Un mur sert à enclore, à séparer des espaces. Il y a des murs physiques et des murs psychologiques ou symboliques. Vous connaissez les expressions : raser les murs, sauter ou faire le mur, se taper la tête contre les murs ; mettre au pied du mur, les murs ont des oreilles ; cet homme est un mur. Un mur sert à enclore, il sert à protéger. Le mur est une protection physique contre les intempéries, les dangers. Ce qui m’intéresse, maintenant, c’est le mur psychologique que je construis pour me protéger.
A toutes les étapes de ma vie, je construis des murs protecteurs contre les attaques de l’extérieur. Je me sens vulnérable, fragile, face au monde qui m’entoure, à ses inconnues, à ses ténèbres. Les murs me donnent un sentiment de sécurité. Mais ces murs ne me protègent pas de l’angoisse, de l’angoisse de la mort. Il s’agit de la mort physique, mais aussi des petites morts qui détruisent mes certitudes, ma confiance, mes rêves : les échecs, les maladies, les deuils, les rejets. L’angoisse est là et aucun mur ne peut l’arrêter. Contre elle, il n’y a pas de murs de protection absolus. Nous allons écouter le psaume 90 dans lequel le psalmiste évoque notre existence et sa précarité. (Lecture du Psaume 90, 1 – 12)
Nous connaissons toutes et tous cette vérité existentielle : « le nombre de nos jours est limité ». Cette vérité peut nous enclore, nous emmurer, nous enfermer dans les murs d’une angoisse paralysante. En se retirant du monde, en se retirant de la vie, je crois me protéger. Mais, et c’est une leçon de la Bible, rien ne peut nous protéger des limites inhérentes à l’existence.
Je ne suis pas immortel. Ma vie est marquée par les limites du temps : naissance et mort. Entre ces deux extrêmes, je dois vivre. Comment est-ce que je vais vivre ? Enclos, emmuré derrière des murs me coupant du monde ou ouvert à la vie ? La Bible et l’Ancien Testament nous appellent à être conscients de notre finitude, de nos limites. Cette conscience nous permet de voir l’existence avec un regard responsable : profiter des biens que le monde nous offre, s’engager dans le monde avec lucidité et amour.
Le psaume 90 dit : « alors apprends-nous à compter nos jours et nous obtiendrons la sagesse du cœur. » Il s’agit là, avec la sagesse du cœur, d’un savoir-vivre . Le professeur Martin Rose l’exprime avec ces mots : « le savoir vivre ou la maîtrise de la vie ne devient une perspective réelle qu’à condition que nous prenions notre finitude en considération » . Le psalmiste et la Bible nous engagent à ne pas nous laisser enfermer derrière les murs de fausses sécurités, qu’elles soient religieuses, philosophiques, idéologiques ou politiques. Il nous faut vivre « en apprenant à compter nos jours », c’est-à-dire à les vivre pleinement, en femmes et en hommes engagés dans l’existence.
« L’ombre de la mort ne diminue pas la valeur de la vie, mais au contraire, elle contribue à sa qualité, au savoir-vivre », écrit encore Martin Rose. S’enfermer derrière des murs pour se protéger des limites et des dangers de l’existence, c’est déjà vivre la mort, vivre en mort. Le savoir-vivre de la foi consiste « à distinguer entre l’essentiel et ce qui est moins important », à se réjouir et à être reconnaissant car « chaque jour peut devenir un cadeau », à s’engager en faveur des autres, car ma vie est toujours reliée à celles des autres et à Dieu.
« Jour après jour, l’amour vire au gris,
comme la peau d’un homme mourant
et nuit après nuit
je prétends que tout va bien.
Mais j’ai vieilli et, désormais, plus rien n’est vraiment amusant.
Je sens venir une de mes crises.
Je me sens froid comme une lame de rasoir,
serré comme un garrot,
sec comme un tambour funéraire.
Ne sois pas effrayé,
c’est juste une crise passagère.
Un de mes mauvais jours.
