Écouter le culte :
Le système de fonctionnement de notre société occidentale en Europe, dans l’Union européenne et partout dans le monde où il s’est étendu – et c’est immense – la totalité de notre système sociétal repose sur un immense malentendu.
Le système économique postule que la consommation, l'accumulation de biens matériels va satisfaire tous nos besoins et à terme nous apporter le bonheur. C’est ainsi que c’est pensé, c’est ainsi que ça fonctionne et la publicité n’en est pas le moindre agent
Ça ne peut pas marcher, et ce, pour plusieurs raisons :
- Premièrement, sur le long terme, parce que le système est basé sur la fameuse croissance, une croissance continue, infinie dans un espace fini. Les ressources nécessaires au fonctionnement de notre planète sont forcément limitées. Qui de vous a remarqué que, voici 5 jours, le 31 juillet était le jour du dépassement au niveau mondial ? (En Suisse c’était en mai…) Dès ce moment, nous vivons à crédit et il faudrait une deuxième planète pour assurer notre consommation.
- Ça ne peut pas marcher non plus sur le moyen terme parce que cette formidable abondance que nous connaissons repose non seulement sur les ressources terrestres, mais aussi (et c’est dramatique) sur le dos de centaines de millions de personnes injustement et violemment spoliées de ce qui leur revient. Ça ne peut pas durer, là aussi, indéfiniment.
- Et sur le court terme enfin, dans nos vies personnelles. Le « désir » étant toujours plus grand que l’objet du désir, cela fait de nos vies une course éperdue allant d'objet en objet, d’achat en achat, nous installant dans une sorte de dépendance où (comme toute dépendance), il faut toujours augmenter la dose pour obtenir le même effet. Avec pour conséquences une accélération du temps (tout va trop vite), un sentiment de vertige, une accumulation de déchets, une perte de sens, quand ce n’est pas pire…
Sommes-nous condamnés à cela ?
Sommes-nous obligés de tourner dans cette noria – tel le hamster dans sa cage – pour faire avancer cette fameuse machine qu’est notre société occidentale ?
Sommes-nous contraints à cette fuite en avant ; cette course éperdue dont les effets sur notre terre et sur nos vies sont au final délétères et mortifères ?
C’est une vraie question.
Une vraie question pour notre époque qui voit depuis quelques années déjà le commencement de tous ces bouleversements annoncés depuis des décennies et qui prennent place jusque dans notre pays : le réchauffement climatique accéléré provoquant pluies torrentielles, inondations, éboulements, sécheresses, incendies, etc… L’éboulement impressionnant qui bloque tout près d’ici le val de Bagne en est hélas un exemple manifeste.
L’évangile a-t-il une réponse à cela ? La foi chrétienne, l’enseignement de Jésus peuvent-ils être un soutien, un secours, ou tout du moins un positionnement possible ? La réponse est positive. Le texte du sixième chapitre de l’évangile de Jean donné pour ce dimanche à notre méditation nous donne des pistes intéressantes. Je vais tenter de vous les communiquer.
Entrons dans le texte.
Pour bien comprendre le dialogue que Jésus mène avec les foules, il faut préciser que nos versets font suite au récit de la multiplication des pains : le récit d’une formidable abondance (à partir de six pains et deux poissons, nourrir cinq mille personnes et ramasser douze corbeilles de restes !). Et même si les chiffres sont un peu surévalués, et que ce qui compte pour nous est plutôt le sens du prodige que le prodige lui-même, il y a, vous en conviendrez une sacrée abondance… de quoi faire circuler une envie d’aller voir aussi !
Le texte donc nous dit que les foules de Tibériade, la ville voisine, ont entendu parler de cette fameuse multiplication des pains. Elles veulent, elles aussi, voir Jésus, l’entendre et – si possible – bénéficier de cette abondance. On les comprend, non ? On aurait fait la même chose.
Le lendemain du signe des pains, nous dit le texte, les foules s’embarquent et arrivent sur le lieu du prodige. Il n’y a plus personne, et surtout, Jésus n’est plus là. Ni une ni deux, elles réembarquent en direction de Capharnaüm où elles partent à la recherche du maître.
Lorsqu’elles le trouvent enfin et le questionnent, Jésus leur adresse cette fameuse parole : « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n'est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé des pains à satiété. »
Qu’est-ce que Jésus veut bien leur faire comprendre par ces mots finalement assez rudes et cassants ?
D’abord, en commençant ses dires par « en vérité, en vérité », il donne du poids à ce qui va suivre. Attention c’est sérieux, c’est important !
Il leur dit alors que manger est bien une nécessité (et c’est le cas, c’est physiologique : sans manger on ne va pas très loin), mais ce n’est pas une finalité. On peut s’épuiser à chercher et ingurgiter la nourriture. Le mot grec traduit par « satiété » signifie « rassasié », mais aussi « rempli à ras bord », « bourré » (non pas d’alcool), mais comme on remplit à bloc un coussin de kapok ou de plumes de canard.
