La Transfiguration: "Écoutez! Y a rien à voir!"

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Écouter le culte :

Il me semble que tout culte pourrait commencer comme ça, tant nous sommes habitués, dans nos temples réformés forts dépouillés, à privilégier l’écoute sur la vue. Même si l’architecture est harmonieuse, Il n’y a pas grand’ chose à voir. Et ce matin, les auditrices et auditeurs de la RTS nous ont rejoint par l’ouïe. Il n’y a rien à voir à la radio !

Pourtant, le plus souvent, nous préférons voir plutôt qu’entendre. On accorde du crédit à ce que l’on voit. Longtemps, il fallait qu’une information passe à la télévision, avec des images, pour qu’elle soit comprise par le public. Une chose, un événement n’était « vraiment vrai » que quand on avait une photo ou un reportage retransmis aux infos. Et peu de conférences ou de cours de nos jours peuvent se passer de projection d’images, de « Powerpoint ». Mais on commence aussi à se méfier même des images, les progrès de la technique permettant de faire dire tout et son contraire à des clichés.

Il faut le voir pour le croire ! Cela a longtemps été vrai. Et les évangélistes, Luc ce matin, nous présentent un épisode de la vie de Jésus très visuel. Jésus apparaît transfiguré – et Luc de nous dire « son visage changea d’aspect et ses vêtements devinrent d’une blancheur éblouissante ». Et en plus, alors que Jésus est ainsi transfiguré, apparaissent à ses côtés deux personnages clefs de l’ancien testament, Moïse et Elie.

Si les évangiles ont retenu cet épisode de la vie de Jésus, le langage employé nous fait comprendre que nous sommes ici moins dans l’événement réel (ça c’est vraiment passé comme ça !) que dans le langage symbolique : le vêtement blanc, la lumière nous disent quelque chose de la nature divine de Jésus. Il est là comme empli d’une gloire céleste. Et nous qui voyons la scène – ou plutôt, qui sommes invités à l’envisager, à l’imaginer – nous comprenons que cet homme Jésus est vraiment en lien avec le divin, reflet dès ici-bas de la gloire de son Père céleste. L’évangéliste nous fait voir Jésus transfiguré – c’est pour nous mener, nous aussi, à confesser « Oui, celui-ci est le Fils de Dieu ! ».

Alors, nous restons dans le domaine du symbole avec l’apparition de deux personnages du Premier Testament. Moïse représente la Loi juive. Elie est le prophète qui, selon la tradition, annonce et précède l’avènement du Messie. Pour le lecteur qui connaît la bible juive, Jésus est ainsi entouré de la Loi et des prophètes, comme l’Église professera plus tard que l’Ancien Testament annonce le Christ, mène au Christ.

Mais je crois que Moïse et Elie nous disent encore un plus. Ces deux personnages ont ceci en commun d’avoir été dans la proximité de l’Éternel. Pas de l’avoir vu – ce n’est pas possible. D’avoir été dans sa proximité pour l’entendre.

Rappelons-nous : Moïse est appelé par Dieu pour libérer le peuple hébreu de l’esclavage en Égypte. Et pendant l’Exode, la traversée du désert vers une terre promise, Moïse reçoit de Dieu au Mont Sinaï, les Commandements, la Loi de Dieu pour son peuple affranchi. Moïse souhaite alors voir de ses yeux l’Éternel. Mais la réponse est claire : « Nul ne peut voir Dieu et vivre. » L’Éternel promet sa bonté et sa grâce à Moïse, il passera devant lui, mais ne se montrera pas. Et la Bible raconte que, de ces rencontres, Moïse gardera le visage rayonnant.

Du prophète Elie, on connaît l’histoire de la grotte. Elie se tient à l’entrée d’une grotte et Dieu va passer devant lui. Mais il n’est ni dans le vent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le bruissement ténu d’une brise légère.

Tant pour Moïse que pour Elie, le message est « Écoute. Il n’y a rien à voir. » Moïse reçoit de Dieu les paroles de liberté qui vont permettre aux Israélites de vivre dans la terre promise. Elie reçoit de Dieu son envoi en mission, pour rappeler le peuple à la fidélité à la Parole de Dieu.

L’Éternel, notre Dieu, est un Dieu parole et non vision. Dieu parle et l’homme écoute, et de cette parole donnée et reçue peut naître une relation de confiance et d’espérance que nous appelons la foi.

Mais l’apparition de ces deux personnages auprès de Jésus nous dit encore autre chose : si vous voulez voir Dieu, regardez Jésus, l’homme. Si vous voulez voir Dieu, il ne sera pas dans le fracas ou le tape-à-l’œil, mais dans le visage de l’humain – cet homme-là qui annonce la justice, qui prend le parti des faibles, qui ira jusqu’à la mort et qui vaincra la mort. C’est lui, Jésus, qui nous montre le visage du Père – un Dieu qui est compassion, justice et amour.

« Écoutez. Il n’y a rien à voir. »

Eh ! Ho ! Les disciples, réveillez-vous ! Écoutez ! Regardez ! Ce qui se passe là, c’est pour vous, votre foi et votre témoignage.

L’évangéliste Luc est le seul à raconter cette chose étrange : les disciples sont endormis ! Pierre, Jean, Jacques, qui, au moment où Luc écrit son récit d’évangile, sont les chefs de la jeune Église, de la jeune communauté de ceux qui suivent Jésus. Ah, ils sont beaux les disciples : voilà une vision merveilleuse. Le signe qui doit consolider leur foi, et eux, ils dorment.

