Lazare sors ! Viens dehors !

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Écouter le culte :

Lazare est mort…

La mort est passée par là pour cette famille du village : deux sœurs en deuil, un frère parti trop tôt, comme on dit.
Lazare est mort et tout le monde est sous le choc.
La mort fait mal.
La mort est un non-sens.
Le vide, la perte, le manque… quelles douleurs !

Lazare est mort…

Aujourd'hui encore, la mort passe par là…
Dans nos vies, dans nos familles: dans les deuils que nous devons affronter un jour ou l'autre. Et aussi dans ces deuils-là : lorsque je perds mon travail, ma santé, mon moral ; lorsque je pars, lorsqu'on me quitte… Et encore, il y a tous ces autres maux qui nous laissent comme « morts » : des conflits, des ruptures, des échecs, des déceptions…

Lazare est mort…

Oui, la mort passe toujours et encore.
Plus largement, la mort, le mal, ça se passe sans cesse dans la vie et dans le monde... et aujourd'hui on pense tout particulièrement à la situation tellement difficile, inextricable des migrants, de toutes ces personnes qui doivent fuir leur pays, qui sont déracinées.

Lorsque nous avons « résonné » ensemble autour de ce récit avec vous, l'équipe des bénévoles de l'aumônerie auprès des requérants d'asile, vous avez évoqué très clairement certaines marques douloureuses dont vous êtes les témoins, au contact direct des personnes migrantes (ou à travers des images, des informations qui nous parviennent chaque jour): ces blessures dues à l'arrachement... arrachement à sa famille, à son pays, à des projets, à un métier.
Si ce n'est pas la mort, ça y ressemble beaucoup ! Partir vers l'inconnu, fuir, tout perdre, et mourir à une certaine vie qui était en train de se dessiner là-bas et à une identité personnelle... qui n'existe plus ici.

Vous savez ce qu'est le désarroi, l'impuissance face à ces drames humains que vous pouvez deviner en allant à la rencontre des personnes exilées…

Manuela Hugonnet, déléguée du vicariat à la Solidarité, va évoquer maintenant le vécu de ces personnes qui s'engagent auprès des requérants d'asile.

Manuela Hugonnet

Dans ce récit d'Evangile, on nous dit que Jésus pleure...
Dans notre présence auprès des requérants d'asile, nous sommes bien souvent saisis aux entrailles. Face à la souffrance et à la misère de toutes ces personnes, nous ressentons certes beaucoup d'émotions, mais nous essayons aussi d'agir, de répondre par la langue de la fraternité.

Nous ne considérons pas les Syriens, les Afghans, les Somaliens et tous les autres déracinés de la Terre comme des personnes qui nous posent problème.
Nous refusons de regarder les migrants musulmans comme des terroristes potentiels.
Non.

Tout simplement, nous nous asseyons parmi les requérants, les regardons dans les yeux. Nous communiquons par mots, par gestes, avec des dessins. Nous partageons des moments de convivialité, nous cuisinons ensemble, nous jouons, chantons. Nous nous sourions. Nous rions ensemble.
Des choses banales du quotidien peut-être, mais qui permettent aux migrants de renouer avec la vie. La vie plus forte que la mort.

Notre engagement nous offre la chance de vivre la richesse du partage, en toute simplicité. Chaque rencontre avec les migrants nous fait grandir en humanité, grandir dans notre engagement personnel et dans notre foi.
Les rires, les sourires que nous recevons, sont des soleils qui illuminent notre journée.
« Etre bénévole, c'est offrir un peu de son temps pour investir dans l'avenir de l'autre », disait l’un d’entre nous.

Jésus pleure.
Quand la décision tombe et que le renvoi est prononcé, nous sommes là aussi.
Nous pleurons avec eux.
Nous sommes conscients que peu, bien trop peu de requérants recevront le permis de réfugié.
Nous les aidons à ne pas perdre espoir à la perspective d’affronter à nouveau l’inconnu, encore un déracinement.
Nous n’avons pas la prétention de sauver le monde.
Nous contribuons juste à offrir accueil et réconfort à des personnes dans la détresse.
Par contre, nous souhaitons ardemment pousser nos amis, nos communautés à une conversion du regard.
Dans chacun des requérants d’asile que nous côtoyons, c’est un peu du visage du Christ que nous voyons.

Francine Cuche-Fuchs

Revenons à notre récit, avec cette question, cette perspective : comment peut-il résonner aujourd'hui dans notre vie, notre vie de foi et nous inspirer ?

Je crois que le problème ou la difficulté, c'est que nous sommes trop habitués à entendre ce récit et nous connaissons la fin de l'histoire.
Nous savons que Jésus va intervenir et que tout va rentrer dans l'ordre. Lazare sera « relevé » de la mort et, certainement, il pourra reprendre ses occupations, retrouver ses sœurs, ses amis.
Nous connaissons tout cela et nous oublions peut-être que ce n'est pas tant le miracle qu'il nous faut regarder, mais la direction et la réalité qu'il nous indique.
Oui, d'accord, c'est bien un miracle auquel nous assistons.
Mais, attention, nous avons appris que le miracle, tout particulièrement dans l'évangile de Jean, se dit aussi « signe ». Et ce « signe » n'est jamais posé pour lui-même, il désigne quelque chose qui le dépasse. En fait, il nous renvoie à Celui qui l'accomplit.