Ne sois pas effrayé,
ça passera et les bons reviendront. »
Un mur sert à séparer des espaces. Dans l’histoire humaine, de nombreux murs ont été construits en pierres ou en idéologies. Ces murs ont comme but de séparer, de couper, d’éloigner des peuples, des communautés, des religions. On construit ces murs par peur, par haine de l’autre, de l’étranger, du juif, du musulman, du chrétien, du noir, du jaune, du blanc. La peur engendre la haine et la haine engendre les murs de la division et les murs de la honte. J’avais espéré que le mur du ghetto de Varsovie, que le mur séparant les deux Allemagnes seraient des vestiges, des ruines du passé. Mais un nouveau mur s’élève aujourd’hui entre Israël et la Palestine. Aucune explication, légitimation ne peut enlever la honte de ces murs de pierre, de béton. C’est une honte pour l’humanité ; c’est une honte pour nous les habitants de la terre.
Il y a aussi les murs de séparation et d’exclusion édifiés par les lois toujours plus restrictives contre les étrangers, les demandeurs d’asile, les bénéficiaires de l’AI. A chaque fois, on ajoute une hauteur au mur législatif. Dans la réalité, le quotidien, l’exclusion touche tous les êtres humains et par là chacune et chacun, car nous sommes des étrangers, des réfugiés, des handicapés potentiels.
Mur de la peur, mur de la haine, mur du racisme, mur de l’exclusion. Écoutons un passage de l’épitre aux Éphésiens nous rappelant l’unité des êtres en Christ. (Lecture Ephésiens 2, 13 – 17)
En Christ, le mur de séparation, la haine, est détruit. Quelle affirmation extraordinaire pour nous aujourd’hui ! La fatalité de la haine, de la division, de la séparation est brisée par le Christ. Cela signifie que la réconciliation n’est pas une utopie ; la réconciliation est inscrite dans le projet de vie de Dieu en faveur de l’humanité. Les mots employés sont forts : « Christ est notre paix ; de ce qui était divisé, il a fait une unité ; à partir du juif et du païen, il a voulu créer en lui un seul homme nouveau en établissant la paix : il a voulu les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix. » Paix, unité, réconciliation, être nouveau : tout cela, tous ces buts, à partir de la destruction du mur de séparation, de la haine.
En tant que chrétienn-ne, disciple du Christ, il nous est interdit de participer à la construction des murs de séparation. Il y a ici une exigence à la fois spirituelle et morale. En acceptant le Christ dans ma vie, en lui faisant confiance, je ne peux accepter d’ajouter et de poser de nouvelles pierres aux murs de séparation. Si je le fais, je ne suis pas la volonté du Christ ; je suis en décalage avec mon savoir-vivre chrétien. Je suis séparé, loin de mon maître. L’exigence de paix et de réconciliation est une des lumières laissées par le Christ qui doit guider mon engagement de foi.
Les murs de séparation, de haine, de rejet sont là, autour de moi et dans le monde entier, mais ils ne sont pas une fatalité. Nous avons à nous engager en faveur de la paix et de la réconciliation : ici et au loin, avec toute personne habitée par la même aspiration. Ne pas désespérer, ne pas baisser les bras en jugeant que notre lutte se heurte toujours au même mur et qu’elle est par conséquent inutile. Un jour viendra, nul ne sait quand, où les murs tomberont définitivement en ruine. En attendant ce jour, travaillons à abattre, niveler, réduire ces murs de séparation, de haine. La volonté du Christ est de créer un être nouveau, réconciliant ses parts divisées, pour que cet être vive dans la paix.
« Dans notre vie, on attend la venue d’un proche, un-e parent-e, un-e ami-e et on découvre qu’il/elle ne viendra pas ; qu’il/elle n’est pas parvenu-e à destination. On prend conscience alors que la violence peut-être nous a empêché de nous retrouver. D’un côté on entend les cris de joie des gens qui se retrouvent et de l’autre je pleure la disparition de l’être cher. Et je crie : « Ne laissez pas les enfants de la terre livrés à la haine, à la violence : Ramenez-les à la paix !».
Les murs séparent, isolent, cloisonnent. « Y a-t-il quelqu’un de l’autre côté ? » L’évangile de Jean nous parle de la force de la résurrection qui transperce les murs. (Lecture de l’Évangile selon Jean 20, 19 – 23) Aucun mur ne peut arrêter la venue du Christ parmi nous, ni son passage en nous, pour nous offrir sa paix.
« Y a-t-il quelqu'un de l’autre côté ? » Ce cri s’élève en moi, lorsque je m’enferme derrière les murs de la peur et de la haine. Qui sont ces êtres de l’autre côté ? Amis ou ennemis ? Je ne peux le savoir, puisque je me suis enfermé ou laissé enfermer derrière ces murs. Comment m’en sortir ?
