Écouter le culte :
Introduction
Le jour où le producteur des cultes, Matthias Wirz, m’a demandé si j’étais d’accord de célébrer le culte du 28 juillet, je venais d’entendre dans l’émission « Tout un monde » sur la RTS, un reportage sur « Pourquoi l’insulte en politique est une méthode qui marche. » Un langage injurieux, l’outrage vis-à-vis de ses adversaires, est un vecteur de renforcement de la popularité d’un chef politique : par exemple, l’ancien président des USA, Donald Trump.
Aujourd’hui, comme hier, l’outrage, l’injure, l’exagération font partie du langage des humains, donc de la politique et du religieux aussi. J’ai pensé alors au livre du théologien Jacques Ellul, « La Parole humiliée », paru en 1981. Je suis donc parti sur le thème de la parole comme fil conducteur de cette célébration.
La parole est un vecteur essentiel pour transmettre au monde extérieur ce que je pense, ce que je crois, ce que je ressens. Lorsque je regarde une série, un film, je suis pris par les images, mais reste à l’extérieur des personnes : je vois, je regarde des faits, une réalité factuelle, mais je ne peux parvenir aux pulsions, aux émotions, aux réflexions intimes des personnes, s’ils ne s’expriment en voix off. Avec la lecture, j’entends les personnages, leurs pensées, leurs dialogues intérieurs. Ils deviennent vivants en moi.
La parole est ce qui permet d’exprimer ce que je suis. Cette parole, je l’adresse à une autre personne. Par cette parole, j’entre en relation avec elle. Je luis dis ce que je pense, ce que j’espère, ce que je veux. La parole me permet d’entrer en dialogue, en relation avec les autres. Souvent mes paroles sont accompagnées de gestes qui expriment aussi mes émotions. Mais la parole orale, la parole écrite, ouvre des espaces d’interaction.
Certains usages de la parole humilient celle-ci. En effet, les outrances, les injures, les invectives dévalorisent la parole orale et écrite comme vecteur créant un espace d’écoute et de partage.
Ces derniers mois, plusieurs sujets ont conduit à l’humiliation de la parole comme espace de dialogue. Un m’a particulièrement touché : l’attentat du Hamas du 7 octobre contre la population israélienne et la riposte destructrice de l’armée israélienne contre la population de Gaza. Les invectives, les injures antisémites et antimusulmanes ont divisé la société, les institutions, voire les familles.
Lorsque la parole est ouverture de soi à l’autre, et accueil de l’autre à soi, alors des chemins d’écoute et d’évolution peuvent se faire et permettre de se rejoindre, de cheminer ensemble.
Comme par le passé, aujourd’hui, la parole est humiliée parce qu’elle est enfermée dans des a priori, des idéologies, des systèmes de pensées qui ne permettent pas de s’écouter sans outrance et injures. Regardez les débats sur les chaînes d’informations continues : les débats lors des dernières élections françaises.
Il m’est facile de critiquer le monde politique, mais le monde religieux n’est pas plus vertueux. Il suffit de relire l’histoire des conciles de l’Église primitive et la Réforme, où les anathèmes et les violences verbales ont été si nombreux et ont engendré des meurtres.
Une autre menace, elle, nouvelle, touche la parole : c’est celle de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle travestit la parole humaine, la détourne de l’individu conscient.
L’outrance verbale et le travestissement oral humilient la parole, car au final, ils la déconsidèrent. De nombreuses institutions voient leur parole humiliée car le respect de la fonction est mis à mal. Les exemples des attaques politiques contre la justice, les juges, contre les administrations aux USA, en Europe, en Suisse sont nombreuses. Une des menaces pour la démocratie aujourd’hui est donc la décrédibilisation de la parole des systèmes judiciaires et politiques.
Dans toute parole, il y révélation d’une intention, d’une volonté, d’une émotion, d’une pulsion – bonne ou mauvaise – révélation du bien ou du mal.
Avant de poursuivre notre réflexion sur la parole en nous intéressant à deux textes du Nouveau Testament, nous allons vivre des temps de paroles spirituelles. Dans le déroulement du culte, la parole revêt des accents divers :
- Les paroles de louanges exprimant la joie.
- Les paroles de la confession du péché et de grâce qui évoquent la contrition et le relèvement.
- Les paroles d’intercession qui relient les individus par-delà l’espace.
- Les paroles de la cène qui lient dans la communion les fidèles du monde et le Christ.
- Les paroles du Notre Père, des chants et de la bénédiction qui unissent toutes et tous.
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Prédication
La parole est au cœur de notre vie : une parole qui s’ouvre et ouvre à la vie, mais aussi une parole qui se ferme, se referme, juge et condamne.
