spirituel. Il pourrait se résumer en une phrase : « Le seul moyen de garder ce qui fait de moi un être unique, c’est de valoriser pour autrui les dons que j’ai reçus ». En version chrétienne : « Avec le Christ, devenez qui vous êtes et ne figez pas ce qui vous a été donné ».
3. Enfin, la parabole ne précise pas vraiment les domaines où doit s’exercer la fidélité. Dans la fidélité à Dieu, sont englobés la fidélité à soi et à autrui. Tout est interdépendant. Pensons à nos situations contemporaines ou tout est aussi interdépendant. Qui peut raisonnablement compartimenter la fidélité, comme il pourrait compartimenter l’économie du social, le social du psychologique, le psychologique du spirituel, le spirituel de l’éthique et j’en passe.
L’histoire de Ruth, dont nous avons entendu un extrait, illustre le fait que la fidélité à soi se met en jeu dans un chemin où celle-ci implique la fidélité à autrui, la fidélité à une tradition, à des coutumes. Ruth commence par être fidèle à son mari Kilyon, qui décède. Ensuite elle est fidèle à Naomi sa belle-mère (à la différence d’Orpa sa sœur). Ensuite elle est fidèle aux coutumes de son pays de destination et à ses dieux, qui ne sont pas les siens. Enfin elle est fidèle aux conseils de sa belle-mère qui la pilote dans un jeu social complexe et risqué. Fidélité qui sera récompensée par la naissance d’Oved, ancêtre du roi David et ancêtre de Jésus. Fidélité qui s’exprimera in fine dans le rôle de tutrice de son fils qu’elle laissera jouer à sa belle-mère.
Ruth est comme un arbre avec des racines plantées dans un entrelacs d’alliances et de fidélité, parfois complémentaires, parfois en tension, avec des branches vivantes, mais aussi d’autres qui sont mortes. Cela me fait penser à ces mots de Victor Hugo : « Faites comme l’arbre, changez vos feuilles et gardez vos racines ».1
Dans l’alliance avec vous-même et tous les exils que vous traversez, changez vos feuilles et gardez vos racines.
Dans l’alliance avec vos communautés de vie et de pensée et toutes les hybridations qu’elles traversent, changez vos feuilles et gardez vos racines.
Dans l’alliance avec le Dieu créateur, dont la terre est le sanctuaire fragile que nous habitons tous ensemble, changeons nos feuilles et gardons nos racines.
Dans l’alliance de l’Esprit qui destine nos corps et nos visages à la transfiguration, changeons nos feuilles et gardons nos racines.
Amen !
1 « Changez vos opinions, gardez vos principes ; changez vos feuilles, gardez vos racines », Victor Hugo, Post-scriptum de ma vie