Pour notre foi chrétienne, c’est le Christ qui vient vers moi. Il traverse les murs qui m’emprisonnent et m’offre sa paix. Rien ne peut l’arrêter, sauf mon refus. Toujours il transperce les murs pour s’approcher de moi et m’offrir sa paix. A moi de l’accueillir, de lui ouvrir mon cœur pour qu’il y dépose sa paix, et cette paix ouvre une brèche dans les murs de ma prison. Main dans la main avec le Christ, je peux faire mes premiers pas hors des murs. Je retrouve la joie d’être avec les autres, d’être dans le monde : aimer, admirer, profiter de la beauté et de la douceur de la création.
Certes, il y a toujours des dangers, des douleurs, des souffrances, des angoisses, mais je ne suis plus seul. Jésus m’accompagne vers les autres et vers sa création. Ce n’est jamais facile de faire confiance, mais en Christ, la confiance m’est donnée, car je sais qu’il traversera toujours à nouveau les murs que mes peurs construiront. Ion Karakash écrit que le miracle de Pâques « ce n’est pas tant que Jésus ressuscité ait joué les passe-murailles, mais qu’il ait ébréché les portes verrouillées et autres murs derrière lesquels ses disciples s’isolaient, isolant à leur suite nombre de leurs compagnons en humanité ».
« Y a-t-il quelqu’un de l’autre côté ? »
Seuls ou par deux, ceux qui t’aiment vraiment font les 100 pas de l’autre côté du mur. Certains main dans la main, d’autres regroupés en bande. Une fois qu’ils t’ont tout donné, certains chancellent et puis tombent ; ce n’est pas facile de faire battre son cœur contre le mur d’un pauvre angoissé ! »
« Qu’y a-t-il de l’autre côté du mur ? »
Il y a une vie sans mur de protection, ni de séparation, ni de haine. Pour moi, comme individu, il y a l’espace de la confiance retrouvée. J’ai accepté mes limites, mes angoisses, ma finitude dans la paix donnée par le Christ. Je ne suis plus paralysé par la peur de l’autre et de l’inconnu. Je peux vivre les instants qui me sont donnés dans la paix et la joie. Il m’arrive encore de trembler, de souffrir, de m’angoisser. C’est normal, je suis un être humain. Mais je reste confiant, car le Christ traverse tous les murs renaissant pour m’appeler à ressortir vers la vie.
Dans le texte de Jean, il y a encore une autre dimension, celle de la communauté, de l’Église. Pour nous qui formons l’Eglise de Jésus-Christ, vous là où vous habitez, nous, ici au Val-de-Ruz, nous recevons 1) un don, celui de l’Esprit et 2) une mission « remettre/retenir les péchés ». Cette mission consiste non à juger nos frères et sœurs en humanité, mais à leur offrir le pardon, le relâchement des péchés, le relâchement de toutes ces pierres qui forment les murs de la séparation et de l’exclusion. Ce pardon est celui du Christ, ce n’est pas le mien, en tant qu’individu, mais c’est le pardon porté et vécu par toute une communauté ; un pardon qu’elle partage avec tout le monde, qu’elle transmet au monde. La paix du Christ nous la recevons, nous la vivons, nous l’offrons et nous la transmettons aux autres.
« Hé toi, là bas dans le froid, en train de t’isoler, peux-tu me comprendre ?
Toi, debout dans les couloirs avec des fourmis dans les pieds, souriant bêtement, peux-tu me comprendre ?
Hé toi, ne les aide pas à éteindre la lumière, n’abandonne pas sans combattre.
Toi, là-bas livré à toi-même, assis à côté du téléphone, voudrais-tu me toucher ?
Hé toi, m’aideras-tu à porter ce fardeau ?
Hé toi, là-bas sur la route toujours en train de faire ce qu’on te dit, peux-tu m’aider ?
Hé toi, là-bas derrière le mur, peux-tu m’aider ?
Hé toi, ne me dis pas qu’il n’y a plus aucun espoir.
Ensemble on tient bon, divisés on court à notre perte. »
C’est ensemble, unis, dans l’espérance de la paix et de la joie que nous renverserons les murs de la séparation et de l’exclusion.
Amen !