L’apôtre Jacques évoque la langue, cet organe qui permet d’articuler des sons, des mots, une parole. Ce passage est une réflexion sur la langue comme organe du mal et de la confusion. La langue, si elle n’est pas maîtrisée, domptée, asservit la personne au mal, au désordre et à la malédiction, car elle mélange les genres : elle dit à la fois le bien et le mal, la bénédiction et la malédiction, le oui et le non. Cette langue se répand comme le feu et détruit tout sur son passage. Cette parole non maîtrisée est mortifère.
Les exemples politiques sont nombreux, Lors de la dernière campagne européenne en France, Raphaël Glucksman a parlé de la brutalisation de la parole. Celle-ci se vit également en Suisse sur les réseaux sociaux et dans certains débats.
L’apôtre Jacques nous appelle à maîtriser notre langue afin que notre parole soit une parole de vie, une parole de partage.
Comment maîtriser sa langue ? Peut-être en se posant les questions : Pour qui ? Pourquoi ? Comment ? A qui est-ce que je m’adresse ?
Qu’est-ce que je veux lui dire et partager avec lui, avec elle ? De quelle manière je vais m’adresser à lui, à elle ? Quels mots vais-je choisir ?
Ces trois questions permettent déjà de prendre distance par rapport à ses propres émotions, colères, frustrations ou angoisses. Un proverbe résume cela de manière pertinente : « il faut tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de parler. »
Avec l’évangéliste Jean et Jésus, nous faisons un pas de plus vers l’approfondissement de la parole comme source de vie. Le passage de la femme adultère, ainsi nommé par la tradition, est remarquable et m’a beaucoup marqué, influencé. Il exprime, pour moi, le cœur de l’Évangile, à savoir la Parole du salut, de la vie, en et par Jésus-Christ : une parole en actes dans les relations à l’autre, aux autres et à soi.
L’adultère est considéré par l’Église primitive comme un péché incompatible avec la condition de baptisé.e, de croyant.e. L’adultère entraine l’exclusion de la communauté : la lapidation, selon les lois de l’Ancien Testament.
Jésus enseigne, par conséquent, il parle, il expose et développe sa parole. Les gens l’écoutent. Parmi eux des pharisiens et des scribes sont heurtés par la liberté que Jésus prend par rapport aux lois édictées par Moïse. L’interprétation de la loi par Jésus est en rupture avec la leur. Alors ils veulent le piéger avec le cas d’un adultère.
La femme est déjà condamnée. Leur parole se veut révélatrice : Jésus doit se prononcer sur le commandement divin et par là, se situer : suit-il la tradition de Moïse ou s’en éloigne-t-il ? Jésus et la femme sont au milieu du cercle : tous les regards convergent vers eux.
La parole des scribes et des pharisiens est une parole de mise en cause avec une volonté de jugement et de condamnation. Jésus, dans un premier temps, se baisse et se tait.
Ce retrait et ce silence sont une parole. En effet, le silence peut être une parole qui dit un refus d’entrer en polémique, un refus d’entrer dans un jeu mortifère, puisque la femme sera lapidée selon la loi. Mais pressé de répondre, Jésus parle : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. »
Sa parole accepte le texte de la loi, mais pour son application, elle renvoie ses interlocuteurs à leur conscience, à leur vérité d’être. Par-là, elle ouvre une dimension existentielle pour les gens qui l’écoutent. La loi de Dieu ne se résume pas à des interdits, mais révèle le cœur de chacun.e.
Après cette parole, Jésus se baisse à nouveau et les gens s’en vont l’un après l’autre. Il ne reste que Jésus et la femme : seuls, face à face. La femme attend une parole de Jésus sur elle.
Sa première parole est un constat : « Où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée. » Et la femme accepte ce constat en répondant : « Personne. » Elle peut revivre socialement.
Mais Jésus va plus loin et lui offre une parole de vie, existentielle, une parole pour elle, pour sa vie intérieure : « Moi non plus, je ne te condamne pas. » Puis Jésus ajoute une parole d’envoi qui permettra à la femme de rebondir : « Va et ne pêche plus. »
Il ne s’agit pas d’une parole d’interdit sexuel, mais d’une parole qui engage la femme à ne plus se mettre dans une situation où elle se perdrait elle-même dans la culpabilité, dans une destruction mortifère de son existence, de sa personne.
Comme je vous le disais : ce texte est remarquable pour moi et je l’espère aussi pour vous.
Jésus nous appelle à transmettre, avec notre langue, cette parole libératrice du péché : le péché qui est, en nos existences, ce qui nous éloigne et nous coupe de la vie et des dons qui sont en nous.
Jésus nous appelle à toujours regarder à notre cœur, à notre conscience, avant de prononcer une parole de jugement et de condamnation.
Cet appel de Jésus exige beaucoup de nous en maîtrise de notre langue et des mots que nous utilisons, en refus de brutalisation de la parole publique. La parole humiliée reste et ne va pas disparaître de notre société, mais nous, chacun.e de vous, peut, là où elle ou il est, transmettre et vivre la parole libératrice de vie – vie jaillissant en son prochain et en soi.