Donc, parce que nous connaissons la fin de l'histoire, nous pouvons dire et répéter, à l'occasion, dans un savoir bien installé, cette évidence que la vie est toujours plus forte que la mort. Mais est-ce que ce refrain nous réconforte vraiment lorsque nous sommes dans le désarroi, le deuil ou face à des personnes « comme mortes », déracinées, qui ont tout perdu ?
Nous répétons ces mots comme un savoir, une leçon, comme Marthe qui dit à Jésus : « Je sais que mon frère ressuscitera lors de la résurrection au dernier jour. »
Marthe connaît son catéchisme ! Néanmoins, on constate que cela ne la console en rien de la perte de son frère.
Oui, nous sommes comme Marthe, nous connaissons bien notre catéchisme. Nous savons. Marthe sait.
Elle sait, comme nous, que Jésus peut faire des choses étonnantes.
Elle sait, comme nous, que Jésus entretient avec Dieu des liens uniques.
Marthe sait cela, comme nous tous, car elle aime sincèrement, profondément, le Seigneur. Voilà pourquoi elle lui dit : « Je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera. »

Ecoutons bien la réponse de Jésus.
« On s'est peut-être mal compris... » semble dire Jésus.
Alors, il cherche à emmener Marthe ailleurs, il lui dit en parlant au présent: « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s'il meurt; et celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »

A travers ces mots, tout l'effort de Jésus consiste à essayer de faire passer Marthe, comme chacun de nous, d'un « je sais...» à un « je crois... ».
Jésus essaye de nous faire passer du « je sais que tu es un être exceptionnel » à un « je crois, Seigneur, que la Vie qui t'anime peut passer en moi. »

Jésus invite cette femme à cheminer d'un savoir qui tient de la leçon de caté, admiratif, mais lointain, à une foi agissante aujourd'hui.
Alors, c'est à elle, en tout premier, que Jésus offre la résurrection et la vie, en réponse à sa demande d'aide, de secours dans la détresse. Pour Marthe, la Vie éternelle commence aujourd'hui.
Marthe et avec elle nous tous sommes invités à comprendre que le véritable défi de la mort n'est pas là où l'on pense : crois-tu que la vie n'est pas qu'un processus biologique ? Mais la Vie éternelle, c'est une façon d'être en pleine relation avec Dieu, ici, au sein même de cette vie mortelle; la Vie en plénitude, c'est être avec Dieu, relié à lui, hier, aujourd'hui et pour toujours.
La bonne nouvelle, la joyeuse annonce de ce récit, ce n'est pas présenter Jésus comme un magicien ou un réparateur d'objets cassés, mais c'est croire qu'il est Celui qui est la Vie de notre vie, celui qui suscite, qui appelle, qui relève, qui ouvre, Celui qui crée toute chose nouvelle, aujourd'hui.

Nous voilà au coeur de l'Evangile du Christ : « Crois-tu cela ? »
C'est-à-dire : « Est-ce que tu me fais confiance ? Est-ce que tu es prêt à essayer ? »

Louis Evely écrivait :
« S'il n'y a pas aujourd'hui dans le monde une puissance de résurrection, de libération que tu constates, que tu éprouves, que tu exerces, tu n'as pas le droit de croire à une résurrection »

Revenons à ce que vous, bénévoles, avez dit encore en écho à ce texte.
Etonnamment peut-être, vous m'avez dit que vous vous retrouviez dans ce personnage, Lazare, enfermé dans son tombeau.
Vous vous êtes identifiés à lui.
En effet, plusieurs parmi vous se sont souvenus qu'il y a eu, dans vos parcours, un jour, une voix pour vous appeler: « Sors », « Vas-y » et pour vous conduire à cet engagement auprès des migrants.

Et il a fallu aussi, disiez-vous, que vous soyez déliés de vos peurs et de vos résistances intérieures, de vos idées préconçues: « je serai inutile, je ne saurai pas comment m'y prendre ! «
« Ils sont trop nombreux, on ne se comprendra pas ! »
« J'ai peur… »
D'une manière toute particulière, chacun, chacune, vous avez laissé passer la Vie en vous et vous vous êtes mis en chemin.
Modestement, à tâtons… simplement être là auprès de ces personnes, prêts à la rencontre. Etre là.

Oui, derrière l'histoire de Lazare, il y a toutes nos histoires personnelles destinées à entendre ce même appel à la Vie : « Sors ! »
L'enjeu de ce récit n'est pas tant celui du salut après la mort ou d'une manifestation miraculeuse de puissance, mais avant tout, il s'agit de notre vie, ici et maintenant.
Il s'agit de vivre aujourd'hui…

Seigneur, ma vie sent parfois le renfermé…
Envoie quelqu'un me les redire les mots de ton appel, de ta promesse :
« Sors » « Viens dehors »...
« Prends l'air frais de l'Esprit »
« Sors de toi-même, de tes habitudes, de tes peurs, de tes déceptions… de tout ce qui a le pouvoir de te laisser « comme mort »
« Sors, viens dehors, je t'attends.
Je suis la résurrection et la vie. »

Amen.

Avec le mal, le non-sens, l'impuissance ou le désespoir, comment les mots du Christ peuvent-ils encore résonner aujourd'hui dans notre quotidien?
Devant l'irrémédiable, face à des situations de vie qui apparaissent désespérées, comme la violence, le mal, la mort et tout particulièrement les défis de la migration et de l'exil, l'être humain peut se sentir défait de ses ressources essentielles. Et pourtant, la méditation de l'évangile du jour, Jean 11, 1 à 45, fait apparaître que Jésus vient s'opposer à la violence imposée par la mort ou la violence de ces situations qui laissent l'humain « comme mort ». Par sa présence, le Christ ouvre un passage pour que la vie retrouve du souffle.
Un culte avec l'équipe d'aumônerie auprès des requérants d'asile du Canton de Neuchâtel.

Détails

Avec la participation de
Luc Genin, Manuela Hugonnet et Martine Monnier
Orgue
Jean-Pascal Mougin
Musique
Les « 5 aux moulins », sous la direction de Georges-Alain Schertenleib