La vie est autre chose ! Mais quoi ? Écoutons Jésus nous dire : « Il faut vous mettre à l'œuvre pour obtenir non pas cette nourriture périssable, mais la nourriture qui demeure en vie éternelle ».
Commençons ici par dire que les traductions de la Bible sont souvent moralisantes : « Il faut vous mettre à l’œuvre ». Le texte grec dit : « Œuvrez ! ». C’est un impératif et vous verrez qu’il en faudra des impératifs si on veut sortir de notre impasse. Il faut, y’a qu’à, faut qu’on… ça ne marche pas, ou c’est bon pour les autres, mais pas pour moi !
Œuvrez donc ! Œuvrez, non pour ce qui est périssable, mais pour ce qui dure éternellement. Par ces mots, Jésus invite ses auditeurs à changer de plan, à changer de référent, à s’engager non pas exclusivement pour la nourriture quotidienne !
Ici Jésus ne dit pas autre chose que ce qu’il affirme par exemple chez Luc au chapitre 12 : « Faites-vous des bourses inusables, un trésor inaltérable dans les cieux : là ni le voleur n’approche ni la mite ne détruit. Car là où est votre trésor sera aussi votre cœur. » Ou chez Matthieu au chapitre 6 : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture et le corps plus que le vêtement ? »
Vient alors la question : qu’est-ce que cette nourriture qui demeure en vie éternelle ? Là, c’est un peu plus compliqué. Le texte nous dit que cette nourriture, c’est ce que Jésus lui-même donnera (au futur), mandaté et confirmé par son Père qui est dans les cieux. Pour faire court, on pourrait dire : c’est la Vie elle-même, avec un grand « V ». Celle qui dépasse la matière, l’espace et le temps. La vie spirituelle, la vie essentielle. Ce qui demeure quand tout disparaît. C’est d’une certaine manière la totalité de ce que Dieu donne et que le texte de Jean nomme « les œuvres de Dieu ».
Et c’est cette invitation de Jésus à travailler (à œuvrer) pour cette nourriture spirituelle qui va susciter la question : « Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? »
Notez ici une particularité du texte grec, qui n’apparait pas en français : « que nous faut-il faire ? » Le mot ici est « poïen », créer (il a donné le mot poésie). On n’est pas dans le registre du faire, de l’action, de l’utilitaire, mais de la créativité.
Et claque ici la réponse de Jésus : « L'œuvre de Dieu, c'est de croire en celui qu'il a envoyé. »
Et nous avons là la réponse essentielle à notre problématique de savoir comment nous comporter pour vivre d’une manière compatible avec les limites de notre terre. Il ne s’agit non pas d’abord de modifier nos comportements avec peine, même si tous les écogestes et la technologie sont fort utiles, mais de changer nos croyances. Nous sommes appelés à une forme de conversion, de métanoia, au sens premier de changement de nos manières de voir et de penser.
La société moderne a beau affirmer haut et fort qu’elle ne croit en rien, qu’elle est purement technique et scientifique. Dans la réalité, elle met en œuvre tout un système de croyances données pour des évidences, mais qui ne le sont pas. Et comme ces croyances avancent de manières cachées, elles sont redoutablement efficaces. Ce sont elles qui nous embarquent dans cet énorme vaisseau… qui va droit dans le mur.
Ici, le Christ nous invite à croire. À croire autrement, à modifier nos référents, à cesser de vouloir remplir nos vies par des choses, à s’épuiser en accumulant… Il nous invite à donner la plus grande place possible à la vie intérieure, à la vie spirituelle. À la cultiver. À chercher l’essentiel.
C’est à une transition intérieure que Jésus nous invite, un changement de référentiel, de manière de voir et de penser, orientée non plus vers l’accumulation de sécurités illusoires, mais posées sur le roc. La méditation des Écritures, le secours de l’Esprit Saint, la communion et l’entraide fraternelle dans les églises, tout cela va nous aider à opérer cette transition.
C’est bien beau, tout ça, direz-vous… Vous nous demandez de vivre d’amour et d’eau fraîche ! Qui va s’engager, et surtout, combien vont s’engager ? C’est purement utopique, vous rêvez ! Redescendez sur terre !
Peut-être. Peut-être pas… Tout reste ouvert et possible. Si vous doutez, permettez-moi de vous poser trois questions :
- Qui, en été 1989, aurait parié sur la chute du mur de Berlin, l’ouverture du rideau de fer et la chute de l’Union soviétique ? Pas grand monde ! C’est passé !
- Qui, en 1990, aurait pensé la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ? Bien qu’il y ait encore fort à faire, il est devenu illégal.
- Qui, avant les années 2000, aurait cru qu’un jour il n’y aurait plus de fumée dans les lieux publics ? Presque personne. Et pourtant…
Alors ? Il ne manque que vous…
Alors, comme nous l’a dit l’épître de ce jour : « Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée, revêtez-vous de l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté conforme à la vérité. »
Amen.