Et nous comprenons que tout cela ne fera sens qu’après Pâques, qu’après la résurrection, quand les disciples eux-mêmes seront réveillés, mis debout dans la vie renouvelée de leur Seigneur – eux qui représentent l’Église, témoin de la résurrection.

Mais restons sur la montagne où nous a emmené l’évangéliste. Quand les disciples se réveillent, c’est pour proposer de figer le moment. « Il est bon que nous soyons ici, dit Pierre. Nous allons dresser trois tentes. »

Oui, le moment est bon, et ils sont privilégiés. Comme nous, les croyants, pouvons parfois ressentir de façon particulière la présence du Seigneur : dans un temps de prière, pendant la communion, en écoutant de la musique, dans l’émerveillement devant la splendeur d’un paysage. Et aussi, dans une relation vraie avec un autre, dans la douceur d’un geste de tendresse. Nous nous disons alors : « Oui, c’est un moment d’éternité. » Il est bon d’être là, sûrs au fond de nos cœurs que le Seigneur est présent. Mais nous savons que ces moments sont d’autant plus précieux qu’ils sont fugaces. Ils sont de l’ordre de la grâce, du cadeau qui est fait au croyant au plus intime, au plus secret de son cœur.

Je crois que ce que les disciples ont vécu sur cette montagne, en voyant Jésus transfiguré, est de cet ordre : de l’expérience mystique, celle qui touche à la foi et à la relation profonde avec Dieu. Mais voilà, cette expérience ne peut pas être figée. Alors, la proposition de Pierre de planter là trois tentes tombe court.

Au long des âges, les chrétiens ont voulu circonscrire le sacré, l’encadrer. De planter une tente, on en est arrivé à construire des églises et des temples et de belles cathédrales. On s’est dit : c’est là qu’il faut aller pour voir Dieu, pour approcher le sacré, peut-être même le toucher. Je ne nie pas la beauté des cathédrales, ou l’atmosphère propice au recueillement de certaines églises. Mais Dieu ne se laisse pas enfermer dans un lieu, dans un enclos sacré. Nous ne sommes pas plus proches de l’Éternel dans un temple que n’importe où ailleurs.

« Il est bon que nous soyons ici » dit Pierre. Oui, il est bon d’être dans la proximité de Dieu, mais il n’est pas nécessaire de grimper sur une haute montagne, d’entrer dans une église ou de faire un pèlerinage dans un lieu dit saint : Dieu est partout où nous nous mettons à son écoute.

« Écoutez. Il n’y a rien à voir. »

Et quand tout disparaît du regard des disciples, il y a cette voix du ciel, dans un nuage : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi. Écoutez-le. » La scène ainsi décrite par Luc tient encore du dramatique. De la Transfiguration de Jésus au balbutiement des disciples : tout mène à cette parole finale.

Oui, Jésus est Celui qui est choisi de Dieu. Oui, si vous voulez voir comment est l’Éternel, il faut regarder au Christ. Mais surtout, si vous voulez connaître Dieu, écoutez-le !

Écoutez l’enseignement de Jésus, pas seulement ses paroles, mais ses actes, toute sa vie telle que les évangiles nous la relate.

Écoutez l’homme qui a donné sa vie par fidélité à sa mission. L’homme qui va mourir pour que triomphe l’amour, la justice – et la vie.

Écoutez Jésus qui nous parle de pardon, de guérison.

Écoutez-le quand il vous dit que le plus grand commandement, c’est d’aimer. D’aimer son prochain. Que pour servir Dieu, il ne faut pas construire une cathédrale, ou bétonner un dogme, mais prendre soin des plus faibles, des étrangers, des exclus.

Écoutons-le quand il nous appelle à changer nos vies. Et qu’il nous offre une vie de plénitude, de joie, de paix et d’espérance.

Écoutez. Écoutons. Il n’y a rien à voir. Mais tout à recevoir de sa grâce.

Amen


Prière

En toi, Dieu bienveillant,
Le solitaire éprouve l’attention,
L’orphelin trouve un parent
Et l’angoissé un compagnon.

En toi, le blessé rencontre son soignant,
Le repentant trouve quelqu’un qui pardonne
Et l'accablé quelqu’un qui l’accompagne.

En toi, l’avare découvre un mendiant,
Le découragé trouve quelqu’un qui le fait rire
Et le légaliste un transgresseur de lois.

En toi, Jésus Christ,
nous rencontrons notre Créateur
et la personne qui nous répond, nous correspond.

Alors si quelqu’un aimerait dire «Aide-moi»,
Si quelqu’un a besoin de dire «Sauve-moi»,
Si quelqu’un aimerait dire «Tiens-moi»
Et si quelqu’un a besoin de dire «Pardonne-moi»,
Qu’il le dise, qu’elle le dise maintenant,
En toute confiance.

Ô Christ,
Tu nous accueilles et tu nous interpelles,
Parle-nous, agis envers nous
Et révèle en nous ce qui nous rendra entiers :
Nous l’accueillerons ;
Et nous t’en louerons.

Si le récit de la Transfiguration du Seigneur offre des thèmes très visuels, la pointe du récit est dans la Parole de Dieu qui invite à l’écoute. Comme toujours, les disciples ne comprennent pas ce qui se passe, mais sont invités à écouter la Parole et à suivre Jésus.

Détails

Avec la participation de
Catherine Droxler
Orgue
Maryclaude Huguenin
Musique
Maja Wuerth au violoncelle