Dieu est avec moi!… Ou bien?

Abbatiale de Romainmôtier (©Alexandra Urfer Jungen)

Écouter le culte :

Quelqu’un me disait l’autre jour : « Ma foi n’a pas été ébranlée quand j’ai perdu mon mari, ni quand j’ai perdu ma maman. Mais quand j’ai perdu ma petite nièce qui venait de naître, là je me suis demandée : Mais où est Dieu ? Que fait-il ? S’il est tout-puissant, alors pourquoi ? » Une question qui est aussi ancienne que l’humanité croyante, et qui n’en demeure pas moins unique lorsqu’elle crie à partir d’une souffrance destructrice.

Avec une humanité toujours aussi lamentable dans sa manière de vivre ensemble et sur cette planète, il est difficile de proclamer la gloire et la grandeur et la puissance de Dieu – comme semblent le faire les textes de ce matin – sans se demander à quel jeu nous jouons. D’autant plus que la proclamation de la puissance de Dieu vient souvent avec celle de nos propres désirs de toute-puissance. On brandit la gloire de Dieu comme on brandit un canon.

Pourtant Abram, à qui Dieu promet une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel, que voit-il ? Aucune étoile, car il fait jour. Il veut savoir ce qu’il a en héritage, et quelle est la réponse ? Le sommeil, la peur. Là encore, il ne voit rien des ténèbres ni du brasier car il dort. Quelque chose se passe… mais il n’en voit rien.

Abram réalise sa petitesse sous le vaste ciel, son impuissance lorsqu’il est plongé dans le sommeil, les peurs qui l’habitent devant l’inconnu. Il est semblable à tous les humains que nous sommes lorsque nous réalisons tout ce qui nous dépasse.

Alors il met en mots, il décrit son expérience, et il y trouve la trace du Dieu qui fait alliance. Il n’y a rien à voir, Abram dort, et pourtant quelque chose se passe. Et Abram se relève fort de cette confiance : dans les creux de nos impuissances se love une force qui n’a rien d’évident et qui pourtant nous met en route.

« Leur Dieu, c’est le ventre ! », s’énerve saint Paul en évoquant les croyants qui ne cherchent que leur propre intérêt, leur propre pouvoir, leur propre satisfaction personnelle ; qui ne pensent qu’à se remplir de ce qui vient de la terre en oubliant ce qui vient du ciel : la paix, la justice, la réconciliation, l’amour, la foi…

Alors Paul évoque la majesté du Christ, son corps glorieux, son pouvoir immense. Mais pour nous rappeler que cette réalité s’inscrit pour nous dans une attente et dans une transformation. Car la puissance active du Christ dont parle Paul, c’est la puissance de l’amour. Et celle-ci n’a rien à voir avec la puissance de la force qui s’impose ou qui détruit.

La posture de l’humain croyant, c’est de se tenir dans l’attente, donc dans l’attention ; et se laisser transformer, non par nos désirs de toute-puissance alimentés par nos peurs, mais bien par la puissance active de l’amour.

Quant à Pierre, Jacques et Jean qui sont témoins de la transfiguration du Christ, pour eux aussi la manifestation de la puissance de Jésus et de Dieu est paradoxale : ils ne reconnaissent plus son visage, donc il se dérobe à leur savoir. Ils sont éblouis par la blancheur, donc il se dérobe à leur vue. Ils ont sommeil, donc ils sont confrontés aux limites de leurs forces. Ils aimeraient s’installer dans cette présence, donc ils sont à côté de la plaque. Ils sont enfin enveloppés d’obscurité, donc ils vivent l’impuissance.

Pierre, Jacques et Jean sont en fait très fragilisés dans cette expérience. Pourtant, là encore, quelque chose se passe. Une voix vient mettre des mots sur ce qui leur arrive. Et au final, il ne reste que Jésus seul, dans la simplicité de son humanité. Rien d’autre.

Aux jours difficiles que nous traversons comme êtres humains, il peut nous arriver de ne pas comprendre pourquoi Dieu ne fait pas démonstration de sa puissance de manière un peu plus évidente. Il peut nous arriver aussi d’appeler cette puissance comme un prolongement de nos propres désirs face à ce qui nous effraie.

Pourtant, l’expérience de Dieu d’Abram, celle de Paul, celle de Pierre, Jacques ou Jean, cette expérience de force, de puissance, de gloire, est essentiellement intérieure. 

Comme un souffle qui met en route, même si, avec Abram, on ne voit pas grand-chose : « Confiance, je suis avec toi ».

Comme une attente qui prend le temps de mûrir avec Paul : c’est l’amour qui va te transformer.

Comme la prise de conscience que, avec Pierre, Jacques et Jean, tant de choses nous échappent et nous dépassent. Mais qu’il suffit d’accueillir une parole qui dit le lien entre l’humain et Dieu, entre la terre et le ciel, pour que tout redevienne clair.

«Y en a point comme nous!», «Avec Dieu je vaincrai tous mes adversaires!», «Dieu m’est apparu!».

Est-ce que le Dieu d’Abraham, de Paul, de la transfiguration est le Tout-Puissant qui vient marquer la différence avec tout ce qui n’est pas lui par des miracles et des démonstrations de pouvoir? Vient-il corriger la fragilité de la naissance humaine? Aux jours de malheurs, que signifie cette image de Dieu?

Détails

Avec la participation de
Patric Bonnevaux pour les lectures
Orgue
Emile Sécheret
Musique
Le choeur de l'abbatiale, sous la direction de Michel Cavin